Passé nazi? Berlin met fin à son accord avec le collectionneur Friedrich Christian Flick
Le musée privé aurait dû ouvrir à Zurich en 2001. L'origine de la fortune de l'héritier Mercedes-Benz avait créé la polémique. L'homme s'était alors tourné vers l'Allemagne.

Friedrich Christian Flick avec une toile de Martin Kippenberger.
Crédits: ReutersLa Collection Flick fait à nouveau reparler d’elle, du moins dans les pays francophones. «Le journal des arts» se fait tardivement en ligne cette semaine l’écho d’une affaire ayant secoué Berlin pendant le confinement. L’énorme ensemble d’art contemporain formé par Friedrich Christian Flick, aujourd’hui âgé de 75 ans, va quitter la ville courant 2021. Il reviendra en Suisse, où vit le richissime héritier de Mercedes-Benz. C’est là que la Collection devra se retrouver un destin. Ce ne sera pas facile, vu les circonstances présentes.
Je sens que vous êtes largué. Je vais donc commencer par le début, en quittant résolument "Le Journal des arts". En 2001, Flick annonçait l’ouverture à Zurich de son musée privé. Un projet confié à l’architecte Rem Koolhaas. Si chacun louait la richesse de cet ensemble de 2500 œuvres qui aurait bien fait dans le paysage de cette ville ambitieuse, l’origine de la fortune de Friedrich Christian faisait tousser. Le grand-père de l’amateur d’art était Friedrich Flick (1883-1972), qui avait fait tourner ses usines à plein régime pour fournir des armes aux Nazis. C’était gênant. Mais chose plus grave, il avait pour ce faire obligé à travailler comme des esclaves ses ouvriers, recrutés parmi les prisonniers juifs.
Fronde en Suisse
Il y a alors eu de véhéments mouvements de protestation, menés tant par des organisations israélites que par des intellectuels de gauche. La fronde a été attisée par le bouillant metteur en scène de théâtre Christoph Marthaler. Celui-ci a fini par emporter le morceau, faisant dire à la droite que l’homme avait non seulement vidé le Schauspielhaus (dont il était devenu le directeur) de ses spectateurs, mais privé les Suisses alémaniques d’une institution prestigieuse. Le collectionneur s’était alors tourné vers Berlin, qui a saisi l’occasion au vol. Pourtant réputée culpabilisée, l’Allemagne n’a pas fait la délicate. Le collectionneur a obtenu pour un loyer ridicule les Rieckhallen, près du Hamburger Bahnhof. Dix mille mètres carrés. Le personnel et l’entretien étaient à la charge des musées de la ville et de la Stiftung Preussicher Kulturbesitz. Notons cependant que Flick a payé de sa poche les travaux de transformation du bâtiment.
Le musée a ouvert, à grand succès d’ailleurs, en 2004 avec un dépôt de 1500 œuvres. Il existait alors un contrat de sept ans entre Flick Junior et Berlin. Il a été renouvelé pour dix ans en 2011. L’accord arrive donc à échéance au moment où les Rieckhallen sont vouées à la pioche pour satisfaire les appétits des promoteurs immobiliers. Berlin n’a curieusement proposé au milliardaire aucune solution alternative. Le «Tagesanzeiger» s’étonnait en avril dernier qu’il en soit ainsi. Berlin ne construit-il pas en ce moment un gigantesque musée d’art moderne confié aux omniprésents Herzog et DeMeuron? Friedrich Christian Flick a donc annoncé qu’il rapatrierait son patrimoine contemporain en Suisse. La suite au prochain épisode. je n'en sais pas davantage pour l'instant.
Inégalités de traitement
Cela dit, si la Fondation Bührle a fait sourciller certains, la fortune des Thyssen reste pour l’instant curieusement épargnée par les critiques. Quant aux Krupp, ils n’intéressent personne dans le monde de l’art. Ces barons de la métallurgie lourde n’ont à ma connaissance jamais beaucoup collectionné.