L'ICOM n'a pas adopté sa définition politiquement culturelle des musées
La délibération a tourné court à Kyoto le 7 septembre. Menée par la France, la fronde a abouti à l'ajournement de la votation. La bataille des Anciens et des Modernes annoncée n'a pas eu lieu.

Jette Sandahl, la femme par qui tous les débats sont arrivé.
Crédits: YoutubeOuf! Réunie à Kyoto, l'ICOM n'a pas
adopté la nouvelle définition croquignolesque proposée pour
qualifier ce que doit devenir à l'avenir une institution muséale. Regroupant 124 pays, cette organisation faîtière ne l'a pas
repoussée non plus. Le projet n'a tout simplement pas été mis au
vote, à la demande de la France, suivie par une majorité de
participants. Il se voit donc repoussé d'un an au pire, ou au mieux
à la saint glinglin.
Je vous rappelle les faits, qui avaient fait l'objet d'une de mes chroniques le 5 août (https://www.bilan.ch/opinions/etienne-dumont/organisation-faitiere-licom-veut-aujourdhui-modifier-les-buts-et-les-regles-des-musees). Il existait jusqu'ici une définition bête comme chou du musée, dans laquelle tout le monde pouvait se reconnaître. C'était compter sans l'assaut des modernistes, pour qui les idées de collection, de contemplation ou de travail scientifique semblent obsolète. Selon eux, le musée doit cesser d'être une sorte de temple, comme il se doit masculin, blanc et occidental, pour se muer en une version "soft" de l'hôpital. Nourries par les «gender studies» ou les «cultural studies» nées dans les universités américaines, les nouvelles normes devraient permettre un gigantesque pansement social. Les minorités, les femmes et les enfants s'exprimeraient. Tout serait participatif. Aucune hiérarchie, vue comme archaïque et patriarcale. Je suppose que vous connaissez comme moi la chanson (1).
Un coup d'éclat
Une Danoise, Jette Sandahl, s'était
faite la porte-parole du Comité permanent de l'association présidée
par Suay Askoy. Une Turque nommée à ce poste en 2016. Jette avait
pour elle son enthousiasme et la création de deux musées foireux en
Scandinavie. Je me suis tout de même étonné, lorsqu'elle a annoncé
son coup d'éclat le 25 juillet, de voir une quasi vieillarde porter
la bonne parole pour le XXIe siècle. Jette a un an de moins que moi,
qui ne nourrit plus de telles prétentions. Son coup d'éclat
ressemblait fort à un futur coup d'Etat. La dame ne pensait pas que
les pays, en plein été, aient le temps de se retourner avant un
vote prévu à l'arraché le 7 septembre.
Vingt-deux pays se sont très vite rebiffés, avec en tête la France. Cinq autres organisations nationales ont suivi. Si les Etats-Unis, lobotomisés par le politiquement correct se montraient favorables à cette innovation, il n'en allait pas de même à la surprise générale pour le Canada, pourtant très bien pensant. Ni du reste pour l'Iran, la Russie, Israël ou l'Argentine. Dans une remarquable chronique donnée au «Monde», Michel Guerrin se demandait si l'on allait assister à une guerre idéologique des Anciens contre les Modernes. Les premiers auraient été les tenants des oeuvres et de leur étude. Les seconds les partisans du seul débat sociétal au milieu d'un forum. Eh bien tel ne semble pas être le cas lors du vote du 7 septembre ayant abouti au repoussement de la motion! Comme j'ai pu le lire hier en ligne dans «La Tribune de l'art» (2) , celle-ci a été renvoyée par le 70,41 pour-cent des votants, chaque pays disposant d'une voix.
Dangers plus graves
En conclusion, sans pendre bien sûr
parti (les philosophes sont au dessus de ce genre de choses), Michel
Guerrin craignait une explosion de l'ICOM, dont le seul pouvoir reste moral, alors que les musées
connaissent des problèmes autrement plus menaçants qu'un résidus
potentiel d'élitisme occidental. Il parlait de la sur-fréquentation
de quelques institutions face au vide abyssal de public que
connaissent les autres. D'un financement devenu toujours plus
fragile. D'un modèle se calquant sans cesse davantage sur celui de
l'entreprise commerciale. De la prise de pouvoir des communicants sur
les experts. Bref, de choses dont je vous entretiens régulièrement.
«Merveilleuse ICOM qui s'assied sur la réalité au risque de ses
saborder», concluait Michel Guerrin. Un mot de la fin sans danger. L'homme s'arrêtait à temps. La véritable question serait en fait: «Est-ce que ce serait
vraiment très grave?» La même demandeque l'on pourrait hélas
formuler aujourd'hui pour l'UNESCO.
Cela dit, en Suisse, il existe
visiblement un fan club pour les idées rassemblées par Jette
Sandahl. Je pense au MEG de Genève, avec un nouvel éditorial selon
moi affolant de son directeur Boris Wastiau. Je vous en parle dans un
texte situés une case plus haut dans le déroulé de cette
chronique.
(1) Je note au passage que ce ont
toujours les musées qui se retrouvent en ligne de mire. Nul ne
parle d'orchestres symphoniques inclusifs, où les auditeurs
s'empareraient des instruments, ni de livre dont les minorité
écriraient certains chapitres. Etrange, non?
(2) Didier Rykner avait soulevé dans
«La tribune de l'art» un fameux lièvre. La motion préfère le
mot «artefact» à celui d'«oeuvre». Un
artefact suppose une intervention humaine. Dès lors, tous les musées
d'histoire naturelle ne seraient dorénavant plus des musées.