Ovide et ses mythes. Le Musée d'art et d'histoire genevois subit des "Métamorphoses"
L'accochage part des réserves. Il fait découvrir un certain nombre de peintures, dont le spectaculaire "L'Enfance de Bacchus" de Charles Giron. Il y a hélas aussi les textes...

"L'Enfance de Bacchus", un immense tableau sorti des caves.
Crédits: Flora Bevilacqua, Musée d'art et d'histoire Genève 2019.Oh la la... Je reviens de
«Métamorphoses» au Musée d'art et d'histoire de Genève. Une
présentation que l'institution se garde bien d'annoncer
avec un calicot, ou tout au moins une affiche. Le visiteur croit
presque entré dans la clandestinité en pénétrant au second étage
dans l'immense salle proposant cet accrochage cosigné par Elisa de
Halleux et Ingrid Comina. Et, s'il n'a pas su prendre dans le hall au
bon endroit le dépliant, il ignorera qu'à quelques cabinets de là
se trouvera en prime une présentation de gravures sur des sujets comme
il se doit inspirés par le poète Ovide: Goltzius, Blomaert, Léon Davent,
Anthonie Waterloo...
Je ne sais pas si vous avez jamais lu cette suite d'histoires (il y a plus de 230), écrites par le Latin il y a quelques deux mille ans. Il n'est question dans "Les Métamorphoses" que de mortels se faisant rouler par des dieux aussi jaloux que méchants. Les Anciens pratiquaient une théologie de la peur. Si les humains n'obéissaient pas aux divinités, s'ils avaient l'imprudence d'entrer en compétition avec eux, ils finissaient mal. En général sous une forme animale. Notez que bien des siècles plus tard, Blaise Pascal disait: «qui veut faire l'ange fait la bête.» Le tout retrouve assorti chez Ovide (ce n'est pas tout à fait le genre du philosophe français!) de copulations qui feraient aujourd'hui hurler tant les moralistes que la SPA. Léda se fait empapaouter par un cygne. Europe fricote avec un taureau, tout comme Pasiphaé. Ganymède subit pour sa part du rentre-dedans par un aigle, ce qui semble fort peu convenable pour un jeune berger sans doute mineur.
Une étonnante fortune visuelle
Dans l'Antiquité et dès la
Renaissance, ces historiettes volontiers salaces ont connu une
étonnante fortune visuelle. On ne compte plus les peintres et les
sculpteurs partis sur les traces de la méchante Diane, du solaire
Apollon ou de cet alcoolique bon teint qu'est Bacchus. Les caves du
Musée d'art et d'histoire contiennent donc nombre de représentations
de ces légendes sans cesse ravivées. Certaines versions se révèlent
d'ailleurs assez récentes, d'autant plus que les deux commissaires
ont ratissé large. Parler d'Ovide à propos de Markus Raetz, c'est à
mon avis envoyer assez loin le bouchon. Il n'empêche que le XXe siècle a
gardé à l'écrivain son actualité. C'est l'occasion de
découvrir un bel André Masson des années 1920, acheté en 1968, un
Kurt Seligmann de 1944, déposé par la Fondation Gottfried Keller en
1983, ou une toile de Maurice Barraud de 1940, acquise l'année
dernière. Et moi qui croyais ingénument que le MAH n'avait plus de
budget pour accroître ses collections depuis un quart de siècle!

Sur le plan plastique, le visiteur n'a donc pas à se plaindre. Il y a ici de jolis morceaux, plus quelques inédits. Je pense surtout au spectaculaire «L'enfance de Bacchus» peint par le Genevois Charles Giron (1850-1914) en 1879 et immédiatement entré au musée. Son esquisse a passé l'an dernier aux enchères chez Piguet, sans que le MAH se manifeste. Il s'agit d'une immense composition de Salon parisien, récemment restaurée. Elle fait penser que l'artiste suisse mériterait une rétrospective. Une exposition à organiser sérieusement, au lieu d'un de ces machins simili transversaux. Je suis aussi content d'avoir découvert la paire de petits Tischbein, entrée dans le fonds dès 1849, ou l'intéressant «Enlèvement d'Hélène» baroque. L’œuvre d'un anonyme lombard, ai-je lu. Il devait pouvoir se voir identifié aujourd'hui, vu le nombre de chercheurs travaillant sur la question.
Un galimatias
Il y a malheureusement le texte... Je
veux dire par là les panneaux explicatifs. Putain, les textes!
Difficile de faire plus éloigné du public populaire officiellement
recherché par le MAH. Cette prose sent l'universitaire à plein nez. Au lieu de simplement raconter les
histoires représentées à un visiteur qui s'est depuis longtemps
éloigné des sources grecques et latines, on lui balance plein de
grands mots dans la gueule. Je cite. «Le corps de l'être métamorphosé
subit une succession de mutations et une hybridité provisoire,
tandis que son identité subsiste. Il y a continuité existentielle
et discontinuité corporelle. Cet événement surnaturel induit un
nouvel ordre étiologico-poétique.» Au secours! Où est la sortie?
On n'a selon moi pas le droit de faire d'une part des «afters» avec
«speed-datings» (en attendant sans doute d'ouvrir une maison de
passe) et d'imposer de l'autre aux gens ce genre de galimatias.

A part cela le MAH devrait voir cet automne la suite de son accrochage du second étage renouvelé. Lada Umstätter fera sans doute aussi bien que pour la première mi-temps, inaugurée en 2018. Pour l'instant, c'est la consternation dans ces salles en devenir. On ne compte plus les tableaux en restauration ou en déplacement. Les murs ont l'air bouffé aux mites, ou plutôt aux mythes. Après l'été, on devrait aussi connaître le nom de l'heureux (ou de l'heureuse) lauréat(e) du poste de directeur. Le ou la successeur(e) donc de Jean-Yves Marin, qui s'accroche à son poste comme la tique à son chien (1). Selon mes sources, on en arriverait ces jours au duel final. Une paire de candidats serait en lice, tous deux suisses, mais avec un profil très différent. Je ne peux en dire plus. Je ne saurais en revanche affirmer si c'est le gagnant ou le perdant qui aura eu le plus de chance. Il lui faudra nettoyer, pour en rester à la fable antique, les écuries d'Augias. Comme Hercule!
(1) Je précise que la tique est un animal aussi respectable que les autres. Pas de spécisme!
Pratique
«Métamorphes», Musée d'art et d'histoire, 2, rue Charles-Galland, Genève, jusqu'à la fin de l'année. Tél. 022 418 26 00, site www.mah-geneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h Entrée libre.