Ce fut l'un des grands coups d'audace de Juliane Cosandier, quand elle dirigeait l'Hermitage de Lausanne. La Genevoise avait présenté Auguste Chabaud en 2000. Un parfait inconnu pour beaucoup. Il y avait là cent tableaux et cinquante dessins d'un homme ayant intéressé en son temps Josef Müller, l'ancêtre des collections Barbier-Mueller, et Oscar Ghez, fondateur à Genève du Petit Palais. Un musée privé fermé depuis si longtemps au public qu'on pourrait aujourd'hui dire qu'il convenait parfaitement à ce peintre de maisons closes. La rétrospective avait beaucoup voyagé, mais dans des villes périphériques. Avant ou après Lausanne, elle a passé par Dessau, Wiesbaden, Emden, Coblence, Padeborn et Maastricht. Chabaud reste un goût plutôt nordique.
Auguste Chabaud se retrouve aujourd'hui chez lui, à Nîmes. Rouvert le 12 juillet après cinq mois de travaux, le Musée des beaux-arts offre à l'un de ses peintres l'étage du bas. Il y a là un peu moins d’œuvres qu'à Lausanne, présentées de manière plus modeste. L'institution n'est pas l'enfant chérie de la Municipalité. Elle lui préfère le Carré d'Art, voué au contemporain, et maintenant le Musée de la Romanité (je reviens sur le Musée des beaux-arts dans un autre article, suivant immédiatement celui-ci dans le déroulé de cette chronique au long cours). Les pièces de Chabaud présentées permettent cependant de se faire une idée sur cet artiste qui a choisi de quitter Paris en 1919. Les dernières décennies ne se voient pas occultées. Elles correspondent pourtant moins à l'idée un peu restrictive que l'on se fait de la modernité. C'est un retour simultané à la Provence et à un certain classicisme.
Période parisienne
Chabaud est donc né à Nîmes en 1888. Famille protestante, avec un père pasteur. Au pied des Cévennes, Nîmes a d'ailleurs longtemps abrité une minorité calviniste aujourd'hui résiduelle. Notons cependant que Claude Viallat, qui a rendu en 2003 un hommage appuyé à son prédécesseur (l’œuvre est du reste présente dans l'exposition) provient du même milieu religieux. Les Chabaud sont parallèlement vignerons. Une activité lucrative jusqu'à la grande crise du phylloxera, qui frappe le Sud de la France en 1900. Il s'agit là d'une petite bête destructrice, venue d'Amérique. Elle ruinera les Chabaud. Le père mourra en 1901. C'est finalement un frère d'Auguste qui reprendra et redressera le domaine.
Car Auguste a voulu devenir peintre! Il s'est formé à Avignon, puis à Paris, en entrant dans l'atelier de Fernand Cormon. Beau peintre académique (Orsay expose son gigantesque «Caïn»), l'homme a déjà vu passer dans ses classes Van Gogh, Emile Bernard ou Toulouse-Lautrec. Quand Chabaud débarque chez lui en 1899, il vient de recueillir les élèves de Gustave Moreau, décédé en 1898. Chabaud va donc se retrouver en compagnie de Matisse et de Derain, ce qui le fera participer à l'aventure fauve. Un fauvisme ici social, proche du premier Van Dongen ou d'un certain Rouault. Nous sommes avec Chabaud dans le Montmartre de la prostitution nocturne. S'il y a des couleurs qui hurlent, ce seraient davantage les noirs et les bleus que les rouges et les jaunes. Quoique... Les maquillages apparaissent outrés comme chez Kupka.
Retour en Provence
Cette période fauve suit des voyages comme marin le long des côtes du Sénégal et du Dahomey. Elles prolongent aussi un service militaire accompli comme zouave (l'uniforme figure dans l'exposition) en Tunisie, dont il a beaucoup regardé les mauvais lieux. On se demande ce qu'on aura pensé sa famille... Chabaud atteint vite les limites de la violence alors admise en art. Une telle intensité ne saurait durer. L'homme finit par revenir dans le Sud. Il s'installe à Graveson. Un village dont une maison lui sert de nos jours de musée. Il continue ici à peindre, loin des miasmes de la capitale. Les paysannes remplacent les prostituées. Elles se voient traitées avec la même brutalité. Tout se voit maintenant traité dans des masses de bleu de Prusse, utilisé presque à l'état pur.
Chabaud constitue alors un marginal par rapport au monde de l'art. Un attardé aussi sans doute, lui qui s'était pourtant essayé au cubisme en 1911. Mais l'important, désormais, c'est "l'authenticité". De montrer la vie des champs telle qu'elle est, avec un regard personnel, sans tomber dans les clichés. Soyons justes. L'exposition proposée par le Musée des beaux-arts s'attarde moins sur cette époque que sur les années 1900-1914. L'impasse se voit même faite sur la fin. Difficile de vraiment savoir à Nîmes ce que Chabaud a bien pu peindre après 1930, alors qu'il lui reste encore un quart de siècle à vivre. L'homme est mort à 73 ans en 1955 dans son mas de Graveson.
Très inégale, l'exposition possède un indéniable mérite. Celui de montrer un artiste important que l'on ne voit pas. Ou peu. C'est pourtant mieux, dans le genre fauve, que du Manguin ou du Camoin. A Nîmes même, le dernier hommage au peintre date de 1989. Ailleurs, c'est le grand vide. Il me semble pourtant que Beaubourg a montré une fois un Chabaud...
Pratique
«Auguste Chabaud, La couleur profonde», Musée des beaux-arts, rue de la Cité Foulc, Nîmes, jusqu'au 21 octobre. Tél. 00334 66 76 71 82, www.nimes.fr Ouvert tous les jours sauf lundi de 10h à 18h.
Photo (Succession Auguste Chabaud/Musée des beaux-arts, Nîmes 2018): L'une des compositions provençales d'après 1920.
Un petit article sur le musée des beaux-arts de Nîmes suit immédiatement.
Prochaine chronique le jeudi 16 août. Retour sur le Musée historique de Lausanne avec Laurent Golay.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
NÎMES/Le Musée des beaux-arts fait rugir le fauve Auguste Chabaud