C'est un livre piquant, à tous les sens du terme. Avec «Géopolitique du moustique», que j'ai acheté il y a quelques semaines à Arles, terrain de chasse par excellence de ce genre d'insectes, Erik Orsenna signe le quatrième tome de son «Petit précis de mondialisation». L'académicien française s'est associé ici avec une scientifique, Isabelle de Saint-Aubin. Il ne suffit pas d'occuper sous la Coupole le siège de Louis Pasteur pour tout savoir. Imaginez-vous que 3564 sortes de moustiques ont déjà été répertoriées, et que ce n'est hélas pas fini.
Grand public, cultivé et amusant, l'ouvrage en suit trois autres, à dénicher quelque part dans la longue bibliographie de l'auteur. Il y a ainsi eu en 2006 les «Voyages au pays du coton». A suivi en 2008 «L'avenir de l'eau». Ce fut enfin, deux ans plus tard, «Sur la route du papier». Orsenna restait là dans les grands thèmes classiques. Avec le moustique, l'homme emprunte un chemin (ou plutôt une voie aérienne) de traverse. Il s'agit ici de mondialisation sauvage et invisible. Difficile de réaliser comment ces bestioles se propagent et migrent. Il est cependant clair que notre actuelle manie du voyage y est pour quelques chose. Nous ne demeurons plus à l'abri des moustiques africains ou sud-américains, autrement plus virulents que ceux que connaissaient nos ancêtres européens. A nous autres désormais la leishmaniose, la fièvre hémorragique de Crimée-Congo ou la borréliose transmis par ces charmantes petites bêtes!
Enquête sur le terrain
Erik Orsenna a beaucoup appris sur le terrain. Il a fait le tour de la Planète, en passant par le Panama, le Surinam, la Guyane, la Thaïlande ou le Pérou. C'était à la fois l'occasion de rencontrer l'ennemi et ceux qui le traquent. Les médecins. Les épidémiologues. Les vétérinaires. Les généticiens, qui sont sans doute des fous dangereux. Vous suivrez avec lui le parcours du virus Zika, qui porte le nom d'une forêt africaine ougandaise. Connu depuis longtemps, oublié, il réapparaît en 2007 pour descendre en 2013 jusqu'en Polynésie et s'installer deux ans plus tard au Brésil. Frissons garantis, d'autant plus que le Zika, propagé par des moustiques, donne des fièvres de cheval. Orsenna y voir à juste titre le comble de la mondialisation sournoise.
Les derniers chapitres se voient voués comme de juste aux manières de se débarrasser des moustiques. Toutes se révèlent hélas à hauts risques, les pires semblant une modification de leur ADN. C'est un jeu d'apprenti sorcier. A côté de ces manipulations, le si décrié DDT tient de l'aimable plaisanterie. «A vouloir jouer avec le cœur même de la vie, forte est la probabilité qu'elle se venge.» Les insectes s'adaptent en effet mieux que nous...
Des qualités de conteur
Excellente lecture, la «Géopolitique des moustiques» illustre bien les qualités de conteur de l'auteur. Orsenna sait intéresser ici son public, comme naguère avec la langue française, dont il a successivement défendu la grammaire (qui est pour lui «une chanson douce»), le subjonctif, les accents et «La fabrique des mots». Une langue qui évolue, ce qui est normal. Mais qui s'appauvrit aussi, ce qui le semble moins. Ces livres réactionnaires (au bon sens du terme) avaient connu un large écho que mérite aussi cette défense d'une mondialisation enfin maîtrisée.
Pratique
«Géopolitique du moustique», d'Erik Orsenna et Isabelle de Saint-Aubin, aux Editions Fayard, 280 pages.
Photo (Eric Feferberg/AFP): Erik Orsenna dans sa bibliothèque.
Ce texte intercalaire suit celui sur le La Fontaine d'Erik Orsenna.
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LIVRE/Eric Orsenna et sa "Géopolitique du moustique". Piquant!