Macula publie l'intégrale des chroniques de cinéma signées par André Bazin
Mort à 40 ans en 1958, l'homme a dominé la critique françaises dans les années 1940 et 1950. Hervé Joubert-Laurencin a réuni, avec tout un appareil de notes, les 2700 textes alors parus dans la presse.

La photo la plus connue d'André Bazin, dont il existe paradoxalement peu d'images.
Crédits: DRAttention! Un Bazin peut en cacher un
autre. Tout le monde connaît (ou connaissait) Hervé Bazin,
l'écrivain de «Vipère au poing». Cela fait vingt-trois ans
maintenant que l'homme a disparu, mais ses romans sulfureux n'ont pas
quitté les bibliothèques. André Bazin reste moins célèbre.
A tort sans doute. C'est ce que se sont dit les éditions Macula, qui
proposent aujourd'hui ses «Ecrits complets». Une somme établie par
Hervé Joubert-Laurencin, qui a planché durant des années sur le
projet. Le résultat se révèle d'ailleurs à la démesure de
l'entreprise. Il s'agit d'un lourd coffret de deux volumes à
l'emballage noir, la couleur de Macula. Un objet un peu encombrant
peut-être. Il n'en s'agit pas moins d'un bel objet.
Mais qui était André Bazin, mort à seulement quarante ans en 1958? L'un des plus influents critiques de cinéma de l'après-guerre, avant le règne de Jean-Louis Bory ou de Michel Cournot. L'homme publiait ses article sur divers supports. Ils allaient du «Parisien libéré» à «France Observateur» (l'«Obs» d'aujourd'hui) en passant par ce «Radio-Cinéma-Télévision» qui est l'ancêtre de «Télérama». Il a ainsi donné des textes à foison. L'ouvrage actuel en contient l'intégralité, soit environ 2700 chroniques parues à partir de 1942. Afin que le lecteur ne s'y perde pas trop, Hervé Joubert-Laurencin a prévu un index de 150 pages, divisé en cinq catégories. Il fallait aussi un appareil critique. Vingt-quatre «scansions» ont été introduites dans cette somme. Vingt-quatre, comme les images défilant chaque seconde sur l'écran.
Art et essai mais aussi Hollywood
Pourquoi Bazin est-il si important?
Parce qu'il s'agissait d'une voix, insensible aux modes et aux
contingences publicitaires. Le chroniqueur a ainsi soutenu ce qui allait
devenir «l'art et essai». Il a cependant aussi apprécié la
production hollywoodienne dans ce qu'elle apportait de plus personnel
et de plus original. Le Français, qui a tant influencé François Truffaut
(à qui il servait presque de père adoptif), Claude Chabrol ou
Jean-Luc Godard, a ainsi préparé le terrain de ce qui est devenu
«la politique des auteurs», chère aux «Cahiers du cinéma». Il
plaçait le réalisateur au centre d'une œuvre collective, même
s'il existait alors d'excellents films dont le bénéfice revenait
clairement au producteur. Avec Bazin, nous sommes dans le monde de la
cinéphilie, aujourd'hui en voie de disparition. Celle-ci vibrait
dans les ciné-clubs de tout le pays, alors que la télévision
balbutiait et que la Cinémathèque parisienne restait pour beaucoup
bien lointaine.
Il fallait des hommes comme Bazin pour parler des films et les situer dans un contexte historique. Il restait difficile vers 1950 de revoir un film ancien en dehors des reprises dans des cinémas de quartier. Cela dit, le 7e art restait alors vivace dans tous les milieux. La sortie du samedi soir s'effectuait en général dans une salle dite «obscure». C'était à la fois un lieu de culture, même si le cinéma restait contesté en tant qu'art, et de rendez-vous. Un endroit un peu magique où régnait ce que les Anglo-saxons appellent le «silver screen». En ces temps majoritairement voués au noir et blanc, il semblait permis de parler d'écran argenté.
Un style agréable à lire
Je n'ai bien sûr pas lu le contenu du coffret entier. Juste quelques articles. Ils ne m'ont pas semblé datés. Du Bazin reste une chose bien pensée et bien formulée. Sans jargon. Le public alors visé restait large. Enfin, cerise sur le gâteau, bien des titres dont l'auteur parle demeurent de nos jours dans les mémoires. Les années 1940 et 1950 se révèlent d'une surprenante richesse dans le style classique. Bazin est mort quelques mois trop tôt pour voir sortir les premières productions de la «nouvelle vague». Une vague qui a en revanche pris des rides. La jeunesse, cela ne dure jamais bien longtemps.
Pratique
«Ecrits complets» d'André Bazin, édition établie par Hervé Joubert-Laurencin avec la collaboration de Pierre Eugène et de Gaspard Nectoux, aux Editions Macula, deux volumes, 2848 pages.