
Nous sommes en 2009. Nina Childress expose au Mamco genevois. Pour la Franco-Américaine, qui vit à Paris, c’est la sortie d’années de difficultés en tous genres. Financières surtout. L’artiste ne fait pas partie de ceux et celles qui éclosent (et souvent se fanent) à peine finies leurs hautes écoles. Sa rétrospective montée par Christian Bernard est un succès qui va faire des petits. Beaucoup de petits, de la Fondation Ricard au Palais de Tokyo. En 2021, Nina a ainsi trois de ses tableaux géants présentés en gloire juste en face de ce dernier au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui vient de les acheter. Ce sont «Sylvie», «France» et «Jane». La femme y joue une nouvelle fois de l’imagerie populaire, puisque ce trio se compose de Sylvie Vartan, France Gall et de Jane Birkin dans leur éclat des années 1970. Un demi siècle a passé depuis…
2021 marque aussi pour Nina la sortie en librairie d’un pavé de deux kilos et demi. Deux livres, dont l’un à la couverture phosphorescente pouvant tenir le rôle de la lampe de chevet sur votre table de nuit. Deux bouquins, l’un gros, l’autre maigre reliés par une élastique verte. L’un, sérieux comme la mort, répertorie ses 1081 premières peintures exécutées depuis le début des années 80, les plus vieilles s’étant souvent perdues depuis le jour où elles ont été photographiées. L’autre, aussi léger que l’air, forme une autobiographie. Mais attention! Ces mémoires sont écrits par Fabienne Radi, dont on connaît l’humour au second degré comme l’amour des titres et des listes. Autant dire qu’il s’agit d’un texte décalé, mais pertinent. Fabienne fait dire à Nina, avec qui elle a eu des heures et des heures de conversation, ce qu’elle n’eut sans doute pas osé formuler seule. Femme sage, mais ici aussi sage-femme, l’écrivaine romande (qui enseigne à la HEAD) lui a fait accoucher ses quatre vérités. Certaine se révèlent dérangeantes. Une artiste arrivée ne raconte normalement pas ses ratages, ses doutes et ses rapport tumultueux avec le commerce. A moins de s’en faire une gloire, comme l’autobiographie de la très narcissique Orlan, dont je vous ai récemment parlé.
Le Vérificateur et l'Auteur
Nina parle donc. Il suffit de l'écouter. A l’instar de la presse anglo-saxonne, qui vit dans la terreur des avocats et des procès, il y a aussi ici un Vérificateur. Il (ou elle puisqu’il s’agit aussi de Fabienne Radi) met les propos dans leur contexte. Il situe ceux-ci dans le temps avec un sérieux imperturbable, alors que ses interventions tiennent parfois du truisme. Un Auteur (avec un grand «A») intervient aussi à la fin. L'exercice devient du coup de détriplement, puisque Fabienne tient en fait tous les rôles. Plus la plume. Elle est Nina mieux que Nina, puisqu’il lui a fallu trouver un style faussement parlé. Une forme qui la restitue sans la singer, ni la trahir.

Sylvie, comme Vartan. L'un des immenses tableaux récemment acquis par le Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Photo Nina Childress, Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Qu’est-ce que le lecteur apprend ainsi? Bien des choses. Nina (elle se prénomme en fait Christine, ce que le lecteur découvre à la page 81) voit le jour aux Etats-Unis d’un père américain et d’une mère française. Elle a le temps de faire le plein de souvenirs d’enfance marquants avant l’explosion du couple. Rentrée et France, avec quelques allers-et-retours, elle se retrouve avec une maman qui travaille et des idées d’adolescente peu sage. Il y a pour elle de longues années punk. Christine-Nina chante alors dans un groupe qui se fera un (tout) petit nom. Puis c’est le passage à la peinture, à une époque où celle-ci n’a pas bonne réputation dans les écoles, où l’on cogite alors énormément. Or Nina n’est ni une conceptuelle, ni même une cérébrale. La théorie l’ennuie. Il lui faut de la pratique. Enormément de pratique. Il y a chez elle une boulimie. Pensez, 1081 peintures dont beaucoup se sont pas des mouchoirs de poche…
Revenez me voir dans dix ans
Bien sûr, personne ne veut de la punkette pas tout à fait repentie. Elle fait alors partie des Ripoulin, une association informelle qui n’a pas (encore, du moins) laissé de grandes traces dans l’histoire de l’art. Ses membres sont pourtant allés, sans grand succès il est vrai, jusqu’à New York. Nina découvre ensuite Présence Panchounette, qui a laissé davantage de souvenirs. Son iconologie populaire, allant jusqu’aux nains de jardin, la séduit. La débutante sent qu’elle va ainsi vers le juste. Elle est plus «low» que «high», pour causer comme les Anglo-saxons. Mais comment parvenir au but sans support, alors que les marchands n’aiment pas (et on les comprend) prendre de risques? Une galeriste ne lui a-t-elle pas dit de revenir dans dix ans, ce que Nina a pris sur le moment pour un rejet, alors qu’il s’agissait à la réflexion d’une difficile vérité?

Fabienne Radi. © Yves Leresche, art&fiction, 2020
Dans le chapitre intitulé «Galères et galeries», Nina-Fabienne raconte tout cela. Sans fard. Sans (trop de) rancune. Cette période, où il ne fallait surtout pas craquer tout en faisant des petits boulots, voit alterner d’éphémères succès et des échecs patents. Un pas en avant. Le suivant en arrière. Avec l’impression de ne jamais y arriver, surtout chargée d’enfants. Heureusement qu’il y a l’enseignement, avec elle maintenant dans le rôle de la maîtresse. N’empêche que la quarantaine se profile, et avec elle la peur de ne plus être une «jeune artiste». Il faudrait un coup d’éclat. Vite. Il arrivera avec le Mamco, où Nina joue de l’image kitsch de Sissi, d’Hedy Lamarr et de tableaux accrochés sur des murs peints de manière un peu foutraque. La bonne formule, mais comment le savoir à l’avance? Dans sa carrière jusque là chaotique, il existe donc aujourd’hui un avant et un après Mamco. Avec la Légion d’Honneur pour terminer. Mais ceci est une autre histoire…
Un ovni
Autant le dire tout de suite. «Une autobiographie de Nina Childress» par Fabienne Radi constitue une réussite. Un peu insolente. Un brin moqueuse. Et sérieuse pourtant. Comme quoi il ne faut pas obligatoirement embêter le monde pour assurer son crédit intellectuel et public. L'envie de lire «Artpress» n'est pas universelle. Le livre forme forme par conséquent une sorte d’ovni dans la biographie. Autant dire qu’il plane assez haut. Et qu’il ne manque pas d’air. Essayez donc de l’attraper au vol!
Pratique
«Nina Childress 1081 peintures» et «Autobiographie de Nina Childress» par Fabienne Radi, coédité par l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (où Nina enseigne), le FRAC Nouvelle-Aquitaine MECA et la Galerie Bernard Jordan, 752 pages et 248 pages.
Attention!!! Changement de site!!!!
Le dimanche 31 octobre, à minuit pile, le site de «Bilan» que vous voyez depuis des années se verra remplacé par un autre. La chose aura des conséquences pour la suite des parutions. La configuration de la maquette ne sera plus exactement la même. Vous ne retrouverez pas toujours les articles où vous avez l’habitude de les voir et leur forme sera légèrement différente. Le changement aura également des répercussion sur les textes anciens. La plus importante me semble valoir pour les photos. Les images carrées, et a fortiori en hauteur, ne sont pas prévues (du moins pour l’instant) par le nouveau système. Vous risquez donc un consultant un vieil article de retrouver les illustrations sauvagement recadrées, avec un certain nombre de personnages décapités. Ne vous en formalisez pas trop et lisez tout de même. Je profite pour vous rappeler qu’il est toujours possible de suivre ma chronique en utilisant comme mots clefs «bilan» et «dumont». On verra pour la suite!
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Livres. Fabienne Radi rédige l'autobiographie de l'artiste contemporaine Nina Childress
Révélée par le Mamco genevois en 2009, la femme peintre raconte ses années de galère à l'écrivaine. L'ouvrage s'accompagne d'un gros catalogue raisonné.