Sa gloire est posthume et littéraire. Pour d'innombrables lecteurs, la comtesse Greffulhe (1860-1952) est devenue la duchesse de Guermantes selon Proust, même s'il s'agit là d'un personnage composite. La comtesse de Chevigné (grand-mère de l'extravagante mécène Marie-Laure de Noailles) a également servi à l'écrivain pour imaginer le personnage de cette aristocrate «par excellence» dans le Paris d'avant 1914.
Née Marie Joséphine Anatole Louise Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay (ouf!), Elisabeth Greffulhe n'appréciait guère le portrait qu'avait fait d'elle Marcel Proust. A la fin de sa vie, elle soutenait du coup l'avoir à peine connu, ce qui était un évident mensonge. En fait, comme l'insinue à Paris le Palais Galliera, la comtesse n'aimait pas la superficialité et la mondanité abusive d'Oriane de Guermantes. Elle pensait valoir mieux que ça. A juste raison, d'ailleurs.
Une icône de la mode
Evidemment, vu que nous sommes dans un musée de la mode, la frivolité joue un certain rôle dans cette exposition très réussie. Elisabeth fut une icône des années 1880 à 1914. Sur le tard, sa silhouette intacte lui permit de s'habiller chez Jeanne Lanvin comme chez Maggy Rouff. En 1944 encore, alors qu'elle avait 84 ans, la comtesse arborait les extravagants bibis nés sous l'Occupation, quand les chapeaux échappaient aux restrictions dictées par les Allemands et le gouvernement de Vichy. On notera, au chapitre couture, qu'Elisabeth Greffulhe n'avais pas la morgue d'Oriane de Guermantes. Il suffit de lire la lettre de félicitations écrite à Jeanne Lanvin pour sa promotion dans la Légion d'Honneur. Elle salue la femme courageuse, partie de rien, comme l'artiste.
Petit à petit confiée au Musée, qui dépend de la Ville de Paris, par la famille des Gramont (ses héritiers depuis le mariage de sa fille unique, Elaine, avec un futur duc de ce nom), les robes n'en apparaissent pas moins fabuleuses. On pense à la tenue «byzantine» créée en 1904 par Worth avec broderies pailletées sur lamé et bordures de fourrure. Ou encore à la «robe aux lys», avec laquelle elle posa pour Nadar, dont elle avait fait son professeur de photographie. Il s'agit là de tenues en dehors de toute mode. L'écrivain Robert de Montesquiou, le cousin préféré d'Elisabeth, racontait qu'elle commençait par se faire montrer tout ce qui se créait en matière de nouveautés. Elle concluait alors: «Faites moi ce que vous voulez, mais pas ça.»
Les débris d'une garde-robe
Ce que les visiteurs découvrent au Palais Galliera, ce sont cependant les débris d'une garde-robe. Elisabeth Greffulhe est loin d'avoir tout conservé. On ne connaît la plupart de ses vêtement que par des photos et les factures, pieusement conservées. En bonne logique, l'essentiel date des années 1920 et 1930. Le reste a sans doute été détruit. Aucune trace ainsi de la robe de Madame Tallien, son arrière grand-mère qui joua un rôle décisif sous la Révolution. Elisabeth l'a mise pour poser par jeu devant l'objectif, vers 1890. Qu'en a-t-elle fait par la suite?
L'exposition insiste à bon droit sur le reste de sa personnalité. Mal mariée à 18 ans avec un homme immensément riche, qui se révélera aussi volage que brutal, la ravissante Elisabeth Greffulhe s'intéressait à tout. Pianiste, elle tiendra un salon musical recevant tout ceux qui composent, de Gabriel Fauré à Stravinski. La comtesse sera le premier soutien du virtuose Arthur Rubinstein. Aimant danser, elle financera en partie les Ballets Russes de Diaghilev. Passionnée de science, elle soutiendra Branly et s'activera pour que Marie Curie ait enfin les moyens de ses recherches. Audacieuse en politique, cette aristocrate soutiendra contre tout son milieu monarchiste et catholique l'innocence du capitaine Dreyfus. Peintre amateur, assez douée du reste, elle se fera enfin l'admiratrice de Gustave Moreau.
Morte à Genève en 1952
Après 1918, la femme n'en fait pas moins partie du passé. Ses rapports se distendent avec sa fille, très conformiste et très bigote, qu'elle a longtemps éclipsée. En 1932, le comte meurt enfin. Mais une de ses maîtresses, Madame de la Béraudière, a des prétentions sur l'héritage, d'où procès et scandale. Elisabeth n'abdique pas pour autant. Elle consent à inaugurer l'exposition Proust pour les 25 ans de sa mort en 1947. En 1952, elle part pour un voyage en Suisse. Elle meurt à Genève, le 21 août, à 92 ans. Debout.
Fin de l'exposition aussi, remarquablement mise en scène et éclairée. Elle aurait sûrement plu à l'intéressée. Pour les visiteuses du XXIe siècle, il s'agit déjà d'une femme libre, en dépit du respect des carcans sociaux (1). «La vie est un citron, il faut presser ce qu'il y a dedans», disait Elisabeth Greffulhe.
(1) Elisabeth ne signera pas ses tableaux, refusera que les photos qu'elle met en scène circulent. Elle gardera dans un tiroir son texte sur les droits qu'il faudrait donner aux femmes.
Pratique
«La mode retrouvée», Palais Galliera, 10, rue Pierre Ier de Serbie, Paris, jusqu'au 20 mars. Tél. 00331 56 52 86 00, site www.palaisgalliera.paris.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu'à 21h. Photo (Palais Galliera): Elisabeth Greffulhe par Otto, vers 1885. La comtesse mettait en scène ce genre de photographies, dont elle limitait cependant la circulation.
Prochaine chronique le dimanche 29 novembre. Giacometti. Un livre et une exposition à Londres.
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PARIS/La comtesse Greffulhe, une vie au Palais Galliera