Miriam Cahn débarque au Kunstmuseum de Berne. "Moi comme être humain"
La Bâloise reçoit la rétrospective de ses 70 ans. Elle ira ensuite à Munich et à Varsovie. Il y a là des travaux sur papier allant des années 1980 à nos jours. C'est audacieux et fort.

L'affiche de l'exposition. La version horizontale.
Crédits: Kunstmuseum, Berne 2019.C'est une vedette. Du moins en Suisse
alémanique. A 70 ans, Miriam Cahn garde toujours autant de peine à
traverser la Sarine. En cela, sa trajectoire apparaît différente de
celle de sa compatriote Silvia Bächli, elle aussi grande adepte du
papier. Silvia se retrouve en pilotage automatique dans une galerie comme
Skopia à Genève. Elle a monté il y a peu une exposition au Musée
Barbier-Mueller. On la voit régulièrement dans une foire comme
Artgenève. Miriam, non. Allez savoir pourquoi, d'autant plus que
l'Alémanique vit en ce moment une année faste. La rétrospective au
Kunstmuseum de Berne, dont je vais vous parler aujourd'hui, ira
ensuite à Munich et à Varsovie. L'artiste aura en plus une autre
exposition au Kunsthaus de Bregenz plus une troisième au Reina Sofia
de Madrid. Une suite à son exploit de 2017. La Suissesse
s'était alors vue invitée par les Documenta(s) à Athènes comme à
Kassel. Joli doublé!
Il y a maintenant longtemps que Miriam roule pour l'art suisse. Née en 1949 à Bâle, elle a accompli ses études sur place à la Gewerbeschule. On n'était pas très «master», ateliers et résidences à cette époque quasi préhistorique. Afin de vivre, la débutante a fait à la fois du dessin scientifique et de l'enseignement. Il existait encore des débouchés professionnels au début des années 1970. Celles-ci était parallèlement marquées par la mobilisation anti-nucléaire et les premiers mouvements féministes. Miriam s'est beaucoup engagée pour les droits de la femme et contre les centrales. En décembre 1979 et en janvier 1980, elle s'est même lancée de nuit dans le graffiti, ce qui restait alors mal vu des autorités. Ses fresques sur la Tangente Nord de l'autoroute lui ont valu un procès, après identification par la police de la saboteuse (féminisons! féminisons!). Celui-ci est intervenu de manière finalement opportune. Il suivait les premiers succès de l'artiste, qui avait obtenu sa première exposition en galerie dès 1977. Un peu de publicité ne fait jamais de mal.
De Kassel à Venise
La suite s'est passée tout simplement.
La Bâloise a enchaîné les accrochages. Un coup d'accélérateur
lui a été donné par sa participation à la Documenta7 en 1982,
même si la dame a retiré son œuvre avant le vernissage. Elle
n'arrivait pas à s'entendre avec le commissaire Rudi Fuchs. Ce fin
renard (Fuchs veut dire renard en allemand) passait pourtant à l'époque pour un
arbitre du goût. Il dirigeait le Van Abbemuseum d'Eindhoven, dont il
avait fait une Mecque de l'art contemporain. Miriam sera néanmoins
l'hôte de la Biennale de Venise de 1984. C'était juste avant de
s'installer à Berlin, la ville où il fallait résider pour se voir
pris au sérieux dans la seconde moitié des années 1980. Elle
devait en revenir en 1989. Si l'on ne saurait être prophète en son
pays, il n'en va pas forcément de même pour les prophétesses.

Maintenant que vous ai dégrossi la vie de Miriam, à quoi son exposition bernoise ressemble-t-elle? D'abord, elle tourne autour d'un thème: «Moi en tant qu'être humain». La formulation du titre de cette exposition curatée par Kathleen Bühler me semble bien trouvée. L’œuvre se base en partie sur la personne, même s'il ne s'agit pas d'une seconde Maria Lassnig, avec ce que l'Autrichienne pouvait avoir d'obsessionnel. L'auteure (ou l'autrice) se sent en plus concernée par des problème touchant non seulement les femmes, mais l'ensemble de l'humanité. La sexualité joue cependant un grand rôle ici. Féminine et masculine. D'où une quantité de vagins béants et de pénis en érection. Il y a notamment là ou ou deux versions personnelles de «L'origine du monde» qui feraient presque rougir Gustave Courbet. Je me demande la tête que feront les visiteurs à Varsovie, pour autant que les œuvres franchisent sans encombre la barrière de la censure...
Fusain et pastel
Pour l'essentiel, il s'agit donc de travaux
sur papier, avec du fusain très gras ou des pigments de pastel violemment
colorés. Miriam Cahn ne donne pas dans la demi teinte. Les
différents travaux présentés se révèlent de toutes dimensions.
Certains atteignent à peine la taille de la carte postale. D'autres
dépassent presque les normes admises. Il y a notamment, au premier
étage du Kunstmuseum, une composition remplissant tout un mur. Elle
y est entrée au chausse-pied. Ces dessins ont été tracés entre
les années 1980 et aujourd'hui. Les périodes se retrouvent
mélangées sur deux niveaux du musée. En fait, pas tant que ça!
En quarante ans de production, Miriam Cahn a finalement peu changé de style.
Elle est demeurée fidèle à elle-même. Aisément reconnaissable,
avec ses figures féminines dont les yeux apparaissent seuls visibles
sous le voile islamique ou la cagoule du terroriste. Allez
savoir!

Que penser du résultat? Je ne suis pas convaincu que les œuvres, comprenant quelques sculptures sur bois et des vidéos sur le perron de l'escalier, soient à leur aise dans l'ancien bâtiment du Kunstmuseum. L'art de Miriam et les stucs 1880 ne font pas vraiment bon ménage. L'aile moderne lui aurait sans soute mieux convenu. On ne dira jamais assez l'importance si ce n'est du décor, du moins du contexte. J'avais du coup été plus impressionné par la présentation de Miriam en 2015 au Kunsthaus d'Aarau. Je vous en avais du reste parlé. Cela dit, il s'agit tout de même d'une prestation forte. Audacieuse. Dure. Un peu répétitive, tout de même. A voir si possible lorsque le catalogue aura enfin paru. Comme bien d'autres, il se fait hélas attendre.
Pratique
«Miriam Cahn, Ich als Mensch», Kunstmuseum, 8-12, Hodlerstasse, Berne, jusqu'au 16 juin. Tél. 031 328 09 44, site www.kunstmuseumbern.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le mardi jusqu'à 21h.