Orsay se penche à Paris sur "Le Talisman" dicté par Gauguin à Paul Sérusier en 1888
Cette année-là, Sérusier réalise un tout petit tableau en Bretagne sous l'influence de son maître. Autour de ce panneau, le musée réalise aujourd'hui une intéressante exposition-dossier.

"Le Talisman". Vingt-sept centimètres de haut seulement!
Crédits: RMN, Musée d'Orsay, Paris 2019.Ce n'est pas une découverte. Il s'agit
d'un rappel utile. Si «Le Talisman» a bien fait l'objet en 1988
d'une exposition en 1988 à Saint-Germain-en-Laye, où se trouve le
Musée Maurice-Denis, nous attendons encore la grande exposition Paul
Sérusier (1864-1927) dans la capitale française. Les hommages à
l'un des Nabis pourtant les plus connus demeurent rares. Je pourrais citer
celui de Morlaix, où il est mort, en 1987. Pont-Aven, où il a
travaillé en 1888 et 1889, lui en a dédié un autre en 1991. Depuis
rien, même si nombre de ses œuvres de jeunesse trônent en gloire
au Musée d'Orsay à côté de celles de Paul Gauguin.
C'est précisément Orsay qui remet la compresse pour «Le Talisman» de Sérusier. On le comprend. Son entrée en 1985 avait certes été saluée. Il s'agissait là d'un tableau significatif de l'art français de la fin du XIXe siècle, dans la mesure où il avait été peint au Bois d'Amour sous dictée de Paul Gauguin durant l'été 1888. L'aîné voulait donner une leçon (pour une fois bienveillante) au cadet. Ce dernier devait abandonner son art purement descriptif au profit d'une synthétisation colorée. Un tableau comme «Intérieur à Pont-Aven», présenté en regard à Orsay, conservait un côté académique. Il flattait le sujet à la manière du Salon les arts et traditions populaires. Il faut dire que, longtemps enclavée, la Bretagne gardait à l'époque un côté réserve d'Indiens. Tout y paraissait différent, et en cela «épargné par la civilisation moderne». On n'y parlait même pas toujours le français!
Echos différents
Sérusier a donc peint ce panneau qu'il
a précisément ramené avec lui à Paris. Ce jeune homme formé aux
humanités grecques et latines par le prestigieux Lycée Condorcet
s'était converti avec lui à la sauvagerie et à la rusticité. Ces
condisciples, qui allaient devenir les Nabis (ou prophètes en
hébreu) se montrèrent admiratifs. Il y avait par ailleurs foule de
peintres, parfois même américains, en Bretagne. Cela dit, tous ses
amis n'embrayèrent pas le pas. Le groupe possédait quelque chose
d'informel. Le cours de synthétisation sera perçu autrement par
Pierre Bonnard ou Edouard Vuillard, qui en ont surtout retenu les
aplats colorés. Cela dit, il conviendrait de se pencher une fois sur
les Nabis mineurs. Ceux dont on ne parle jamais, même au Musée
Maurice-Denis de Saint-Germain-en-Laye, aujourd'hui en travaux. Quid d'Armand Seguin ou
d'Henri-Gabriel Ibels?

«Le Talisman» est par la suite devenu un mythe. Avec ce que la chose suppose d'irréalité. Il est entré dans la collection de Maurice Denis, le plus religieux des prophètes Nabis. La carrière ultra-catholique du peintre marine en effet dans l'eau bénite. Comme le montre une photo du catalogue de l'actuelle exposition d'Orsay, proposée par Claire Bernardi et Estelle Guille des Buttes-Fresneau, Denis possédait plusieurs œuvres de Sérusier, dont il a défendu la mémoire après 1927. Il a ainsi prêté pour la première fois en 1943, l'année de son décès, «Le Talisman» à une galerie privée parisienne. Les gens les moins préoccupés par la guerre et l'Occupation ont ainsi pu voir de leurs yeux ce petit panneau à l'apparence modeste.
Un espace resserré
C'est justement cette taille restreinte
(27 centimètres sur 21,5) qui a poussé à l'actuelle exposition du
musée, aujourd'hui placé sous la houlette de Laurence des Cars. Les
visiteurs risquent facilement de passer à côté. Il y a tant à
voir à Orsay, dont l'accrochage se modifie en plus sans cesse! Les
deux commissaires, la seconde s'occupant du Musée de Pont-Aven, ont
eu carte blanche pour montrer cette exaltation de la couleur pure.
Elles ont livré une sorte de dossier, situé dans une galerie du
rez-de-chaussée. Un espace un peu resserré, en forme de corridor.
La tentation était de bourrer, afin de montrer beaucoup de choses.
Les deux femmes y ont un peu succombé. Elle se tirent néanmoins
d'affaire en établissant comparaisons et filiations. Il y a ici
Gauguin, bien sûr, avec «Les meules», «Au-dessus du gouffre»ou
la «Fête Gloanec». Mais aussi Maurice Denis, Emile Bernard, Jan
Verkade, Edouard Vuillard, Charles Laval ou Georges Lacombe. Plus des
Sérusier, bien entendu! Beaucoup de Sérusier.
La question qui se pose après cette instructive exposition-dossier, comme le Louvre n'en organise hélas plus depuis l'arrivée au pouvoir de Jean-Luc Martinez, est la suivante. Faut-il ou non qu'Orsay organise, sur place ou dans son strapontin de l'Orangerie, une rétrospective Paul Sérusier? On sait que l'institution l'a fait en 2014-2015 pour son ami Emile Bernard. Un créateur génial à 20 ans, en 1888, quand il dépassait Gauguin sur son propre terrain breton. Le résultat avait été à la démesure des espérances. Après cinq années prodigieuses, Bernard était retombé toujours plus profondément dans l'ornière académique. En irait-il de même pour son condisciple?

Je vous rassure tout de suite. Pas du tout! Non seulement les toiles aujourd'hui accrochées sont fort belles (je pense à «La barrière» comme à «Les laveuses à la Laïta»), mais il y a des choses passionnantes par la suite. Elles vont des «Tétraèdres» de 1910 au «Cylindre d'or» de la même époque. Les abstractions des années 20 restent intéressantes. Et il y a encore beaucoup de choses à découvrir. Il suffit pour cela de regarder le catalogue en ligne (environ 250 œuvres) du Comité Sérusier sur www.comite-serusier.com. Il faudrait par conséquent retrousser ses manches et se mettre au travail. Il y aura cette fois un résultat positif.
Pratique
«Le Talisman, Sérusier», Musée d'Orsay, 1, place de la Légion-d'Honneur, Paris, jusqu'au 2 juin. Tél. 0031 40 49 48 14, site www.musee-orsay.fr Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 17h45, le vendredi jusqu'à 21h45. L'exposition ira ensuite au Musée de Pont-Aven du 30 juin au 29 octobre,