Voilà une exposition qui ouvre l'appétit... et le ferme. «Manger», que l'on peut voir depuis la fin novembre au Muséum de Neuchâtel, n'élude aucun aspect du sujet. Rythmée par les chansons des Petits chanteurs à la gueule de bois, cette «mécanique du ventre» fait ingérer, digérer et expulser. Nous voici très loin du puritanisme ambiant faisant qu'on a mal à la tête, aux genoux, à la gorge et aux pieds. Mais rarement entre les deux. Il faut avoir un cancer carabiné, ce qui est tout de même grave, pour oser s'exprimer sur les autres aspects du corps. Ici au moins, l'équipe de Christophe Dufour y va carrément. «A partir d'où un rot devient-il un pet?» Grave question...
De multiples thèmes s'entrecroisent donc au Muséum. Le parcours traite aussi bien des animaux que de l'homme, ce prétentieux prétendant n'en plus faire partie. Le propos tourne aussi bien autour de la belette d'Europe, absorbant en nourriture chaque jour le tiers de son poids, que des vers qui un jour nous dévoreront tous (ils se contentent, dans la vidéo ici présentée, d'un cochon). Aux problèmes culinaires posés par «le goût des autres» (mangerions-nous de bon cœur du criquet ou du crocodile?) succèdent ceux posés par la sortie du corps. On retrouve ici les préjugés que j'évoquais plus haut. Un reportage photographique Marco Volken montre les affreux WC installés sur les massifs alpins suisses. Le respect des convenances a ici passé avant l'esthétique.
Scénographie remarquable
Deux aspects relèvent ce que la manifestation pourrait avoir de trivial. La première est la scénographie réglée par une petite équipe sous la direction d'Anne Ramseyer. Elle sait d'un coup mettre en images des concepts parfois complexes. Je pense à la chambre au décor en forme de tripes (un aliment aujourd'hui déconsidéré). Je songe aux murs blancs utilisés pour évoquer les régimes, souvent aussi absurdes que contraignants, infligés aux croyants comme aux femmes avides d'une minceur confondue avec le bien-être ou la séduction. La salle à manger initiale n'est pas mal non plus, avec ses rideaux rouges. Elle rappelle que le repas tient du cérémonial, quand il ne s'agit pas d'une grande bouffe (mais le film de Marco Ferreri ne se voit pas invoqué).
L'autre aspect frappant est la qualité du discours. Dans ce dédale où s'entrechoquent les images, il se glisse beaucoup d'idées. Et claires, en plus! Un objet, un os, une bébête peuvent permettre de multiples questions. Pourquoi ci? Et pourquoi pas ça! L'équipe de Christophe Dufour débusque souvent l'idéologique sous l'alimentaire. Chacun (chez les humains tout au moins) mange à la manière de son temps et de son milieu, avec aujourd'hui d'inquiétantes incursions politiques et intellectuelles. Si le «faut-il manger pour vivre ou vivre pour manger?» remonte pour le moins à «L'avare» de Molière, le refrain lancinant devient ainsi, depuis quelques décennies, «peut-on tous manger sans tout manger?»
Passage de témoin
Durable, puisque «Manger, La mécanique du ventre» ne se terminera qu'un novembre, l'exposition restera la dernière montée en ces lieux par Christophe Dufour, après «Poules» (2005), «Parce queue» (2009) ou «Donne la patte» (2013). Le directeur prend sa retraite, remplacé dès maintenant par le Grenoblois Ludovic Maggioni. Il est donc temps de faite avec un lui un petit bilan, qui suivra immédiatement cet article. Ce sera d'autant plus facile qu'il se révèle largement positif.
Pratique
«Manger, La mécanique du ventre», Muséum d'histoire naturelle, 14, rue des Terreaux, Neuchâtel, jusqu'au 26 novembre. Tél. 032 717 79 60, site www.museum-neuchatel.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Photo (Muséum d'histoire naturelle): La salle des tripes, imaginée par l'équipe d'Anne Ramseyer.
Cet article est immédiatement suivi d'un entretien avec Christophe Dufour.
Prochaine chronique le vendrdi 6 janvier. Des nouvelles de "Genava", la revue des Musées d'art et d'histoire genevois.
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NEUCHÂTEL/Le Muséum décortique "la mécanique du ventre" avec "Manger"