Montée en commun avec Paris, l'exposition a un commissaire genevois, Thierry Dubois. Ce membre éminent de la Bibliothèque de Genève (BGE) a participé à l'élaboration de «De l'argile au nuage». Il lui a aussi fallu adapter le résultat pour l'Espace Ami-Lullin, qui ne possède pas la même dimension et dont l'histoire, universitaire, est toute différente. L'occasion de parler avec lui de cette manifestation très réussie.
D'où le projet Paris-Genève est-il parti? - L'idée a été émise par Frédéric Barbier, de l'Ecole pratique des hautes études à Paris. Il avait déjà collaboré plusieurs fois avec Yann Sordet de la Bibliothèque Mazarine. Sordet connaissait bien notre directeur Alexandre Vanautgaerden. On peut donc dire que tout s'est fait par réseau.
Dans quelle mesure le sujet, qui porte sur le catalogage des livres, intéressait-il la BGE? - Nous sommes en plein travail sur notre grand fichier, afin de l'informatiser. Nous devons terminer fin 2016. Il s'agit là d'une décision politique. L'idée de l'exposition tombait donc à pic. J'ai été désigné en 2013 comme commissaire genevois pour décider avec Paris du contenu, du choix des pièces présentées, des participations scientifiques au catalogue, ainsi que de la répartition entre spécialistes de ses notices. La présentation à la Mazarine venait en effet avant celle de la BGE.
Quelles sont les différences entre Paris et Genève? - Paris suivait un ordre strictement chronologique. Comme l'Espace Ami-Lullin se compose d'une seule grande salle, il fallait faire autre chose. Nous proposons un circuit thématique. Certaines pièces montrées sont différentes. Nous avons en plus la contrainte de remplir une grande vitrine en hauteur. J'y ai installé des fichiers et deux très rares placards, ou affiches, de libraires du XVIe siècle.
Avant d'aller plus loin, qu'est-ce au juste que la Mazarine? - Comme son nom l'indique, elle se réfère à Mazarin, qui dirigeait la France au milieu du XVIIe siècle, pendant la minorité de Louis XIV. Collectionneur, bibliophile, il avait comme bibliothécaire Gabriel Naudé, qui s'est penché sur le problème du classement des ouvrages. En 1627 déjà, il avait publié un traité sur le sujet, qui forme encore les bases de la réflexion actuelle. Mazarin a ainsi possédé une fantastique bibliothèque, hélas vendue aux enchères pendant son exil, dû aux troubles politiques de la Fronde. De retour au pouvoir, il en a créé une seconde qu'il a voulu pérenniser en la léguant au Collège des Quatre Nations, en face du Louvre, où siège aujourd'hui l'Académie française. Cet ensemble a été enrichi par des saisies révolutionnaires. Il s'accroît un petit peu. On peut cependant considérer la Mazarine comme un lieu patrimonial.
Le choix a été fait de partir de la Mésopotamie... - Deux mille ans avant Jésus-Christ! Parmi les centaines de milliers de tablettes de terre cuite retrouvées, il y avait effectivement des contenus de bibliothèques. Mais nous voulions surtout prouver que le geste de classer possédait quelque chose d'ancestral. Pour le particulier, c'est le goût de l'ordre et pour l'Etat la base d'une administration.
Grand saut ensuite jusqu'au Moyen-Age. - Nous montrons que la liste précède le catalogue proprement dit. On l'inscrit sur un feuillet resté vierge. Il n'y a pas encore de gestion. La pratique précède la théorie. Pour cette dernière, il faut vraiment attendre Naudé. L'homme préconise une rationalisation. Les ouvrages doivent se voir répartis en cinq domaines, selon le modèle créé par Jacques Auguste de Thou (1553-1617) pour les livres d'Henri IV. Il y a l'histoire, la théologie, les belles-lettres, la jurisprudence et la philosophie. C'est encore le système actuel. Ce qui a en fait changé, c'est le sens donné à ces cinq mots. Pensez qu'au XIXe siècle encore, l'anatomie faisait partie de la zoologie et non de la médecine!
Vous finissez donc avec le nuage. The Cloud... - Là, il n'y a plus de critère intellectuel. Ce qui compte, ce sont les mots clefs. L'organisation méthodique a disparu. Le format, qui dictait la place sur les rayonnages, a perdu son importance. Du moins pour le fichier. Avec la réalité des collections, c'est une autre paire de manches. Nous conservons, avec un manque de place devenu évident, deux millions de livres.
Que va devenir le fichier physique? - C'est la question que se posent bien des utilisateurs, pas forcément âgés. Le fichier physique rassure. Internet créée en fait deux peurs. Il y a celle de la perte des informations, à la suite d'un accident. Il y a aussi celle de l'infini. On sait toujours où un mur de petits tiroirs s'arrête.
Cet article complète celui, situé immédiatement plus haut, sur l'exposition «De l'argile au nuage».
Photo (BGE): L'un des catalogue capsenthétique de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, 1851. Précisons pour les non-hellénisants que "capsa" signifie "boîte" en grec.
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LIVRE/Thierry Dubois et l'exposition "De l'argile au nuage" de la BGE