Pour beaucoup de gens, le Musée d'histoire naturelle de Neuchâtel était incarné par Christophe Dufour. Un peu comme celui d'ethnographie, situé non loin de là, avait le visage jovial de Jacques Hainard. Après trente-six ans de service, Christophe Dufour s'en va pour ce qu'ont eut jadis appelé une retraite bien méritée. C'est l'occasion ou jamais de revenir sur un parcours qui a profondément modifié l'image qu'on se faisait d'une telle institution. Avec lui, il restait bien sûr des animaux empaillés et des fossiles, mais le lieu s'est ouvert à toutes sortes de problèmes de société. «Manger», qui met un point final à sa carrière, interroge ainsi le visiteur sur toutes ses pratiques alimentaires.
Christophe Dufour comment êtes-vous arrivé à la tête du Muséum? - Tout d'abord, il m'y fallu venir ici. Je suis Vaudois. On ne devient pas Neuchâtelois. Pour cela, il faut au moins deux générations. Je reste donc un émigré. Si je suis arrivé dans cette ville, c'est afin de faire mes études de sciences naturelles en 1973. Lausanne s'était endormie en ce domaine. Neuchâtel me semblait une Mecque. On pouvait tout y combiner, de la paléontologie à l'entomologie. Le savoir n'y était pas fragmenté. J'ai donc reçu une formation hyper large, ce qui s'est révélé bon pour diriger un musée. C'était un savoir à la Rousseau, avec études sur le terrain afin de comprendre les écosystèmes. Je vous parle là d'une époque devenue lointaine.
On voit aujourd'hui le pendant de Jacques Hainard. - Je suis entré en service un an après lui. Il m'avait fallu vaincre des préjugés. Pour les scientifiques, s'occuper d'un musée d'histoire naturelle tenait à l'époque de l'enterrement. Et pas de première classe, en plus! J'avais déjà travaillé au Muséum de Lausanne, logé à la Riponne. J'aurais pu y continuer. C'est là que je préparais ma thèse. Et puis, un concours s'est ouvert à Neuchâtel pour reprendre le Muséum. Je me suis inscrit. Comme ça. Pour voir. Et j'ai été engagé en 1980 pour l'année suivante. C'est un choix, ou plutôt un hasard, que je n'ai jamais regretté. Les choses ont toujours été passionnantes. Il faut dire que nous partions de très bas.
Comment les choses ont-elles évolué? - Par grignotage. Nous étions déjà dans l'ex-Ecole de commerce, qui restait partiellement en activité. Nous avons dû procéder par étapes. Une chance, finalement. Cela fait moins peur aux politiques. Ils nous répondaient pourtant régulièrement qu'il demeurait urgent d'attendre. Résultat, nous avons vraiment saucissonné le projet, ce qui l'a paradoxalement rendu plus coûteux.
Neuchâtel possède pourtant une riche tradition scientifique! - Et comment! Elle remonte au XVIIIe siècle. Contrairement à Lausanne ou Fribourg, Neuchâtel était une principauté ouverte sur le monde. Un peu comme la République de Genève. Cela supposait des contacts non seulement commerciaux, mais scientifiques. Neuchâtel se trouvait dans le giron de la Prusse, au temps du célèbre explorateur et naturaliste Alexandre von Humboldt. Les choses ont continué au XIXe. Louis Agassi est resté le premier savant de son temps jusqu'à ce que Darwin mette à bas ses théories de l'évolution. Je vous explique. Agassi imaginait qu'il y avait eu quatre Créations successives. Une idée un peu curieuse. Avec lui, c'était comme si Dieu tâtonnait. Son musée a continué de servir ensuite aux étudiants. Pour donner à voir un animal, il faut l'avoir dans ses collections. Voilà qui oblige à devenir encyclopédique.
Et après? - Eh bien, le musée s'étiole après 1918. L'Université repend les collections. C'est un véritable trou noir, qui dure jusqu'en 1960. Archibald Quartier reprend alors les choses en mains. C'était un personnage extraordinaire. Anarchiste. Libre-penseur. Cet inspecteur de la pêche, connu de tous, va pouvoir développer les dioramas au Collège latin. Il relance ainsi l'intérêt du public. C'est lui qui a obtenu des autorités le déménagement dans l'ancien bâtiment de l'Ecole de Commerce, qui devait être transférée au bord du lac. Je l'ai remplacé en 1981, mais avec d'autres conditions. Archibald Quartier venait deux après-midi par semaine. Grâce à un saut proprement sidéral, j'avais au départ droit à un mi-temps.
Il fallait donc marquer le coup. - J'ai eu la chance, à 27 ans, de pouvoir imaginer tout un musée en compagnie d'un architecte, Edouard Weber. Il avait déjà collaboré avec Quartier pour la salle des mammifères, ce qui donnait une unité à la conception. Il y avait au départ l'idée d'une autre salle destinée aux oiseaux. Mais rien n'était prévu pour l'organisation d'expositions temporaires. J'y ai vite pensé. On nous a royalement proposé140 mètres carrés, ce paraissait très grand par rapport au reste. J'ai aussi soumis l'idée d'un auditoire, mais on m'a dit qu'il avait déjà celui de l'école d'en face. Un musée a pourtant besoin d'un lieu de rencontre autre que la cafétéria où nous sommes maintenant (1)
Comment avez-vous riposté? - Il y avait les 140 mètres, plus un espace biscornu initialement prévu pour une présentation fixe. Six cent mètres carrés. On s'est dit qu'il fallait garder tout ça en friche pour des manifestations temporaires, dont l'impact me semblait supérieur. L'exposition, c'est la force d'attraction du musée, aujourd'hui. Pour une équipe, elle devient aussi sa drogue. Quand vous y avez goûté, vous n'avez plus envie de permanent. Bien sûr, en apparence, la forme des lieux ne se prête pas à un parcours cohérent. Il y a des angles partout. Mais il faut voir cela comme une contrainte à surmonter. Nous ne montons du reste qu'une présentation temporaire par an. L'actuelle est un peu plus longue, dans la mesure où j'avais besoin de laisser à mon successeur Ludovic Maggioni le temps de se retourner.
Sur combien de visiteurs pouvez-vous compter? - Environ 50 000 par an. Sur ce nombre, un dixième seulement vient pour nos dioramas. Suivant le succès de l'exposition, il nous est arrivé de monter à 100 000 entrées la même année. «Emotions», notre dernière création avant «Manger», a attiré 60 000 personnes. La moitié de nos visiteurs sont des enfants. Cela signifie que nous tenons un vrai public adulte. Le 50 pour-cent des gens viennent d'autres cantons. Il nous faut à chaque fois renouveler l'intérêt. Contrairement aux musées de beaux-arts, ceux d'histoire naturelle ne fonctionnent pas par autour d'icônes.
Est-ce que l'image du musée d'histoire naturelle a changé depuis vos débuts? - Oui, en tous cas pour nous. Nous avons pris des risques. Nous avons dit aux gens que nous leur montrions non pas la vie, mais la mort. Les dioramas ne font que créer une grande illusion. Nous avons aussi tenu à cœur de traiter des sujets supposés impossibles. C'est le cas de la mouche. Nous avons réussi à illustrer son empire universel sous une forme visuelle. L'exposition a connu un tel succès qu'elle a sans cesse été reprise par d'autres institutions internationales. Maintenant, c'est fini, mais la mouche n'a pas arrêter de se poser quelque part entre 2004 et 2016.
Quels sont les autres réussites dont vous gardez la mémoire? - Avant tout «Donne la patte», sur la domestication. Un thème que les scientifiques détestent. Pour eux, le chien constitue un animal dégénéré. D'où un grand silence. Je n'aurais du reste pas osé parler de la chose à mes débuts.
Travaillez-vous parfois en coproduction? - Le moins possible. Nous avons loyalement essayé. Il y a toujours eu des négociations difficiles, suivies de compromis douloureux. Nous avons préféré créer nos projets sans intention ultérieure de circulation. Tant mieux si nous recevons ensuite des propositions.
Un travail d'équipe, donc. - Oui, avec notre décoratrice habituelle Anne Ramseyer, nos gens de musée plus quelques stagiaires. J'aime bien utiliser des stagiaires, qui sont des nouveaux-venus. Ils nous déstabilisent.
(1) Nous sommes autour d'une table que surmonte un gigantesque squelette de baleine.
Ce texte accompagne celui sur l'exposition "Manger", qui se trouve une case plus haut dans le déroulé.
Photo (Arcinfo): Christophe Dufour (à droite) avec son successeur Ludovic Maggioni.
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NEUCHÂTEL/Christophe Dufour et le Muséum, trente-six ans d'histoire