Dans l'hiver de 1870, qui est pour les Français celui de la défaite devant l'Allemagne, un homme pousse une charrette sur les routes du Nord. Elle contient le cadavre de son fils, tué une dizaine de jours plus tôt, que conserve le froid. Ce notable du Languedoc a réussi à le faire déterrer grâce au curé de Beaune-la-Rolande. Au bout de cinq jours, il trouve enfin un train allant jusqu'à Montpellier, but du voyage. Frédéric Bazille est enseveli une nouvelle fois au cimetière protestant. Le curé reçoit en remerciements pour son église son seul travail religieux. Il s'agit d'une copie, plus brutale que l'original, du «Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie» de Véronèse, qui appartient alors déjà au Musée Fabre de la ville.
Rare, ce tableau figure à l'entrée de l'actuelle exposition du Fabre, qui se présente comme un événement non pas national, mais international. L'actuelle rétrospective, la plus complète à ce jour sur Bazille, est non seulement coproduite avec le Musée d'Orsay, où elle arrivera fin novembre, mais la National Gallery de Washington. Il faut dire que le sujet interroge. Il s'agit de remettre en lumière un impressionniste de la première heure, mort à 28 ans sous un uniforme de zouave. Un homme dont l’œuvre reste par définition rare. Le peintre, par ailleurs assez lent, aurait exécuté en tout une soixantaine de toiles, mises en place par des esquisses et dessins préparatoires. On reste avec lui bien loin des improvisations en plein air rapides des années 1870 et 1880.
Une famille de banquiers protestants
Bazille était né dans une famille de banquiers protestants. Ses parents le poussaient aux études. Il fit un peu paresseusement celles de médecine, qu'il ne termina du reste pas. Dès 1862, le débutant se trouve surtout dans l'atelier parisien du Vaudois Charles Gleyre, avec qui il se sent vite en désaccord. Bazille fait partie des élèves rebelles, avec Monet, son collègue le plus proche, Renoir ou Sisley. Le jeune homme pensionné par ses parents (même si ceux-ci sont économes) soutient ses amis financièrement. Il joue un peu le rôle du collègue-mécène que tiendra plus tard Gustave Caillebotte. On n'a jamais interprété l'impressionnisme sur le plan social. Il unit pourtant de riches dilettantes (Manet, Berthe Morisot, Degas) et des prolétaires sans le sou (Monet ou Renoir). Bazille, qui avait posé pour «Le Déjeuner sur l'herbe» de Monet (dont subsistent deux énormes fragments, exposés à Orsay) offrit ainsi 2500 francs à ce dernier pour ses «Femmes au jardin». Une somme très importante à l'époque. La vaste toile se retrouve aujourd'hui à Montpellier.
Qu'y a-t-il d'impressionniste chez Bazille? Difficile de répondre, pour autant que la question ait finalement un quelconque intérêt. Bazille donne une peinture franche, sans détails inutiles, parfois exécutée en plein air, mais où la part de l'atelier reste importante. Courbet ne semble pas si loin que ça. Le Montpelliéran l'a découvert tout près du domicile paternel, dans la collection d'Alfred Bruyas. Il l'a étudié. Rappelons en plus que Courbet est mort en 1877 seulement. Il s'agit donc d'une peinture très composée. Très construite. Il suffit pour s'en convaincre de regarder deux toiles célèbres de Bazille, venues de Paris. J'ai cité «La réunion de famille» de 1867, montrant la parenté de l'artiste installé sur la terrasse d'une des propriétés paternelles, Méric, et «La robe rose» de 1864, qui installe une figure vue de dos dans un paysage.
Une carrière interrompue
Beaucoup d’œuvres, présentées souvent en regard de réalisations signées Renoir (qui fit le portrait de Bazille), Corot, Sisley (l'immense paysage du Petit Palais de Paris), Oudry (mais oui, le peintre du XVIIIe!), Courbet ou Théodore Rousseau, appartiennent au Fabre. Tout a commencé vite. La famille a tôt donné. En mémoire. Puis il y a eu les achats. Une politique volontariste, menée depuis 2002, a permis d'acquérir huit tableaux supplémentaires. C'est bien et mal à la fois. S'il existe ici un fonds important, cela signifie aussi que Bazille demeure très mal représenté ailleurs, sauf à Paris. L'exposition peut ainsi se clore avec le grand «Ruth et Booz» du Fabre de 1870, laissé inachevé au moment où l'artiste s'est volontairement engagé, peu après avoir dit non à la guerre. Une toile biblique qui le fait bifurquer, d'un seul coup, du côté de Puvis de Chavannes. Le parcours (un peu sinueux, sur deux étages) se termine du coup sur un point d'interrogation. Qu'eut fait le jeune peintre après une telle rupture?
Pratique
«Frédéric Bazille, La jeunesse de l'impressionnisme», Musée Fabre, 30, boulevard Bonne-Nouvelle, Montpellier, jusqu'au 16 octobre. Tél.00334 67 14 83 00, site www.museefabre.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h. L'exposition ira ensuite du Musée d'Orsay du 15 novembre au 5 mars 2017, puis à la National Gallery de Washington.
Photo (Musée Fabre): L'atelier de Bazille peint par lui-même, où figurent certaines de ses toiles. Bazille est le grand monsieur au milieu..
Prochain article le mardi 9 août. Où en est le musée de Lausanne dans ses travaux? Rencontre avec Berbnard Fibicher, directeur du mcb-a.
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MONTPELLIER/Le Musée Fabre honore Frédéric Bazille, mort à 28 ans