Nous sommes le dimanche 18 janvier. La Philharmonie de Paris s'est ouverte à La Villette quatre jours plus tôt. Entr'ouverte serait un mot plus juste. Le chantier se révèle loin d'être terminé. J'y reviendrai. N'empêche que la curiosité du public est à son comble. Avec son enthousiasme de commande habituel, la presse a vanté le nouveau chef-d’œuvre de Jean Nouvel. Un enfant du pays. Il y a aussi quelques fausses notes, bonnes pour le «buzz». Elles sont en plus à leur place ici, vu le contexte musical. Tout est donc prêt pour la ruée, que ralentit Vigipirate. Le plaisir réside dans l'attente pour certains. Une file interminable monte ainsi depuis le parvis. On croirait, de loin, à un défilé de chenilles processionnaires...
Les élus entendront un concert, dans la nouvelle salle de 2400 places. Le lieu est saisissant. Il ressemble à un gros cocon, surmonté de nuages. Musiciens au milieu, comme il se doit aujourd'hui. Le spectateur le plus excentré à 32 mètres seulement du chef, mais je n'a pas mesuré. Le but est d'emballer l'auditeur dans le son. L'acoustique prime surtout. Une nette différence avec les concerts du Victoria Hall genevois, dans mon enfance. A cette époque, c'était la salle, non obscurcie, qui occupait le devant. On venait accessoirement pour entendre. L'essentiel restait de se montrer au centre du parterre ou au premier rang d'une baignoire, la main appuyée sur le velours rouge. Mais qui sait encore de nos jours ce qu'est une baignoire, hors d'une salle de bains?
Espaces de circulation mesquins
Les autres espaces intérieurs de la Philharmonie, qui abritera deux autres salles, des lieux de répétition, un musée, un machin polyvalent et un foyer semblent mesquins. L'entrée n'offre rien de spectaculaire. Là aussi, les temps ont changé depuis l'Opéra de Paris de Charles Garnier, inauguré en 1875. Le point névralgique se situait alors autour de l'escalier intérieur, où montaient les dames en manteau de soirée. Aujourd'hui, il y a avantage à porter, en hiver, une doudoune pour affronter l'escalier extérieur avant le contrôle des objets métalliques. «Economie Matin» a justement dit à propos des endroits de circulation: «On se croirait dans une MJC.» Le pire est sans doute atteint quand on regarde le plafond extérieur, en sortant. Cette soute sombre et informe évoque le vaisseau déglingué d'«Alien»...
Il faut dire que le bâtiment reste en travaux et que l'Etat, la Ville de Paris et le Département Ile-de-France se battent en ce moment pour ne plus rien payer. Vous aurez remarqué qu'on ne montre de l'extérieur que la façade, tapissée des fameux oiseaux métalliques voulus par Jean Nouvel. Et pour cause! Plus le piéton s'égare à l'arrière, masqué d'un côté par un rideau d'arbres et situé de l'autre le long du périphérique, plus l'inachèvement devient frappant. Arrivé au bout, ledit piéton aperçoit une pelleteuse, signe qu'on demeure loin des finitions. Les derniers oiseaux ne sont pas prêts de se voir posés sur leur armature...
Un architecte martyr?
Les articles flagorneurs n'en célèbrent pas moins le grand homme, transformé en martyr par certains. «Nouvel est un prince érodé par la vie», ai-je lu dans «Vanity Fair», alors qu'il s'agit ni plus, ni moins, d'un mégalomane brouillé avec les comptes. «Les architectes ont perdu le pouvoir depuis trente ans dans ce pays», se plaint le génie incompris dans le même article, publié en 2013. On sait qu'il a depuis refusé d'assister à l'inauguration. Il lui faut encore des sous. Soyons justes. Le tandem Herzog et DeMeuron a dépensé 850 millions d'euros pour une Philharmonie de Hambourg se situant encore dans les limbes. Quant à celle de Valence (Espagne), livrée en 2007 pour 400 millions d'euros, elle a exige déjà 250 millions de travaux de réfection.
A combien en sommes-nous, au fait, de millions, pour cette Philharmonie presque banlieusarde voulue depuis trois décennies par un Pierre Boulez tutoyant désormais l'éternité? A 386, apparemment. L'Etat paie le 45 pour-cent, le département 10 pour-cent, la Ville 45 pour-cent. Mais le «Canard enchaîné» a soulevé un lièvre en 2014. Les millions de la Ville de Paris n'ont jamais été budgétés. Il y a eu un emprunt discret effectué en créant une association ad hoc. Un montage financier non seulement illégal, mais douteux. Le taux à verser serait du coup de 5,2 et non de 3,5. Vous me direz qu'au point où on en est, quelle importance?
Le bâtiment s'imposait-il vraiment?
Les fausses notes les plus graves ne se situent pas là. Il ne s'agit plus du "chef-d’œuvre de Jean Nouvel", un peu caché par la Cité de la Musique créée en 1995 par Christian de Portzamparc (et un brin réparée depuis). D'aucuns contestent sa nécessité. Il s'agit là d'un projet volontariste. Il faudra remplir la jauge. Or Pleyel, Gaveau et Radio France restaient déjà vides à 30 pour-cent. Il se prévoit en prime une nouvelle Cité de la Musique dans l'Ile Seguin. Peut-on faire un tel pari sur le symphonique, alors que les jeunes générations s'en détournent un peu, voire même beaucoup? Du coup, il faut tricher. Je ne vous raconterai pas ici le feuilleton de la Salle Gaveau, revendue par l'Etat en 2014 avec interdiction d'y jouer du classique. Un tel ukase frôle la démence. Qui veut-on tuer au profit de quoi?
Et pendant ce temps, Genève, qui n'en manque pas une, se met à rêver d'une Cité de la Musique. Un comité vient de se former afin de la matérialiser. Musée d'art et d'histoire agrandi, Nouvelle Comédie, Maison de la Danse, Cité de la Musique même combat?
Photo (AFP): La journée du public le 18 janvier.
Prochaine chronique le vendredi 6 février à l'Ariana. Trois céramiques d'âge sont proposés par le musée genevois: Artigas, Chapallaz et de Montmollin.
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PARIS/La Philharmonie bruisse de fausses notes