«Je hais «Guernica»: c'est un dessin colorié plus qu'une peinture et pourtant l'un de plus célèbres tableaux su XXe siècle.» Ainsi commence le «Contre Guernica» d'Antonio Saura (1930-1998), qui se présente comme un pamphlet. Le vomissemnt continue de la sorte sur des pages et des pages, «je hais» se voyant parfois remplacé par «je déteste» ou «je méprise». Le texte date de 1982. L'immense toile venait de se voir rendue à l'Espagne par le MoMA de New York pour suivre les volontés de l'artiste. Elle était présentée seule avec ses esquisses dans une annexe du Prado, où l'oeuvre me semblait avoir trouvé la bonne place. Le jeune Reina Sofia l'a ensuite voulue comme trophée. Le musée l'a obtenue en 1992. Saura a alors remis la compresse avec «Requiem pour Guernica», où il déteste à nouveau tout le monde. Le peintre se montrera plus positif avec «Pour sauver Guernica». Il s'agissait cette fois d'empêcher la fragile toile d'aller au Guggenheim de Bilbao, les Basques l'ayant réclamée à leur tour.
Derrière ce déferlement de hargne, il y a cependant de l'amour. C'est ce qu'explique Didier Semin dans sa longue préface du livre «Sur Picasso», qui réunit les textes d'Antonio Saura sur son grand aîné. Les deux hommes, que séparaient quarante-neuf ans, se sont brièvement rencontrés deux ou trois fois. Picasso aurait alors dit à son cadet «on ne peut pas s'en débarrasser, n'est-ce pas?» en parlant de son propre personnage. Une évidence. C'était à la fois le père, la superstar, le compatriote et celui qui avait pu créer en toute liberté, alors que les jeunes générations espagnoles avaient dû composer avec la dictature franquiste. Il n'y avait donc de place que pour lui. On imagine la réaction du jeune Saura en découvrant à Paris une exposition sur la peinture hispanique moderne intitulée «Le siècle de Picasso»!
Réflexions sur l'histoire de l'art
Edité par les Archives Antonio Saura (qui se trouvent à Meinier, dans le canton de Genève), le recueil ne comporte pas que des écrits polémiques. Antonio (c'est le frère du cinéaste Carlos Saura) a beaucoup réfléchi sur l'art, d'une manière à la fois cultivée et intelligente. Il a parfaitement saisi l'apport de Picasso, dont il s'est par ailleurs inspiré. Il a même créé, reprenant les phagocytages de son aîné, toute une série de toiles en partant d'un seul portrait de Dora Maar daté de 1938. L'article sur «La beauté obscène», par ailleurs dédié à «Pablo Picasso sexe-pinceau» se révèle ainsi particulièrement brillant. On y voit comment le nu, si rare dans l'histoire de la peinture espagnole, n'a été accepté que grâce «à l'artifice ou au traitement symbolique qui lui a permis de s'affranchir de la barrière de l'impudicité.» Il lui faut un prétexte culturel que Picasso transformera hardiment «en fantasme de la maison close».
Un dernier mot. Important. Cet ouvrage forme bel et bien en ensemble de mots. L'image ne joue ici qu'un rôle accessoire. Il y a certes des photos, mais elles se contentent de servir d'iconographie. Il n'en allait pas ainsi dans les autres ouvrages édités jusqu'ici par les Archives Antonio Saura.
Pratique
«Sur Picasso» d'Antonio Saura, préface de Didier Semin, édités par les Archives Antonio Saura et Georg.
Photo (DR): Antonio Saura devant l'une de ses toiles.
Ce texte intercalaire suit un article sur l'édition de la correspondance Picasso-Cocteau.
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LIVRE/Les Archives Antonio Saura publient ses textes "Sur Picasso"