
C’est une double histoire que nous raconte aujourd’hui le Musée des beaux-arts d’Orléans. L’une tient du roman historique, avec retraite de Russie et incendie de Moscou. «Guerre et paix» en miniature, quoi! L’autre constitue un vrai polar. Comment les 91 dessins récemment acquis par l’institution ont-ils échappé à la destruction, puis à la dispersion? Une affaire qui passionne, visiblement. Même si nous sommes ici dans la ville de Jeanne d’Arc, bien loin des grands circuits du tourisme d’art, «Le Figaro» vient de consacrer non pas un, mais deux articles aux Delaperche. Des inconnus même s’ils sont cités, comme des milliers d’autres créateurs tout aussi obscurs, dans cette bible régulièrement actualisée qu’est le Bénézit. Un dictionnaire en je ne sais plus combien de tomes.
Je commence par la partie policière. En avril 2017 apparaissait aux Puces de la Serpette (des puces parisiennes luxueuses, bien loin de celles que nous connaissons à Genève ou à Lausanne) un lot de feuilles aux sujets étonnants. Emmanuel Rocher, qui tient là sa boutique, trouve une signature sur quatre d’entre eux. Il y a aussi des dates (1812,1815…) et des localisations. Exotiques. Son Bénézit lui dit que Jean-Marie Delaperche est né à Orléans. Il contacte donc le musée de cette ville apparemment un peu endormie. Coup de chance, mais il le sait sans doute! L’institution est dirigée depuis plusieurs années par Olivia Voisin, qui avait auparavant fait ses preuves à Amiens. Il s’agit d’une archi-dynamique, dont la force de conviction a déjà permis non seulement la réfection des salles, jusque-là poussiéreuses, mais de nombreux achats. Olivia sait trouver de l’argent avec l’habileté d’une prestidigitatrice.
Recherche de fonds
La somme demandée se révèle assez conséquente, vu l’ampleur du lot. C’est 100000 euros, et des marchands en vue tournent autour des meilleurs Delaperche. L’apparition de fonds antérieurs au XIXe siècle est en effet devenue extrêmement rare. Elle aboutit en général à un total émiettement, sans même parfois que l’ensemble soit photographié et pourvu d’un cachet permettant les identifications ultérieures. C’est ce qui est arrivé dans les années1980 au Rouennais Anicet Lemonnier. Olivia Voisin envisage bien, elle, d’acheter le tout. Elle va donc se lancer dans une opération de recherches de fonds. Un financement en partie participatif (pour 32 000 euros). Il va réussir. La femme a su créer une dynamique.127 personnes y participeront, certains pour quelques dizaines, d’autres pour des milliers d’euros.

Le sujet allégorique choisi pour l'affiche. Photo Musée des beaux-arts d'Orléans, 2020.
Le musée doit parallèlement organiser des recherches historiques. Qui est Jean-Marie Delaperche, né à Orléans en 1771? La directrice imagine déjà une exposition pour 2020. C’est celle qui a aujourd’hui lieu. Cette dernière se présente pourtant comme un état actuel (et donc provisoire) des investigations. Les investigations se sont révélées plus compliquées que prévu. Ont émergé en prime deux autres artistes. Il y a Thérèse, la mère de l’Orléanais, pastelliste et miniaturiste. Et Constant, son frère cadet (il est né en 1780), à la vie un peu plus calme. La trajectoire de Jean-Marie passe en effet longuement par la Russie de Catherine II, puis des guerres napoléoniennes. Il était allé là-bas chercher fortune (la tsarine aimait les artistes) avant de se retrouver ainsi que Thérèse et Constant «face aux tourments de l’histoire», comme dit si bien le sous-titre de la manifestation.
Voyageur de commerce
L’accrochage ne se contente du coup pas de présenter des œuvres, même si celles-ci sont spectaculaires. Il raconte aussi trois destins commençant gentiment en province pour continuer à Paris, où la Révolution n’est pas favorable à ces royalistes. Le père militaire, se voit alors incarcéré. La mère le sauve habilement. Mais c’est une misère générale pour les artistes, quasi privés de clientèle. Constant devient même voyageur de commerce pour les champagnes Ruinart, qui existent déjà. Les archives de la maison l’ont prouvé. Un passeport retrouvé a fait le lien. Il s’agit bien du même Constant. Orléans est en effet parvenu à dénicher des archives familiales. Tous les indices ont ainsi pu se voir pris en compte. On sait du coup par des mémoires que deux fils de Jean-Marie sont morts gelés dans la retraite de Russie en 1812, après que leur père les a confiés à un militaire gradé de sa connaissance. On apprend également par la bande que Jean-Marie fut ensuite précepteur chez les Venevitinov, dont le fils Dimitri (1805-1827) allait devenir un écrivain célèbre. Un livre publié en Russie contient même des gravures d’après ses dessins.

Un autre sujet compliqué, mais tout de même plus aimable. Photo Musée des beaux-arts d'Orléans, 2020.
Tout finit pour Jean-Marie par un retour au pays. Constant y a trouvé depuis longtemps sa place chez les Rohan-Chabot à La Roche-Guyon. Sa situation semble bonne. Pour Jean-Marie, c’est en revanche l’amertume, le vieillissement et la misère. Quand il meurt en1843, la même année que Constant (une sorte de jumeau), avec lequel il échangeait une correspondance en partie montrée à Orléans, son héritage se monte à 128 francs. Des francs or, bien sûr. Mais c’est tout de même extrêmement peu… Thérèse a elle disparu en1814. Apparemment encore active. Le père, dans une sorte d'asile, en 1817.
En orme catalogue
Un énorme catalogue fait le point actuel. Il compte 374 pages, et le travail reste donc en cours. Il semblait cependant important que l’exposition ait lieu maintenant. Il ne faut jamais trop tarder. Olivia Voisin sait bien faire les choses. Le parcours qu’elle a imaginé se faufile dans un décor de Nathalie Crinière, créé dans la difficile grande salle en sous-sol. Il se déroule sans faille. Toujours passionnant. Du reste, le public se révèle nombreux. La directrice possède autant de faire-savoir que de savoir-faire. La presse nationale suit donc, travaillée au corps. Il y a même deux ou trois affiches dans le métro parisien. En d’autres termes, on en parle. Orléans a gagné son pari patrimonial (un patrimoine franco-russe), qui paraissait difficile. Comment créer le «buzz» avec un sombre inconnu, mort il y a près de deux siècles? Eh bien, la réponse est là. En racontant une histoire. En créant l’événement. Un évènement tout de même facilité par la qualité de l’œuvre.
Je me rends maintenant compte qu’il faut que je vous parle dans un second article des dessins eux-mêmes. La suite un article plus bas dans le déroulé de cette chronique...
Pratique
«Jean-Marie Delaperche, Un artiste face aux tourments de l’histoire», Musée des beaux-arts, 1, rue Fernand-Rabier (c’est à côté de la cathédrale), jusqu’au 14 juin. Tél. 00332 38 79 21 83, site www.orleans-metropole.fr/le-musee-des-beaux-arts Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le vendredi jusqu’à20h.
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Orléans fait connaître au grand public le très oublié Jean-Marie Delaperche
En 2017, 91 oeuvres de cet Orléanais apparaissaient chez un marchand des puces parisiennes. Le musée a tout racheté. Il a aussi enquêté. L'exposition est passionnante.