Cela pourrait être un livre d'histoire. Anne Martin-Fugier a cependant pris des libertés, dont celle d'introduire des dialogues. La chose eut jadis été passé pour normale. Elle oblige aujourd'hui «Les couleurs et la mitraille» à devenir un roman. L'auteur n'a pourtant pas inventé grand chose dans cet ouvrage assez court, situé pour l'essentiel durant la guerre de 1870. La capitale française est alors assiégée par les Allemands, puis divisée par une Commune ici rapidement liquidée. «Le 21 mai, les Versaillais entrèrent dans Paris par la porte d'Auteuil qui n'était pas gardée. S'ensuivit une répression sanglante et les Communards incendièrent la ville.»
Il faut dire que le sujet choisi par l'historienne des mœurs («La place des bonnes», 2004, «La vie d'artiste au XIXe siècle», 2007...) tourne autour de quatre personnages issus du monde culturel de l'époque. Il y a d'abord deux peintres liés à la vie, à la mort par un sentiment dépassant à leur insu l'amitié. Ce sont deux hommes dont on parle aujourd'hui peu, même si certaines de leurs productions demeurent bien en vue. D'Henri Regnault, qui mourra au combat à 27 ans, Orsay montre l'immense portrait équestre du général Prim, peint à Madrid en 1869, et la sanglante «Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade» de 1870. De Georges Clairin, né également en 1843, le Petit Palais propose la vaste «Sarah Bernhardt», mollement étendue avec un lévrier blanc à ses pieds, qui fit sensation au Salon de 1876.
Deux muses célèbres
Condisciples, compagnons de voyage, amis sans se retrouver pour autant concurrents, Regnault et Clairin ont en effet chacun trouvé leur muse. Pour le premier, ce sera Adèle d'Affry, duchesse Colonna, plus connue sous son nom de sculpteur, Marcello. Une récente exposition à Fribourg, puis à Penthes, a honoré cette patricienne au talent un peu froid, avec quelques petits Regnault inclus au catalogue. Clairin se fera le chevalier servant (à beaucoup de choses) de l'impétueuse Sarah, dont il restera l'ami toute sa vie (2). Elle l'enterrera du reste dans son jardin, à Belle-Ile-en-Mer, fin 1919. Regnault était alors mort depuis près d'un demi siècle et déjà bien oublié du public...
Anne Martin-Fugier, qui est aussi très curieuse d'art contemporain (2), a choisi de dédoubler le récit. Il y a le cours des choses et la voix d'Antoine Merville, un paysagiste appartenant lui à la fiction. C'est un peu compliquer les affaires, qui ne sont déjà pas simples. Geneviève Bréton, qui brûle pour Henri Regnault, relève en revanche de la réalité. Une figure douloureuse, du genre sainte laïque. Elle éprouve quelque mal à faire le poids face à Marcello, et surtout à Sarah!
(1) Il faut aussi se souvenir que Sarah Bernhardt fut un sculpteur très doué pendant ses (rares) moments de loisir. Le "Met" de New York a acheté il a quelques années un des ses marbres. - (2) Je vous ai parlé de ses livres d'entretiens, parus chez Actes Sud, avec des artistes, des galeristes et des collectionneurs français actuels.
Pratique
«Les couleurs et la mitraille», d'Anne Martin-Fugier, aux Editions Le Passage, 174 pages.
Photo (Petit Palais): Fragment du portrait de Sarah Bernhardt par Georges Clairin, 1876.
Cet article est suivi par un autre sur l'"Histoire du silence" d'Alain Corbin.
Prochaine chronique le lundi 15 août. Le Louvre de Lens montre Charles le Brun.
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LIVRE/"Les couleurs et la mitraille", ou la vie d'artiste à Paris en 1870