C'est une histoire comme le marché de l'art les aime. Nous sommes le 16 avril 2014 à l'Hôtel Drouot. Ce temple parisien des enchères a beau vouloir se donner un genre en construisant un hall blanc d'hôpital de luxe et en installant un escalator tapissé de miroirs dignes d'une maison de passe, il n'en reste pas moins la capitale de la brocante. Se déroulent là toutes sortes de vacations, bricolées on se sait trop comment. Elles vont de la liquidation d'appartement aux alignements de bijoux, du genre mont de piété.
Le 16 avril donc, chez Blanchet et Associés, se voyaient proposées deux grandes (73 centimètres!) aiguières en terre cuite. Le catalogue, car il y en avait tout de même un, parlait de "travail allemand, vers 1800". Pourquoi allemand, on ne le sait pas. Quant à la date, elle semblait on ne peut plus farfelue. Qui aurait pu produire ces sculptures baroquissimes (il ne s'agit pas de pièces utilitaires) en plein âge néo-classique? Le prix d'estimation restait du coup raisonnable: entre 3000 et 5000 euros.
Une estimation multipliée par 250
Au moment où le numéro se voyait proposé par le commissaire-priseur, ce fut donc la ruée. Les plus folles espérances se retrouvèrent vite pulvérisées. L’acquéreur, qui semble Italien, emportait la paire pour 1.033.200 euros, frais compris tout de même. Il avait réalisé que les œuvres étaient de Massimiliano Benzi Soldani (1656-1740), le sculpteur favori de Cosme III de Médicis, un fait qui avait empêché l'artiste d'accepter les propositions de Christine de Suède comme de Louis XIV. Un second exemplaire d'une des terres cuites est connu. Il se trouve au County Museum de Los Angeles. La réalisation en bronze est, elle, au Victoria & Albert Museum de Londres, dont les salles d'arts décoratifs européens doivent (enfin!) rouvrir cette année.
Ce genre d'affaires appelle plusieurs commentaires. La paire, aurait-elle obtenu le même montant, correctement attribuée? Chez Christie's, par exemple, dont les ventes se révèlent en général parfaitement dépourvues de surprises? Le débrouillé de Drouot, son côté foutoir, ont sans doute joué. On se situe loin, dans ses salles rouges, du genre cul-cousu de l'illustre multinationale...
A quoi sert parfois l'expert?
L'autre question est le côté très souvent positif de la mauvaise attribution. Aucun découvreur de la véritable identité ne voudra jamais lâcher prise. On a plusieurs fois connu la chose à Genève, Hôtel des ventes, rue Prévost-Martin. Dans ces conditions, il semble permis de se demander si l'expert demeure encore indispensable, du moins pour les "grands" acheteurs, que conseille une armada de spécialistes internationaux. C'est finalement pour les petits collectionneurs que l'expert se révèle le plus utile. Il donne une (parfois bien vague) garantie.
On ignore le sort des aiguières. La "Tribune de l'art", le journal en ligne à qui j'emprunte les faits, mais non les considérations, aimerait que le Louvre les achète. Le musée le peut en cas d'interdiction de sortie du sol français. Quel que soit le caractère encore impérial du pays voisin, il serait cependant choquant de voir bloquée la sortie vers l'Italie d'une création italienne. Mais enfin... Photo (Blanchet & Associés): Les fameuses aiguières.
Ceci est un texte intercalaire. Prochaine chronique inchangée. Je parlerai de l'exposition du Zentrum Paul Klee de Berne le samedi 3 mai.
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MARCHÉ DE L'ART / Petit coup de folie à l'Hôtel Drouot