C'est, à en croire une presse française moutonnière et rabâcheuse, «l'exposition qui fait polémique.» «Peut-on tout montrer?», s'interrogeait fin juin «L'Express». En fait, ce sont les médias qui ont inventé de toutes pièces la querelle dont ils se nourrissent. Montpellier ne vit pas sous le choc depuis que son Pavillon Populaire montre 200 images d'Hitler dans «Un dictateur en images». Il faut dire qu'il n'y a rien là de sanglant, voire même de spectaculaire. Il s'agit de portraits un peu répétitifs pris entre 1923 et 1945 par Heinrich Hoffmann. L'homme était le photographe personnel du Führer. A la dévotion du maître, il ne jouissait d'aucun poste hiérarchique.
Illustrée aux murs de ce qui est devenu sous la direction de Gilles Mora un temple du 8 e art (1), leur aventure commune commence donc en 1923. C'est l'année du putsch manqué de Munich, qui va provisoirement mettre le futur dictateur à l'ombre. Hitler dirige alors un petit parti nationaliste dans une Allemagne humiliée par les clauses du traité de paix de 1919. L'image de l'homme reste floue. Mais, bien qu'hostile aux médias et méfiant vis-à-vis des photographes, Hitler prend conscience qu'il lui faut s'en forger une. C'est ce que fera en studio Hoffmann, qui lui sert moins d'artiste officiel que de miroir. C'est évident avec une importante série de 1927. L'agitateur politique essaie des poses. Des mimiques. Il choisira ou rejettera ensuite les attitudes. Nous sommes au temps du cinéma muet. Les foules voient l'orateur de très loin. Aucunes rétro-projections à l'époque. Il faut apprendre à en faire trop sans tomber dans le ridicule.
Ni frac, ni casquette
L'exposition progresse ainsi avec une personnalité qui se forme, se cristallise, puis se fige. Hitler s'est trouvé. Certains vêtements ont été écartés. Le dictateur se sent mal en frac. Une casquette ne passe pas le cap du gros plan. Grotesque! Il faut aussi apprendre à doser le «heimatstil». Entre le nationalisme dur et le simple folklore austro-bavarois, la frontière doit rester claire. Hitler, qui n'a pas de physique, a compris l'importance du signe à donner. Au chapitre intitulé «Une simplicité affectée», chaque élément prend son importance, des enfants blonds au bébé chamois caressé. Il faut à chaque fois «faire tableau». C'est à cela que lui sert l'obéissant Hoffmann. Un tâcheron au talent plus que limité. Tout le monde n'est pas Leni Riefenstahl!
Né en 1885, mort en 1957, Hoffmann n'a donc été qu'un instrument. Il a pris d'Hitler 12 000 portraits, dont 200 environ ont été retenus pour Montpellier. Pour cet homme qui avait fondé un petit atelier en 1920, c'était une chance au propre historique. Mais il s'agissait aussi d'un convaincu. Il suivra jusqu'au bout son Führer, dont il avait rejoint le parti dès 1920 précisément. Après avoir été accepté comme iconographe, il bénéficiera d'un quasi monopole sur l'imagerie nazie. Il la diffusera par le biais de son agence, la plus importante du IIIe Reich. Il s'agissait d'infiltrer la population entière. Comme le rappelle Alain Sayag, commissaire de l'exposition, «dans l'Allemagne d'alors, la propagande photographique est partout présente.»
Le temps des ghettos
Logiquement, Hoffmann a été inquiété en 1945. Son matériel s'est vu saisi. Il se trouve aujourd'hui à la Bayerische Staatsbibliothek, qui fait aujourd'hui office de prêteuse. Simple témoin au procès de Nuremberg, l'homme a eu droit à son propre jugement en janvier 1947. Il a été condamné à dix ans de prison (qu'il a fait en partie seulement), à la confiscation de ses biens et à l'interdiction d'exercer sa profession. Fin de partie. Fin aussi du premier de deux accrochages.
Le choc aurait sans doute risqué d'être trop violent. Il fallait un amortisseur. Le Pavillon Populaire, qui se trouve en face du Musée Fabre, propose donc à l'étage «Regards sur les ghettos» en accord avec le Mémorial de la Shoah. Il s'agit de la version réduite d'une exposition montée par cette dernière. Elle réunit deux choses bien différentes. Il y a les images, finalement assez nombreuses, prise par des Juifs dans la clandestinité. La photo leur était interdite. Il s'agit souvent de scènes où le spectateur sent une vie qui espère désespérément de continuer. Il se trouve aussi aux cimaises les clichés pris par les Allemands. Leur statut est hybride. Là aussi existent des images volées. Will Georg s'est fait saisir par la police allemande tous ses films... sauf ceux qu'il avait caché dans ses poches. Heinrich Jöst a peut-être pu pénétrer dans le ghetto de Varsovie comme cadeau d'anniversaire. Sans doute l'a-t-il fait à la sauvette. C'est lui l'auteur des célèbres images avec tous les cadavres nus. Des vue si terrifiantes que son auteur a mis quarante ans à oser les montrer.
En couleurs
Autrement, le Pavillon propose une incroyable documentation. Elle va des ignobles mensonges en couleurs de Hugo Jaeger, laissant entendre que tout va pour le mieux dans les ghettos, à celles de Mendel Grossman, qui les avait enterrées à tout hasard en 1944 avant sa déportation. Dommage que les biographies des auteurs ne soient pas plus explicitement détaillées! Le visiteur s'y perd un peu. Il est vrai qu'il dispose d'un petit livret pour se rattraper. N'empêche que tout aurait dû apparaître limpide et simple dans cette exposition proposée en antidote au poison.
(1) On a vu au Pavillon Populaire, qui est jolie construction 1900, aussi bien le Suisse Jakob Tuggener que Robert Doisneau ou les Américains Ralph Gibson et William Gedney.
Pratique
«Un dictateur en images», «Regards sur les ghettos», Pavillon Populaire, esplanade Charles-de-Gaulle, Montpellier, jusqu'au 23 septembre. Tél. 00334 67 66 13 46, site www.montpellier.fr Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 13h et de 14h à 19h.
Photo (Heinrich Hoffmann/Bayerische Staatsbibliothek): L'un des portraits voulus détendus d'Hitler par Heinrich Hoffmann.
Prochaine chronique le lundi 27 août. Rentrée. Les expositions d'automne en Suisse.
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MONTPELLIER/Le Pavillon Populaire montre 200 photos d'Hitler. Audace?