Il y a des choses qui ne se quantifientpas, ou alors difficilement. Ce sont parfois des impressions. Parfoisdes signes. Bref, des sensations que l'on cherche à prouver enfaisant de petites recherches... n'aboutissant le plus souvent à rien.Je voudrais ainsi vous parler aujourd'hui d'une chose qui metarabuste. Il me semble qu'après des décennies d'inflationcontinue, l'offre culturelle a atteint un maximum et que le refluxcommence. Oh, encore léger! Il y a trop de tout, même s'il se créeencore des festivals, des musées, des lieux alternatifs ou des maisons d'édition. Laconsommation n'arrive plus à suivre la production. Normal. Lespropositions ont dû décupler depuis les années 1960. Il y alongtemps que les premières alertes ont été lancées. Je mesouviens du directeur des Editions de Minuit déclarant: «Le livreest l'unique industrie ou la baisse de la demande a été contréepar l'augmentation de l'offre.» Je cite la phrase de mémoire. Masource semble ici d'être tarie.
Le livre, qui a jusqu'ici survécu àtout sous sa forme imprimée (l'édition numérique ne représenteque 4 pour-cent des ventes en France), n'est aujourd'hui plus seul encause, même si je commencerai par lui. Les nombre de publications,contrairement à toutes les promesses, n'a cessé de croître. Et lesventes de diminuer, surtout pour le roman. Autrement dit lalittérature. Certains ouvrages s'écoulent à quelques centaines,voire quelques dizaine d'exemplaires, ce qui eut semblé inconcevablevers 1930. On arrivait alors facilement outre Jura à 10 000, voire100 000 exemplaires en multipliant les tirages. La moyenne d'exemplaires écoulés par titre a perdu 30 pour-cent en dix ans. Tout s'accélère. Le marché s'est contracté en France de 4,35 pour-cent en 2018. La masse détruite atteint du coup aujourd'hui 29 800 tonnes, ce qui faitbeaucoup de papier, heureusement recyclé. On pourra bientôt jumelerla rotative et le pilon afin d'éviter les frais de transport.
Festivals un peu boudés
Les manifestation annexes ont du couppris du plomb dans l'aile. Pensez au Salon du Livre de Genève, quiaprès deux moutures désastreuses (j'ai de la peine à croire auxchiffres officiels de fréquentation) veut se repositionner enautomne, au lieu de mettre sagement la clef sous le paillasson.Songez à Lausan'noir, qui décidé le 19 juin d'arrêter les fraisdans l'indifférence générale. Le concept «polar» paraît aussidépassé que feu le Comptoir suisse dans la même ville. Notez qu'ons'y attendait un peu.
La vente ralentie des billets desfestivals suisses de musique, comme celle de la Fête des Vignerons surprend davantage. Il restait un tiers des tickets pour le grandraout veveysan à écouler début avril, alors que ceux-ci étaientsupposés partir comme des petits pains. La ruée sur Paléo n'a paseu lieu en 2019. D'habitude, les amateurs s'arrachaient les places enquelques heures. Il est facile d'extérioriser les causes. La crise. La situation économique n'est cependant pas pire cette année quel'été dernier. Il se fait simplement que le festival à laWoodstock (en plus petit, évidemment) a pris un sérieux coup de vieux. Il s'agitd'un événement générationnel ne parlant plus guère aux fameux«milléniums». Avec leurs portables consultés toutes les minutes,nous sommes davantage chez les autistes que chez les amateurs demesses collectives. Tout derrière une vitre. Vu la chute du disque,intervenue il y a déjà longtemps, les artistes vivent pourtantavant tout de leurs cachets. Quid de l'avenir?
Le cinéma, mais en festivals
Au cinéma, le festival local fait encorerecette. Même le plus déprimant. Le public se rue à Genève surcelui des Droits humains. Les pays riches aiment l'auto-flagellation.En revanche, les salles demeurent souvent vides en temps normal. Iln'est pas rare d'y compter moins de dix spectateurs. Trop de films.Trop de sollicitations. Trop de navets aussi. Et la concurrence detous les autres spectacles. La sortie au «ciné» le samedi soirappartient depuis bien longtemps à l'histoire. Il y a eu la TV,aujourd'hui en déclin. Puis les jeux vidéo. Maintenant ce sont lesréseaux sociaux, gratuits en plus, qui dévorent le temps.N'oublions pas, du côté intellectuel, la renaissance des théâtres,dont il est cependant permis de se dire qu'ils sont maintenus sousperfusion par les subventions. L'aide aux créateurs, bientôt plusnombreux que les spectateurs ou les lecteurs, a depuis longtemps prisun côté social. Caritatif. Le kit se sauvetage. Qui va danscertaines salles locales, alors même qu'on nous promet une doubleComédie nouvelle, sans trop savoir ce que l'on fera de l'ancienne?Mais ça c'est Genève.
Il est clair pour finir (et rattraperdu coup le contenu de cette chronique) qu'il existe trop deplasticiens (1), de galeries, d'expositions et de musées dans un monde qui chie désormais de la culture. Est-il normalqu la Suisse compte environ 1100 de ces derniers, alors qu'il n'y ena que 4800 en Chine? Mille cent, cela fait beaucoup pour 41 285kilomètres carrés, souvent montagneux de plus. Il y a quarante ans,la moité au moins d'entre eux n'existait pas. Gianadda ou leKunsthaus de Zurich pouvaient ainsi monopoliser l'attention, comme leSalon du Livre restait unique à Genève fin avril, et le Cirque Kniedébut septembre. Les autorités ont longtemps cru, ou fait semblantde croire, que la fréquentation suivrait. Il suffisait de proposer. Ce n'est de toute évidencepas le cas, même si «les scolaires», comme on dit en France, sesont mis à former un public captif. Pourtant, les fondationsprivées, en général vouées à l'art contemporain, ne cessentd'éclore, de la Provence à Venise en passant par les Etats-Unis etbien sûr notre pays. Le contemporain, c'est chic. Grand public, sansdoute moins. Je ne vous ai ainsi pas parlé de la dernière Nuit desBains locale, le 20 juin. Il n'y avait presque personne. Là aussi,j'ai constaté un net reflux.
Concentrations de public
Bien entendu, il subsiste des triomphespopulaires. Mais là, les observateurs sont d'accord entre eux. Ilsse concentrent sur toujours moins le lieux et d'événements. Il y atrois ou quatre auteurs francophones à succès, dont notre JoëlDicker. Côté expositions, c'est le triomphe archi-consensuel d'unerétrospective sur Picasso bleu et rose chez les Beyeler: 335 000entrées ce printemps. Ou le Léonard de Vinci annoncé pourl'automne par le Louvre. De événements créés, je ne dis pas detoute pièces mais à la pompe publicitaire et médiatique. Pourattirer durablement l'attention, il faut en faire beaucoup de nosjours. Autrement, c'est le désert. Certains musées ont moins devingt, voire de dix visiteurs par jour (2). De nombreux galeristes nevoient personne (à part quelques amis) de la semaine. Il y a trop,comme je vous l'ai déjà dit. Trop comme ces vêtements bas de gammequi débordent, comme vomis, dans les bacs posés devant certainsmagasins. Or ce qui existe en trop grande quantité a cessé desembler désirable. On en arrive aux soldes.
C'est tout pour aujourd'hui.
(1) Les artistes seront bientôt aussi nombreux que les sauterelles d'Egypte de la Bible. Notez qu'il suffit aujourd'hui à certains de limer des ongles pour s'auto-proclamer "artistes". - (2) La Fondation Kern et Briner de Winterthour a fermé il y a quelques années. Elle avait moins de 1000 visiteurs par an.
P.S. Je viens de consulter lesupplément «Le guide des 1000 expositions de l'été» paru avec«Beaux-arts» de juillet. Et encore s'agit-il d'un choix «en Franceet à l'étranger»! Un choix émanant du «lobby» art contemporain,d'où une certaine monotonie. Cela m'a donné l'image même du trop. Que dirais-je si j'avais subi le programme du "off" théâtral d'Avignon (plus de 1500 spectacles)?
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Livres, festivals, expositions. Nous en sommes à l'ère du trop en matière culturelle
La quantité augmente bien plus vite que le public. L'effet de saturation a même gagné les festivals de l'été. La culture perd à devenir surabondante.