C'est un quatrième livre. Voila qui fait beaucoup pour un photographe suisse romand. Publier ce genre d'album devient difficile. On ne peut par ailleurs pas dire que Patrick Gilliéron Lopreno se soit montré conciliant. Le Genevois a voulu pour son «Eloge de l'invisible» ce qu'il y avait de meilleur comme papier, reliure et tirage. Quitte à se battre pour l'obtenir. Une telle obstination méritait bien une nouvelle rencontre. Je vous ai déjà parlé le 31 mai 2005 de ses «Monastères» et le 3 octobre 2016 de son «Voyage en Suisse», tous deux parus à Genève chez Labor et Fides.
Quelles différences, Patrick Gilliéron Lopreno, avec l'ouvrage actuel? - D'abord il marque mon passage à la couleur. Je pense ensuite qu'il s'agit ensuite de ma création la plus personnelle. Je n'ai vraiment fait ici aucune concession. Je voulais tout contrôler. Au départ, il n'y avait donc ni graphiste, ni éditeur. La chose supposait une recherche de fonds. Je devais trouver l'argent que j'amènerais à la maison se chargeant de l'album. Il y a finalement eu deux gros mécènes. Tout d'abord la commune d'Anières, dans le canton de Genève, qui finance des projets culturels. Et puis à Genève le FMAC, ou Fonds municipal d'art contemporain. La somme enfin réunie, j'ai été voir Till Schaap, à Berne. Cet homme dans la soixantaine a accepté d'assumer la réalisation.
Il y a très peu de texte dans cet «Eloge de l'invisible». - Je ne voulais pas de légendes pour les images. Même pas de numérotation des pages. Il fallait cependant une préface épousant les photographies. Pour cela, j'ai contacté Slobodan Despot, qui a notamment publié «Le miel» et «le rayon bleu» (1) à la NRF. Il a dit oui. Nous nous sommes pas rencontrés. Tout s'est fait par courriel ou par téléphone. Il a rédigé son texte seul, en se basant sur un jeu d'épreuves. Nous avons fini par nous voir, bien sûr, mais après. Je dois dire que cette forme de contact m'arrangeait. Avec elle pas de parasitages. Nous restions tous les deux libres.
Le résultat marque donc pour vous un tournant. - Il s'agit aussi d'une suite de mes errances périphériques à travers la Suisse. Tout est parti d'une envie de couleurs et d'un besoin de construire. Jusqu'ici, je vadrouillais jusqu'à ce qu'une image me saute aux yeux, parfois en l'attendant longtemps. Je rentrais même à l'occasion bredouille. Ici, je suis parti chercher sur place celle que j'avais précisément en tête. Je faisais s'il le fallait 500 kilomètres. Je voulais construire une histoire sans paroles. S'il regarde bien le livre, le spectateur découvrira sans peine qu'il s'agit d'un pamphlet contre le monde moderne. Il assiste à une chute. Les premières pages lui proposent un univers encore intact. Un paradis. Puis les atteintes à la nature se multiplient, de manière sournoise d'abord. Evidente ensuite. A la fin, ce n'est plus qu'un chaos crépusculaire. La nuit menace.
Vous en êtes resté au film argentique. - Oui. J'ai même utilisé jusqu'à cinq rouleaux pour obtenir la photo voulue. Je restais persuadé, et je le suis encore davantage après la sortie d'«Eloge de l'invisible», que l'argentique rend bien mieux au tirage. Il permet de sortir davantage les détails.
Combien de temps l'aventure a-t-elle duré? - J'ai commencé en 2015, en parallèle avec d'autres choses. Je viens de finir. Mais il a aussi fallu compter un an pour monter l'affaire.
De quelle manière le livre s'est-il pratiquement réalisé? - Il m'a fallu opérer une énorme sélection. J'avais accumulé des milliers d'images. J'ai élagué une première fois. Puis retranché encore. Et encore. A la fin j'avais autour de moi des sacs-poubelles pleins. L'avantage, c'est que j'avais en tête la ligne à garder. Il fallait que tout s'intègre au plan et qu'aucune image ne vienne gâter l'harmonie du projet. Le livre devait rester mince. Je n'aurais pas aimé qu'il comporte une image de trop. Je suis content du résultat. Il me semble équilibré.
Vous avez évoqué des problèmes d'impression. - Nous avons travaillé avec Courvoisier-Attinger de Bienne, puisque l'ensemble de l'ouvrage a été exécuté en Suisse. Les premiers essais ne m'ont pas paru concluants, ainsi qu'à mon graphiste Oliver Schneebeli. Il nous a donc fallu expliquer comment on pouvait faire mieux, et pourquoi il fallait par conséquent recommencer. La chose en valu la peine. Il ne faut pas se contenter d'un produit standardisé. Au final, les couleurs sont plus fortes. Elles créent comme des vibrations. Il y a aussi une vraie profondeur dans les images de neige, où il s'agissait de sortir une multitude de blancs différents.
Le papier fait aussi beaucoup. - C'est un papier couché. Je n'aime pas le glacé, avec son effet de miroir. Ici, tout se lit dans une matité agréable à l’œil. Après avoir tant soigné la photolithographie, comme l'a fait Aurélien Garzarolli, après autant de tentatives d'impression, il ne fallait pas se contenter de n'importe quel support.
(1) Certains se souviendront de Slobodan Despot fut aussi le communiquant de l'écrivain et politicien Oskar Freysinger.
Pratique
«Eloge de l'invisible» de Patrick Gilliéron Lopreno aux Editions Till Schaap, pages non numérotées. Texte bilingue français-allemand.
Photo (Patrick Gilliéron Lopreno): L'une des images sans légende du livre.
Prochaine chronique le dimanche 4 novembre. Le jeune Pietro Scarpa aux Stanze del Vetro de Venise.
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LIVRE DE PHOTOS/L'"Eloge de l'invisible" de Patrick Gilliéron Lopreno