En 1902, Pablo Picasso, qui vient d'abandonner le patronyme paternel de Ruiz pour le nom de sa mère, modèle une petite «Femme assise». Il a 21 ans. Le débutant accomplit encore des allées et venues entre la Catalogne et la France, où il jouit déjà d'une petite réputation. En 1902 justement, il expose chez Berthe Weill, la première galeriste femme de France. Ce n'est pas un triomphe, mais on en parle. Il faut aussi dire que, véritable caméléon, l'artiste passe sans cesse d'un style à l'autre. En 1902, il sort ainsi d'une phrase Toulouse-Lautrec.
«La femme assise» figure bien sûr dans l'actuel «Picasso sculptures», qui occupe deux étages du Musée Picasso de Paris (puisqu'il en existe aussi un à Barcelone). Elle figure même en trois exemplaires. Il y a la terre crue originale, le plâtre d'édition et le bronze. Montée par Virginie Perdrisot avec l'aide de Cécile Godefroy, la manifestation tourne en effet autour de l'idée de «séries et de variations». C'est important, surtout pour les œuvres du début. Il y a parfois eu plusieurs générations de tirages. Le marchand Ambroise Vollard a racheté asez tôt des droits, afin de réaliser de nouvelles fontes, avec l'autorisation de l'artiste. Les différences peuvent sembler imperceptibles. Elles tiennent parfois à la seule patine. Mais il était important de montrer une fois, côte à côte sur un gros socle gris, six versions de la célèbre tête cubiste de Fernande (1909).
Accidents et reprises
Le Musée Picasso, dont la direction a été reprise par Laurent Le Bon (ex-Pompidou Metz) après le règne pour le moins chahuté d'Anne Baldassari, apparaît riche, certes. Depuis la dation de 1979, réglée six ans après la mort de l'artiste, il possède des milliers d’œuvres. Toutes les périodes s'y voient admirablement représentées, sauf celles d'extrême jeunesse, dont Picasso avait fait don à l'Espagne. L'institution ne possède cependant pas tout. Ses moyens de pression (comment faire sans lui?) lui ont permis de faire venir ce qui manquait. Coproduite avec le Museum of Modern Art de New York (MoMA), où la rétrospective a eu lieu du 14 septembre au 7 février, l'actuelle exposition comporte 70 emprunts sur 170 pièces présentées. La grande fierté du Musée Picasso est d'avoir réuni les six versions connues de «Verre et absinthe» de 1914. Chacune d'elles (comportant une vraie cuillère et un faux sucre) a été peinte dans des couleurs différentes.
Alors que la grande exposition «Picasso sculpteur» de Beaubourg, marquant en 2000 la réouverture du Centre Pompidou après des années de travaux, proposait un parcours bien lisse, l'actuelle présentation joue de l'accident et de la reprise. En 1921, la commande d'un monument à Guillaume Apollinaire, décédé en 1918, finit en eau de boudin. Une autre expérience conduit Picasso à demander l'aide professionnelle de son collègue Julio Gonzales. Il y a aussi les rencontres qui changent tout. On connaît celle des potiers de Vallauris, après la guerre. On dit moins qu'à la même époque les assemblages hétéroclites conçus par le maître n'auraient pas trouvé leur unité métallique sans la complicité du fondeur Marcel Valsuani. Picasso doit aussi beaucoup au maître forgeron Joseph-Marius Tiola ou au procédé de bétogravure mis au point par le Norvégien Carl Nesjar. Ces gens se voient ici tirés de l'ombre.
Poussées de fièvre
Toutes les phases de l'activité tridimensionnelle de Picasso se voient donc traitées, sauf la céramique (qui vient de l'être magistralement à Sèvres). Le parcours finit avec l'agrandissement des maquettes, que confiait l'artiste âgé à des exécutants. Le public se rend cependant compte que, comme pour la gravure, l'Espagnol a des poussées de fièvre. Il y a les essais d'avant 1914. Une intense activité au début des années 1930, quand Picasso travaille au château de Boisgeloup. La guerre l'amène a créer de nouvelles pièces, destinées au bronze. Elles comprendront par la suite toujours davantage d'objets trouvés, du panier d'osier au jouet voiture pour enfant (qui devient une tête de guenon). Puis s'accumulent les plaques peintes de la fin. Elles donneront, ou non, des monuments publics. Mais Matisse, dont l'histoire de l'art veut faire le pendant de Picasso, a lui-même adopté, puis délaissé la sculpture, avant de totalement l'abandonner dès les années 1930.
Très bien faite, cette première exposition, venant après un brillant réaccrochage complet du musée, confirme que Le Bon était le bon choix. Le Musée Picasso, si laborieusement rouvert en octobre 2014 après un nombre d'années abusif de restaurations pas toujours justifiées, est reparti pour un tour. Il n'a paradoxalement pas encore retrouvé son grand public, ni ses touristes agglutinés. Je ne suis pas sûr qu'il faille s'en plaindre. C'est plein à l'intérieur, sans qu'il y ait à attendre dehors. La qualité d'une institution, contrairement à ce que croient certaines autorités étatiques, ne se mesure pas aux heures de piétinement devant l'entrée.
Pratique
«Picasso sculptures», Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, Paris, jusqu'au 28 août. Tél. 00331 85 56 00 36, site www.museepicassoparis.fr Ouvert du mardi au dimanche de 11h30 à 18h, les samedis et dimanches dès 9h30. Le musée présente parallèlement au sous-sol jusqu'au 31 juillet l'exposition «Miquel Barcelò, Sol y Sombra» en tandem avec la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand.
Photo (AFP): Picasso au travail. Ici, dans l'atelier de céramique, une forme de sculpture comme une autre.
Prochaine chronique le vendredi 22 avril. Jean-Philippe Postel enquête dans un "romaan d'investigation" sur les Arnolfoni de Jan van Eyck.
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PARIS/Le Musée Picasso analyse la sculpture du maître. Séries et variations