Un malheur n'arrive jamais seul. Jeudi soir, les exposants de «Paris-Tableau» apprenaient officiellement à la Bourse ce qu'ils devinaient déjà. Ce salon unique, dédié la peinture ancienne, ne connaîtrait plus de nouvelle édition. Il fusionnait tant bien que mal (apparemment mal) avec la «Biennale des antiquaires», connue pour le prix plutôt musclé de ses stands au Grand Palais. La manifestation deviendra en effet annuelle en 2016, sans changer pour autant de nom. Mais après tout, celle de Venise agit un peu de même, si l'on pense que les versions beaux-arts (les années impaires) et architecture (les années paires) tendent à se ressembler. Toujours est-il que le rideau s'est baissé encore plus tôt que prévu. Vendredi à 20 heures, «Paris-Tableau» fermait ses portes, pour ne plus les rouvrir. Il s'est passé beaucoup de choses dans la capitale ce soir-là...
A quoi ressemblait ce dernier tour de piste? Eh bien, il n'avait rien de triste, ni de nostalgique. Trois des poids lourds (Coatalem, Sarti et Habolt) animant cette foire, créée il y a quatre ans à peine, avaient beau rester absents pour cause de dissentions. On leur avaient trouvé des successeurs. Ceux-ci n'avaient rien de remplaçants. Ils amenaient au contraire un peu d'air frais, venu d''Italie. Il y avait de très bonnes choses chez Porcini ou Giacometti. Le premier présentait ainsi un superbe panneau maniériste du Siennois Marco Pino, pleins de corps musclés lévitant dans l'espace. Cet «Archange Saint-Michel» se voyait en plus offert à un prix tout à fait correct. Qu'a-t-on en art contemporain d'aussi spectaculaire pour 110.000 euros?
A la recherche du client jeune
Tout le monde ne faisait hélas pas preuve de la même retenue. Certaines œuvres coûtaient trois ou cinq fois ce qu'elles vaudraient en vente publique, à moins d'un coup de folie entre enchérisseurs. D'où un sentiment de déséquilibre. Nous ne sommes plus dans les années 1980, quand la peinture ancienne flambait sur le marché. Elle ne s'est jamais remise du krach que tout le monde a oublié depuis celui de 2008. En 1990, les valeurs du baroque italien et surtout du rococo français ont chuté d'un coup, pour rester stagnantes. Alors pourquoi ne pas faire son marché chez Christie's, qui proposait une marchandise très inégale, ou chez Artcurial, dont la vente du vendredi 13 était d'une excellente tenue moyenne?
On me dira que les bons marchands font des recherches historiques, qu'ils restaurent les toiles et qu'ils mettent ces dernières dans de beaux cadres d'époque, achetés chez Antoine Béchet ou Montanari. Il subsiste en effet d'excellents professionnels, qui croient de plus en leur métier. Mais tous cherchent de nouveaux clients fortunés, si possible jeunes. Lorsque les acheteurs vieillissent sans relève, on s'approche de la mort. Il y a bien sûr les institutions, qui bénéficient, elles, d'une nouvelle génération de conservateurs très motivés. Mais c'est l'argent qui leur fait défaut. Il y en a peu. Ou pas du tout. Après Rouen, Béziers ou Valenciennes se sont ainsi fait fermer le robinet à subventions. Lyon doit présenter ses propositions d'achats au coup par coup, ce qui le conduit paradoxalement à montrer une marchandise très chère pour impressionner les élus.
Cinq employés pour six tableaux
Quelques tableaux importants ont pourtant changé de mains le soir du vernissage, alors que la foule se bousculait sur les moquettes feutrées d'un décor très (trop?) bourgeois. Michel Descours de Lyon se séparait, comme on dit, d'une immense toiles biblique du Belge François-Joseph Navez. Une vaste et belle composition religieuse du Napolitain Francesco Solimena était acquise par une riche collectionneuse parisienne. Les points rouges demeuraient cependant bien peu nombreux, même si le milieu de l'art classique se montre d'ordinaire pudique en matière d'argent. On se demande comment les participants venus de loin ont pu rentrer dans leurs frais. Chez l'un d'eux, il y avait cinq employés pour mettre en valeur six tableaux seulement, dont un important Guerchin il est vrai...
Pour remédier à la chose, «Paris-Tableau» avait décidé de s'ouvrir au XIXe siècle, jugé plus commercial de nos jours. Le mélange ne fonctionnait pas bien, avec des toiles souvent décoratives et vulgaires (même si Arturo Cuellar tiraint son épingle du jeu). Pour la même raison d'accessibilité, un exposant avait de même multiplié les vues d'Italie du XVIIIe siècle. Elles faisaient ressembler son stand un magasin de cartes postales. Mieux valait un ensemble qui se tient. Installé depuis plusieurs années à Bâle, où il vient de déménager pour s'installer sur le Marktplatz, Jean-François Heim (qui est par ailleurs un monsieur charmant) séduisait par l’intelligence de son goût, éclectique mais sûr. Il faut également féliciter Didier Aaron d'avoir osé présenter sur presque toute une cimaise l'immense «Honneur et indigence» de l'inconnu Hilaire Ledru, daté de 1804. Un catalogue spécial a même été imprimé pour mettre en lumière cette curiosité.
Succès des ventes publiques
Les ventes de Christies et d'Artcurial ont parallèlement plutôt bien marché. Sotheby's se refusait pour sa part à organiser une vacation en même temps que «Paris-Tableau» pour une raison morale. Le directeur du département de peinture ancienne voyait là une concurrence déloyale. Notons au passage que le plus actif (et le plus efficace) des musées de province a fait chez Artcurial un intéressant achat. Un grand Vien biblique des années 1750, «Sarah présentant Agar à Abraham», se retrouvera ainsi à Montpellier.
Photo (Porcini): Le grand "Saint Michel" de Marco Pino. Un fragment, bien sûr. La composition est tout en hauteur.
Prochaine chronique le mercredi 18 novembre. Les treize expositions nouvelles (ou parfois anciennes) à voir en Suisse romande.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
MARCHÉ/L'aventure de "Paris-Tableau" est terminée