"L'Orient des peintres" au Musée Marmottan de Paris. Politiquement incorrect?
L'exposition va d'Ingres à Matisse en passant par les romantiques, les académiques et les impressionnistes. S'agit-il vraiment là d'une peinture coloniale?

"Le charmeur de serpents" de Gérôme. Gérôme a très souvent été en Afrique du Nord.
Crédits: Musée Marmottan, Paris 2019.C'est exotique, et même doublement
dépaysant. Il y a l'espace. Il y a le temps. Curieusement, le
premier compte désormais moins que le second. L'Orient est devenu
très accessible, et cela même «low cost». Il a en revanche
terriblement changé depuis les visites que lui ont rendues les
artistes du XIXe siècle et des débuts du XXe. Il a, au propre comme
au figuré, perdu de son pittoresque. C'est en effet ce dernier qui
donne l'envie de peindre, si l'on respecte l'étymologie du mot.
Le Musée Marmottan propose donc à Paris «L'Orient des peintres». Il y a là une soixantaine de toiles, que le site du musée qualifie globalement de chefs-d’œuvre. Il faut bien soigner sa publicité. Disons histoire de poser des bornes, que l'exposition commence avec Ingres, qui n'a jamais traversé la Méditerranée, pour se terminer avec Matisse. Il y a au passage les romantiques, les académiques et les impressionnistes. Théodore Chassériau précède du coup Pascal Dagnan-Bouveret ou Renoir. Les Genevois reconnaîtront au passage «Le bain turc» (1907) de Félix Vallotton, qui provient en direct de leur Musée d'art et d'histoire. Tout peut se terminer avec un magnifique Kandinsky, un peu égaré dans un coin alors que sa somme d'assurances doit être colossale. Il faut dire que le Musée Marmottan n'utilise plus ses sous-sols pour les manifestations temporaires, Monet oblige. Il les coince dans un corridor en forme de gros intestin au rez-de-chaussée.
Deux magnifiques Gérôme
Les œuvres apparaissent bien sûr en
réalité de valeur diverse. «La grande odalisque» ne saurait ainsi
se révéler celle d'Ingres, réalisée en 1814. L'originale, que le
Louvre conserve jalousement comme une belle de harem. Il s'agit de sa
copie par Jules Flandrin, exécutée en 1903. Se détachent du coup
les meilleures pièces, en général produites par d'illustres
maîtres du XIXe siècle. Je pense à «Le massage, scène de hammam»
d'Edouard Debat-Ponsan et surtout au «Marchand de couleurs» et au
«Charmeur de serpents», qui faisaient partie des tableaux vedettes
de la rétrospective Jean-Léon Gérôme à Orsay en 2010. Mais
enfin, mis l'un dans l'autre, le résultat se révèle mieux que
simplement honorable. C'est plutôt bien.

Les visiteurs et surtout les visiteuses madérisés qui hantent régulièrement le musée de la rue Louis-Boilly, dans l'élégant quartier de La Muette, ont donc de quoi se déclarer satisfaits. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Eh bien non! Ils devraient avoir honte. J'ai l'article de Philippe Dagen publié le 26 avril dans «le Monde», qui n'hésite pas à parler de «perversité». Que reprocher à l'ensemble conçu par la commissaire Emmanuelle Amiot-Saulnier? Qu'elle maintient des stéréotypes. Et là, le gros mot perle vite. Nous sommes en plein co-lo-ni-a-lis-me. Le pire du pire. Le goulag n'est presque rien à côté. Je précise bien sûr qu'il s'agit de colonialisme français. Il devient impossible de dire aujourd'hui que les Omeyades, les Seldjoukides ou les Ottomans ont jadis conquis et occupé nombre de pays européens, de l'Espagne à la Grèce et passant par la Hongrie. Le procédé est pourtant vieux comme le monde. Pensez à l'Empire romain!
Dérive totalitaire
Marmottan, où Philippe Dagen a
lui-même organisé en 2016 une exposition regroupant Hodler, Munch
et Monet, a donc failli. Il s'est écarté du politiquement correct,
ce que ne semble pas remarquer le nombreux public se bousculant à
certaines heures pour entrer. On ne plaisante pourtant pas avec ces
choses-là, surtout dans le petit monde gravitant autour des facultés
de sciences humaines d'universités. Ce dernier fonctionne en
auto-allumage. Tout commence par les réseaux sociaux. Le harcèlement
continue dans la presse. Avez-vous déjà noté qu'on ne débat plus
dans les pages «Débats» du «Monde», puisque le quotidien déroule désormais son tapis rouge aux tenants de la pensée unique? Nous assistons
ainsi à une dérive vers le politiquement correct. Elle vaut bien
celle dans le fascisme ou le gauchisme. Il s'agit dans tout les cas
de totalitarismes. Défense de penser autrement que les minorités
les plus actives et les plus bruyantes!
Pour le moment, personne ne réclame encore la fermeture des salles de musée voués à la peinture orientaliste, qui fait par ailleurs souvent de gros prix sur le marché de l'art. Mais si nul ne se montre vigilant, cela pourrait bien venir un jour. Orsay, qui propose en ce moment «Le modèle noir», un accrochage dont je vous parlerai un de ces jours pour en signaler les ambiguïtés, pourrait se retrouvé prié de mettre dans les réserves des toiles «offensantes». Plus de scènes de harems, de marchés d’esclaves, ni de sultanes un peu trop européennes (et pour cause, les modèles provenant en général des Batignolles ou de Montrouge)! Il y a là de l'appropriation culturelle. De la condescendance. Et pour tout dire du racisme. Du reste, dans la scène de hammam de Debat-Ponsan la servante est noire et la dame massée blanche. Comme s'il eut pu en aller autrement dans la réalité quand le tableau, par ailleurs très réussi, a été réalisé en 1883! Et que pensent au fait les féministes de ces chairs noires ou blanches offertes au regard concupiscent des visiteurs? Autre problème...
Activisme redoutable
Il faut donc peut-être profiter de voir «L'Orient des peintres» pendant qu'il reste temps. Les activistes ont beau sembler peu nombreux. Ils savent se faire respecter. Ils obtiennent sinon des interdictions du moins des suppressions, ce qui revient finalement au même. Les gouvernements les écoutent, mine de rien. Je rappelle la disparition récente d'une affiche des «Suppliantes» d'Eschyle, vieilles de deux mille cinq cent ans. Le metteur en scène avait imaginé des masques noirs pour les acteurs. Il y avait donc un «black face», crime inexpiable aux yeux de certains. A cause de l'esclavage. Un crime contre l'humanité, me semble-t-il avoir compris grâce à une plume extérieure dans «Le Monde». Le nouveau temple du politiquement correct. N'y aurait-il donc vraiment rien de plus grave à signaler de nos jours?
Pratique
«L'Orient des peintres, Du rêve à la lumière», Musée Marmottam 2, rue Louis-Boilly, Paris, jusqu'au 21 juillet. Tél. 00331 44 96 50 33, site www.marmottan.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu'à 21h.