C'est encore l'été. Les auditeurs de France Inter en ont passé une partie avec Jean de La Fontaine et Erik Orsenna. L'académicien (un titre qui ne rend pas toujours éternel) a tenté de rééditer le succès d'Antoine Compagnon en 2013. Ce dernier avait pulvérisé les taux d'écoute, puis de vente en librairie, avec son été en compagnie de Michel de Montaigne. Un succès mérité du reste. Cette canicule philosophique avait su concentrer la vie et la pensée de l'écrivain du XVIe siècle en de tout petits chapitres. C'était ce qu'on appelle une quintessence.
En 2017 donc, Orsenna a raconté en 42 épisodes La Fontaine, tandis que France Inter (qui joue la carte de la vraie littérature, pas celle d'Anna Gavalda ou de Marc Lévy) confiait Homère à Sylvain Tesson et Victor Hugo à Guillaume Gallienne. J'espère ne pas me tromper pour ces derniers. N'écoutant pas la TSF, je ne connais rien aux programmes de radio. En bonne logique, il en est très vite issu un livre. «La Fontaine, une école buissonnière» se voit coédité par la chaîne radiophonique et Stock. Il comporte en prime quelques fables. On devait bien cela aux lecteurs, ces vers ne se mémorisant plus tant en classe à l'heure des iPads.
L'homme de Château-Thierry
La Fontaine est né à Château-Thierry, dans l'Aisne, que l'on visite (un peu) pour une belle église gothique et un terrifiant monuments aux morts américains. Beaucoup de guerres ont passé par là depuis que le futur conteur et fabuliste y a vu le jour en juillet 1621. Bonne famille bourgeoise, à ambitions aristocratique. Des charges. Du bien. Notre Jean négligera les premières et dilapidera le second. Les fermes se verront vendues une à une, jusqu'à faire de notre homme une sorte de SDF avant la lettre. Un mariage d'intérêt n'arrangera pas les choses pour longtemps. Il fera juste de La Fontaine un mauvais mari et un père exécrable. L'homme est paillard, pleutre et paresseux.
A une époque où nul ne vit de sa plume et où le droit d'auteur n'existe pas (il faudra pour cela attendre Beaumarchais), La Fontaine doit se trouver des protecteurs. Le grand sera Nicolas Fouquet, l'homme des «Nymphes de Vaux». On sait que le surintendant des Finances se verra disgracié et emprisonné en 1661 par Louis XIV pour avoir tenté d'éclipser le Roi-Soleil. La Fontaine lui restera fidèle, seul acte de courage de sa vie, tout comme une certaine Madame de Sévigné. Mauvais pour les affaires... Les Fables, adaptées des Anciens ont beau connaître un succès populaire et les Contes un autre de scandale, c'est la misère. La Fontaine se verra heureusement recueilli par Madame de La Sablière, puis in fine par le banquier protestant Anne Herwarth (Anne était à l'époque un prénom souvent masculin).
Conflit avec l'Eglise
Hélas, hélas... L'homme demeurait fort pieux. Catholique, cela va de soi. Il avait le malheur d'arriver dans un siècle dont il faut bien constater l'irrésistible ascension bigote. Une église n'est supportable qu'humiliée. La française, qui a sous Louis XIV le champ libre, entreprit la reconquête des âmes en maniant la peur de l'enfer. «Honte à l'abbé Pouget» (titre d'un des chapitres) raconte les avanies subies par La Fontaine pour espérer le Ciel. Destruction avant publication de sa meilleure pièce de théâtre. Ne plus rédiger que des oeuvres pies. Lire sa confession en public devant ses confrères de l'Académie française. Le vieux monsieur (on était âgé à 50 ans au XVIIe siècle) accepta tout. Il mourut en 1695. On découvrit alors que son corps était lacéré par un cilice lui labourant les chairs. L'Eglise catholique flirte volontiers avec le SM.
Tout cela se voit très bien raconté, d'un ton alerte comme toujours avec Orsenna. Ce dernier en profite pour se livrer à des comparaisons le concernant. Eric Arnoult, dit Orsenna, fut longtemps la plume de François Mitterrand, qui se paraît volontiers de celles du paon. D'où quelques anecdotes en apparence lointaines du sujet, mais où il s'agit néanmoins d'évoquer la Cour, ses flatteurs et ses envieux. Il faut ici avaler de nombreuses couleuvres, ce serpent étant l'emblème héraldique de Colbert, l'ennemi intime de Fouquet.
Digressions personnelles
Pourquoi ces digressions? Par plaisir, sans doute. Mais il convenait aussi d'étoffer ici le sujet. Avec La Fontaine, qui inspira en 1916 une pièce à Sacha Guitry, pas de grands voyages, peu d'affaires spectaculaires, aucune aventure mémorable. Si Compagnon avait dû concentrer son propos, le simplifier aussi en abordant Montaigne, il y avait ici difficilement de quoi remplir 42 émissions. Et puis, le ton de la radio demeure celui de la confidence. C'est une voix qui nous vient du noir. Erik Orsenna, qui écrit par ailleurs beaucoup (pour le XVIIe siècle, il a déjà parlé du jardinier André Le Nôtre), éprouve par ailleurs comme tout le monde l'envie de se raconter. Chacun de nous trouve après tout en lui ses meilleures histoires.
Pratique
«La Fontaine, Une école buissonnière», d'Erik Orsenna, aux Editions Stock/France Inter, 210 pages.
Photo (DR): Gravure du XIXe siècle d'après un portraut de jean de La Fontaine.
Ce texte est immédiatement suivi d'un autre sur un second livre d'Orsenna.
Prochaine chronique le samedi 2 septembre. Deux livres et une exposition pour Frédéric Pajak.
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LIVRE/Erik Orsenna parle sur France Inter de Jean de La Fontaine