Eh oui! Il peut y avoir un Vermeer à vendre. La dernière occurrence remontait en 2004. Un particulier new-yorkais s'offrait alors la petite "Jeune femme assise au virginal" pour une vingtaine de nos millions. Un tableautin qui s'est beaucoup promené depuis. Plus il participe à des expositions dites "scientifiques", plus ce genre d’œuvres, au départ sujettes à controverses, prennent de l'assurance, et donc de la valeur.
Le 17 juillet prochain, Christie's proposera à Londres la "Sainte Praxède" du maître de Delft. Un tableau pour le moins surprenant. Sans une signature et la date de 1655, personne ne verrait là une création de l'auteur de "La jeune fille à la perle". A vrai dire, il ne s'agit pas d'une création totale. Pour une fois, Vermeer a fidèlement copié un tableau d'un autre artiste. Son contemporain, ou presque. Felice Ficherelli (1605, vers 1669), un Florentin d'adoption, était vivant lorsque le Hollandais a reproduit sa composition. Cette dernière était sans doute parvenue à Amsterdam, alors capitale du marché de l'art mondial, pour s'y voir vendue. Rappelons que Vermeer s'était peu auparavant converti par mariage au catholicisme. Pour Jan Blanc, autour d'un livre tout récent sur l'artiste (chez Citadelle & Mazenod), l'artiste en a du coup remis une couche dans sa reproduction. "Il a ajouté un crucifix. C'est là comme l'acte de réception de l'artiste dans la communauté papiste de Delft."
Entre 6 et 8 millions de livres
Très italianisant, le tableau se voit estimé par Christie's entre 6 et 8 millions de livres. Une bagatelle par rapport à certains prix new-yorkais pour des tableaux contemporains. Mais il s'agit d'un genre de toiles aujourd'hui réservé aux musées. D'une curiosité historique, même s'il est permis de trouver la chose magnifique. Ficherelli, qui n'a sauf erreur jamais eu droit à sa grande exposition, n'est d'ailleurs pas n'importe qui. Il fait partie des beaux Toscans baroques avec Volterrano, Simone Pignoni ou Cecco Bravo.
Le tableau est longtemps resté inconnu. Il a apparu dans une collection new-yorkaise en 1943. Après avoir passé par d'autres privés, il a été acquis par l'étonnante Barbara Piasecka-Johnson, morte en 2013. La vie de la dame tient en effet du roman, ou plutôt du feuilleton TV. Née en Pologne, elle fait là-bas des études d'histoire de l'art. En 1968, elle émigre aux Etats-Unis avec 100 dollars en poche. Pour vivre, elle devient cuisinière chez le richissime John Seward Johnson I. Trois ans plus tard, elle est sa femme. Le milliardaire, de 42 ans son aîné, a divorcé pour l'épouser, après en avoir fait entre-temps sa conseillère artistique.
Procès et tractations
En 1983, Johnson, des talcs Johnson pour bébés, meurt à 88 ans. Barbara, dite Basia, en devient l'unique héritière. Quatre cent millions de dollars de l'époque. L'ennui, c'est de John Seward a six enfants de ses deux précédents mariages. Procès. Si aux USA chacun teste comme il veut, Basia n'aurait-elle pas forcé la main du vieillard? On ne passe pas honnêtement aussi vite de la cuisine à la chambre à coucher. L'affaire finit par une tractation. Les six enfants reçoivent le 12 pour-cent, soit deux pour-cent chacun.
La veuve peut alors se constituer une fabuleuse collection de meubles et de peintures baroques. Elle va d'un portrait d'homme de Rembrandt (revendu 20 millions) au "Cabinet Badminton", le meuble le plus cher créé au XVIIIe siècle (et racheté depuis 19 millions de livres par le prince de Liechtenstein). Tout bouge.
Une fondation de bienfaisance
Basia, qui est très pieuse, se tourne en effet vers l'art dévotionnel. Elle fait voyager sa collection, remaniée à l'eau bénite, dans divers pays sous le titre d'"Opus sacrum". Fatiguée des Etats-Unis, où elle passe tout de même pour une autre Anna Nicole Smith (l'ex playmate veuve d'un nabab octogénaire), l'Américano-Polonaise s'installe à Monaco. Elle y obtient une chapelle pour présenter ses œuvres, qui viennent donc de se voir décrochées. La dame s'éteint l'année dernière à 76 ans. En Pologne, d'ailleurs. Sa fortune qui excéderait les deux milliards de dollars, finira en bienfaisances. La défunte a créé sa Foundation, où ira le profit de la vente du 17 juillet. Le Ciel est sans doute à ce prix. Reste qu'on peut plus mal dépenser post-mortem son argent.
Où finira "Sainte Praxède", qui voisine dans la vente avec des Zurbaran, un superbe Luca Giordano et une étonnante.... "Saint Barbara" de Carl Bononi? Mystère, du moins jusqu'au mois prochain. Mais gageons que certains musées américains, voire européens, sont en train de travailler au corps leurs grands mécènes. Qu'est-ce que 6 ou 8 millions de livres (plus les frais, tout de même) quand on peut à la fois se faire un nom dans une collection et soulager les misères de ce bas monde?
Pratique
Vente Barbara Piasecka-Johnson, Christie's, 8, King Street, Londres, le 17 juillet. Visites le 13 juillet de 12h à 17h, les 14, 15 et 16 juillet de 9h à 16h30. Tél. 0044020 78 39 90 60, site www.christies.com Catalogue consultable en ligne. Il ne raconte pas du tout la vie de Barbara de la même manière que moi. Photo (Christie's): La "Sainte Praxède", signée et datée 1655. Fragment.
Prochaine chronique le jeudi 26 juin. Je vous ai parlé du Musée d'art et d'histoire de Genève lundi. Où en sont les projets de Lausanne, Bâle ou Zurich?
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MARCHÉ DE L'ART / Christie's vendra un Vermeer à Londres