Les expositions ne montrent pas que des tableaux (ou parfois des sculptures). Elles nous racontent aussi des histoires. C'est le cas avec «Le fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins» au Musée des beaux-arts de Rennes. Je vous ai plusieurs fois déjà parlé de ce lieu hautement recommandable. Depuis que l'institution se trouve entre les mains d'Anne Dary, plutôt férue d'art contemporain, elle a repris du poil de la bête (1). La directrice a aussi su engager Guillaume Kazerouni pour la peinture ancienne. L'un des plus dynamiques et les plus doués jeunes conservateurs actuels. La preuve! Une présentation ne lui suffisait pas. Il en a fallu une autre, complémentaire, à Saint-Malo, «Contemplations». Je vous en parle dans un petit article suivant celui-ci.
Pourquoi parler de «destin fabuleux»? C'est très simple. A la Révolution, tous les tableaux sont retirés en 1792 (en même temps que le mobilier liturgique) des églises de Paris. «Elles ferment», explique Guillaume Kazerouni devant les groupes auxquels il fait visiter l'exposition à un rythme soutenu. Quatre, le jour où j'ai passé à Rennes. Certaines toiles ôtées sont anciennes. D'autres presque neuves. Le catalogue, qui constitue vraiment un ouvrage de référence, montre ainsi une «Sainte Catherine d'Alexandrie» de l'inconnu Jacques-Louis Touzé datée 1791. Elle ne sera restée que quelques mois à Saint-Louis-de-La-Couture. «Les toiles enlevées se retrouvent dans des entrepôts. Celles jugées les meilleures partent ensuite pour les musées qui se créent alors. Les experts retiennent avant tout les œuvres célèbres du XVIIe siècle.» Le rococo, alors démodé, passe à la trappe.
Ventes à la chaîne
Que faire du solde, dont une partie se détériore et se perd alors? On vend beaucoup, une fois la tourmente passée. «Très peu d’œuvres retourneront à leur emplacement d'origine.» Le brassage s'est révélé total. La démolition de très nombreux de lieux culte commence par ailleurs dans la capitale. «Il ne faut pas oublier que les églises, avec souvent un couvent attenant, occupent une bonne partie du terrain de la capitale.» Un sol qu'on entend désormais lotir et bâtir. Après le rétablissement officiel du culte en 1802, puis la Restauration en 1814, les dispersions peuvent donc continuer. «Et c'est ici qu'interviennent les abbés Desjardins». Il s'agit de deux frères, prêtres réfractaires (2) l'un et l'autre. Ils ont émigré en Angleterre, puis au Canada. «Là-bas, le problème est inverse. Il se bâtit dans la partie francophone et catholique quantité d'églises de bois. Elles ne possèdent aucune image religieuse, alors que la demande s'en fait grande.»
Les Desjardins vont donc s'improviser commerçants, car avec eux rien n'est gratuit. L'un (Philippe) revient en France, d'où il expédie des lots à l'autre (Louis-Joseph), resté dans la «Belle Province». C'est le cas en 1817, puis en 1820. Les toiles roulées entreprennent un long voyage, qui les met parfois à mal. Elles trouvent pour la plupart preneur, mais avec parfois des modifications. «Il fallait les adapter à leur nouvelle destination. On a peint un saint à la place d'un autre. Les dimensions de l’œuvre se sont vues modifiées. Plus grandes. Plus petites.» Un premier travail artistique au Canada, même si Frère Luc (représenté dans l'exposition) était parti peindre pour son ordre au Québec en 1670. «Les tableaux Desjardins ont servi, par leurs aménagements, puis leurs copies, de première école d'art dans cette colonie britannique.» De premier musée public aussi. Les invendus ont fini dans les mains du peintre local Joseph Légaré, qui a conçu un lieu pour eux.
Un travail de bénédictin
Durant presque deux siècles, les tableaux ont été oubliés. C'était «un secret bien gardé», comme le dit Pierre Rosenberg dans sa préface. Il a fallu un énorme travail pour retrouver ceux qui ont survécu aux incendies et aux négligences. Laurier Lacroix s'en est chargé. Non sans mal. Il lui a fallu pénétrer dans des couvents, pouvoir regarder les toiles de près. Les faire restaurer aussi, ce qui posait de nombreux problèmes. Avait-on le droit d'effacer un saint vénéré afin de retrouver (et dans quel état?) celui d'origine. L'homme y est parvenu. Le projet d'une exposition a surgi par la suite. Il existe heureusement un partenariat entre le Québec et la Bretagne. Est ainsi né, par fusion d'idées, le concept d'une présentation double. «Au Canada, elle se voulait globale et historique. Nous ne pouvions reprendre que les meilleurs tableaux, jamais vu depuis deux siècles en France, sauf le «David» de Pierre Puget.»
Il y a ainsi aujourd'hui, aux murs du rez-de-chaussée, une quarantaine de grandes toiles données à d'important peintres de l'Ancien Régime, de Quentin Varin à Simon Vouet, de Michel Dorigny à Claude Vignon et de Pierre-Jacques Cazes à Jean-Jacques Lagrenée. Plus des exemples de gens très rares, dont Daniel Hallé ou Pierre d'Ulin. «Les œuvres entrent en dialogue avec notre fonds, qui s'enrichit constamment par achats, dépôts ou prêts. Le Louvre vient ainsi de nous prêter un Vouet. Nous avons récemment acheté un Jean Senelle, artiste représenté dans le fonds Desjardins. Nous possédons aussi un important Quentin Varin.» Je vous l'ai dit. Le Musée des beaux-arts de Rennes est un de celui qui bouge le plus en France avec celui d'Orléans, de Montpellier ou de Lyon (3).
Deux contrepoints contemporains
Si Rennes n'a pas accueilli toutes les pièces présentées à Québec, sa direction a pensé qu'il serait bon de leur trouver un écho contemporain. Là aussi, il y en a au final deux. Anne Dary a assuré le commissariat de la présentation de Julie C. Fortier occupant l'immense atrium. Il y a deux pièces. «Ascension» est une installation olfactive avec quatre parfums et 150 000 touches. «Roadhouse» une vidéo de type voyageur, présentée à l'intérieur d'une grande cabane. «Ce qui ajoute du sens, c'est que Julie est Canadienne ayant décidé de s'installer en Bretagne.»
L'autre proposition s'intitule «327 pas de l'une à l'autre». «J'y tiens beaucoup», reprend Guillaume Kazerouni. «Je trouvais essentiel de créer une présentation dans des églises. Elle restèrent longtemps les lieux où les amateurs découvraient l'art ancien et moderne.» D'où l'idée de confier Toussaints et Saint-Germain à de jeunes artistes, dont deux assureraient le commissariat («ce qui les obligeait à faire des offres et à discuter avec le clergé actuel») plus le catalogue. Guillaume aime du reste à prendre régulièrement un élève des beaux-arts en stage, «afin de découvrir un nouvel aspect du métier». Le résultat se révèle varié. Bien intégré, ce qui était le but. Comme toujours, certaines pièces retiennent davantage le regard. Pour moi, ce serait à Saint-Germain l’œuvre de Vincent-Michaël Vallet. «Il a utilisé la caisse avec laquelle nous avons transporté un tableau des Le Nain à Saint-Malo. Il l'a cloutée de métal doré afin d'en faire un sorte de reliquaire. La boîte reste entrouverte. A intervalles réguliers, il en sort de la lumière.»
(1) Depuis l'arrivée d'Anne Dary, la fréquentation du musée a augmenté de 50 pour-cent. - (2) Un prêtre réfractaire est un curé ayant refusé de prêter serment à la Constitution de 1791. - (3) Parmi les entrées récentes j'ai ainsi noté des toiles des Suisses Thomas Huber et Jörg Krähenbühl.
Pratique
«Le Fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins», Musée des beaux-arts, 20, quai Emile-Zola, Rennes, jusqu'au 28 janvier. Tél 0332 23 62 17 45, site www.mba.rennes.fr Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 17h, jusqu'à 18h les samedis et dimanches (l'abandon de la pause de midi constitue une nouveauté). Les églises Toussaints et Saint-Germain se trouvent tout près.
Photo (DR): "La Mise au tombeau" de Jean-Jacques Lagrenée. Une des rares toiles dans le format horizontal exigé par ce site...
L'article sur Saint-Malo suit immédiatement.
Prochain chronique le mardi 28 novembre. "Opera", une exposition multi-sensorielle au Victoria & Albert Museum de Londres.
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PENTURE/Rennes raconte le destin des tableaux des abbés Desjardins