L'incendie de Notre-Dame à Paris. J'y étais. Je vous raconte les faits sans pathos
On a beaucoup écrit sur le sinistre. J'étais dans la foule, sur une rive, puis l'autre de la Seine, lundi soir. Voilà ce que j'ai effectivement vu et entendu. Un suspense haletant.

La flèche en train de tomber. Cela, je ne l'ai pas vu de mes yeux.
Crédits: Geoffroy van der Hasselt, AFPTout a commencé d'une manière
bizarre. Je suis ce lundi à 18 heures dans un café du Palais-Royal
en compagnie d'un ami travaillant sur les cathédrales. Il me
montre des plans. Il y a notamment là celui de Notre-Dame. L'homme
me raconte la forêt de poutres du XIIIe siècle formant la toiture
de l'édifice épargné par le temps, alors que l'Hôtel-Dieu contigu a brûlé au XVIIIe siècle avec une partie des ses malades.
«Des arbres qui ont commencé à pousser autour de l'an Mil.»
Je l'écoute. Tout a coup, un cri retentit dans l'établissement.
«Notre-Dame est en feu.» Les écrans s'allument. La coïncidence
paraît irréelle. J'ai l'impression de lire du Dan Brown. Nous nous
séparons (après avoir payé, tout de même) afin de mieux arriver
sur place.
Il suffit en fait de suivre la colonne de fumée dans le ciel bleu. De grise, elle devient noire à mesure que l'on se rapproche de la Seine. Au début, les passants vont et viennent normalement. Peu d'entre eux prennent le chemin du sinistre. Tout le monde n'a pas les mêmes priorités. Je pense à l'église, que les Communards n'ont pas réussi à incendié, alors que flambaient non loin de là l'Hôtel-de-Ville et le Palais de Justice en 1871. A Victor Hugo aussi. C'est grâce à son livre, sorti en 1831, que Notre-Dame de Paris est véritablement devenue mythique. Sous l'Ancien Régime, c'étaient Reims, où l'on sacrait les rois depuis Clovis, et Saint-Denis, où ils étaient enterrés. Laissée sans entretien aux XVIIe et au XVIIIe siècle, abîmée par le Siècle des Lumières (1) et la Révolution, la cathédrale parisienne semblait en si mauvais état vers 1820 qu'on parlait de la démolir. Me voici tout de même sur les quais. La foule se densifie. Je ne distingue encore rien. Il me faut descendre beaucoup plus loin, l'île de la Cité coupant longtemps la vue.
Religieuses médusées
Au niveau du Châtelet, le spectacle
commence. On est venu voir l'incendie, comme au Moyen Age, quand les
villes vivaient sous la terreur du feu. Il y a des gens des tous
âges, photographiant à qui mieux mieux. Je note un groupe de
religieuses. Elles demeurent au propre médusées, alors même que
d'ici on ne voit encore presque rien. Il me faut progresser parmi les
gens, de plus en plus nombreux. Certains restent indifférents à la
scène, pourtant unique. Pensez! Voir se consumer une cathédrale qui
n'avait jamais connu d'accident grave en huit cents cinquante ans! Il
y a pourtant des garçons à leur portable pour raconter leurs
histoires de bonshommes et des filles hurlant leurs affaires de
bonnes femmes. J'arrive néanmoins à me faufiler jusqu'au point de
vue idéal, si j'ose dire, sur la Rive Droite. Le chevet de l'église.
Les tours, que j'ai pu observer précédemment, restent apparemment
intactes.
Là, c'est le désastre! La flèche reconstruite par Viollet-le-Duc (2), qui apparaissait encore entourée de fumées sur les écrans au Palais-Royal, n'est plus là. «Elle vient de s'effondrer comme un fétu de paille», explique une femme aux nouveaux-arrivants. L'arrière entier de Notre-Dame se retrouve maintenant embrasé. Il reste, insolite, l'échafaudage monté pour la réfection de la dite flèche. Je pense alors d'un coup que c'est toujours lors de travaux de réfection d'immeubles anciens qu'éclatent les pires incendies. Comme me disait un architecte ami (on ne peut pas tous les détester), une restauration constitue une provisoire mise en danger. Les pompiers sont présents, bien sûr, même si j'ai surtout croisé des voitures de police dans les rues. Sur un côté du moins. Le droite, depuis mon point de vue. Des lances crachent des tonnes d'eau sur les toitures en voie d'effondrement. Pourtant, le jet semble vu d'ici ridiculement petit par rapport aux flammes, hautes comme un immeuble. A peine un petit robinet d'eau froide. «Pourquoi ne pas jeter de l'eau depuis des avions», s'interroge ma voisine. La réponse semble pourtant bien simple. Rien de plus lourd qu'un liquide. Ce serait comme bombarder Notre-Dame. Et Rouen, qui est à mon avis une cathédrale plus spectaculaire que celle de Paris, a bien failli disparaître ainsi sous les obus alliés en 1944.
Oeuvres en péril à l'intérieur
A côté de moi, j'entends une question
plus sensée. «Le mur du transept droit (le gauche, donc si l'on
était devant les tours) ne commence-t-il pas à pencher? Etait-il
ainsi avant l'incendie? Je n'arrive plus à me souvenir.»
Effectivement, on croirait la tour de Pise. Un frisson collectif supplémentaire, tout
à coup. Il semble que l'incendie soit parvenu à l'intérieur de
Notre-Dame, sous les voûtes. Ce serait vraiment la catastrophe.
Comme le soleil se couche dans un incroyable rougeoiement, je
n'arrive plus à distinguer le feu des effets du crépuscule. Il me
faut aller de côté, sur l'autre rive de la Seine. La circulation
devient difficile. Sur le pont, un groupe aux allures d'intégristes
(il existe un look intégriste) psalmodie interminablement des
prières. Ouf! Je passe. Ouf! L'incendie intérieur semble dû à un
effet optique. Je demande son avis à mon nouveau voisin. Coup de
chance. C'est un étudiant avancé en histoire de l'art. Nous
inventorions ensemble les œuvres en péril à l'intérieur. «On dit
que tout date du XIXe, mais c'est faux. Il y a là une partie des
Mays, ces immenses et merveilleux tableaux que les orfèvres
offraient chaque année au XVIIe siècle. Le Brun. La Hyre...» A
côté de nous, une femme dit qu'on pourrait aussi penser aux
reliques du trésor, reconstitué après la Révolution.
La grande peur réside maintenant dans la contagion du feu aux tours. Tout le monde sent que, si l'une d'elles venait à s'écrouler, ce serait la fin. Un écroulement général. Il me faut donc progresser sur le quai. La circulation des badauds commence à se voir limitée. Des cordons tendent des rues, pour les empêcher de passer. J'avance au petit bonheur sur la Rive Gauche. A un moment, je me retrouve bloqué. Mais tandis qu'on entend de la fenêtre d'un appartement une Passion de Bach rappelant que nous sommes le premier jour de la Semaine Sainte, je croise ma rencontre providentielle. C'est une architecte restauratrice. Elle explique à son entourage des réalités inconnues. «Le bois peut prendre feu par incandescence. Il suffit d'avoir trop manié le chalumeau à côté. Rien ne se voit. Rien ne se sent. Il y a d'un coup des flammes et c'est trop tard. Il y a aussi l'accident électrique.» N'empêche qu'on connaît la chose et qu'il faudrait une garde permanente, proteste un des ses interlocuteurs. Tout semble ici avoir été bien lent. Il n'y a du reste toujours pas de lance à gauche pour cracher de l'eau. La restauratrice explique alors comment elle se trouvait, en 2013, sur le chantier de l'Hôtel Lambert, à la pointe de l'Ile Saint-Louis. Ce chef d’œuvre du Grand Siècle a brûlé comme une torche au moment de ses transformations, sans qu'on puisse faire autre chose que limiter le dégâts. On avait jasé à l'époque. Je me souviens. Le feu intervenait après le refus des Monuments historiques de transformations pour son nouvel acheteur. Un émir. Beaucoup de gens pensaient (et pense toujours, du reste) que l'incendie n'était pas tout à fait accidentel.
Visites protocolaires
J'essaie de me frayer un chemin encore
plus avant, mais cela devient vraiment difficile. La police ferme
artère après artère. La station de métro Saint-Michel a son
rideau de fer baissé. On se demande si c'est par précaution ou à
cause de cette manie très française de faire le vide quand arrive
un homme ou une femme important. J'apprendrai plus tard qu'Emmanuel
Macron et Anne Hidalgo sont là. Le président et la maire en
représentation. Il paraît même qu'ils se sont étreints. Le grand
jeu quand on se déteste, mais c'est ce qu'on appelle la politique.
De loin, je constate cependant que le feu se rabougrit. Il y a
maintenant des lances d'eau des deux côtés. Les flammes semblent
comme reculer. Elle perdent en tout cas de leur hauteur. Les tours restent solidement debout. Le reste se consume. Sans
bruit. Sans odeur. Le désastre se résume à une image, que tout le
monde ne regarde d'ailleurs pas. A des terrasses, je vois des gens
finir de dîner comme si de rien n'était. Il ne me reste plus qu'à
partir. Je lirai le reste dans les journaux mardi. Je le fais
effectivement quelques heures plus tard, en trouvant que la presse
a beaucoup tartiné, avec de la mauvaise littérature. Puis je
ferai mon petit tour d'inspection. Le mur incliné est toujours là.
De loin, il ne me paraît pas si noir que cela. Juste de grosses traces
vers le haut, au dessus de la rose. Le plus étrange demeure en fait
de voir Notre-Dame veuve de toit. Il faudra sans doute des décennies
pour le retrouver, du moins en apparence, tel qu'avant. Sans sa forêt
du XIIIe siècle. Une forêt d'autant plus mythique que le public ne
l'a en fait jamais vue.
(1) On a alors cassé des vitraux pour
faire entrer plus de lumière et rogné les portails afin de faire
passer les dais de procession.
(2) Elle remplaçait celle démontée à
la fin du XVIIIe, tant Notre-Dame paraissait instable.