
C’est un petit livre à l’appétissante couverture rouge, ponctuée de petits rectangles blancs alignés à gauche. Une couverture parlante. «Email diamant» de Fabienne Radi va en effet nous parler de dents. En général et en particulier. Vous connaissez l’auteure, du moins par mes soins puisque je vous ai plusieurs fois parlé d’elle. Fabienne est un électron libre, que dis-je un ludion dans la littérature romande actuelle. Elle reste et se veut inclassable. A la page 73 de son dernier bouquin, la dame assume. Dans un chapitre hilarant tournant autour d’une lecture qu’elle doit faire à Paris avec un (in)certain Christophe, elle déclare en effet: «Pour ma part, j’écris des textes qui ne sont pas vraiment des essais, ni complètement des fictions, encore moins des poèmes, mais flirtent un peu avec tout ça. Ce qui n’est pas très original à une époque où le «crossover» est partout.»
Si Fabienne se décrit bien là, avant de nous raconter ses angoisses face à un public français auquel elle ne sait plus si elle doit dire «septante» pour marquer son ancrage régional ou «soixante-dix» afin de les rassurer sur son assimilation, elle ne se flatte en revanche guère. Bien sûr que les métissages sont à la mode! Mais généralement pour le pire. Ils demeurent à la culture ce que la cuisine internationale est à la gastronomie. Un peu de ci. Un zeste de ça. Un chouïa d’autre chose. Tout cela pour aboutir à un machin en général sans goût ni personnalité. Or de cette dernière, la Suissesse en a à revendre. Le lecteur la reconnaît du premier coup, alors qu’elle lui parle à chaque fois d’autres choses. Au pluriel, bien entendu. «Email diamant» saute comme d’habitude du coq à l’âne, même si la dent en constitue, si j’ose dire, le pivot.
De Bowie à la Biennale de Lyon
Si Fabienne Radi nous raconte les corrections dentaires de David Bowie, qui ont peu à peu contribué à lisser son image, si elle nous narre le calvaire de sa grand’mère, à qui on avait arraché à 18 ans la dentition entière pour lui trouver un mari qui n’aurait pas à payer de dentiste (1), il existe donc dans «Email diamant» des récits sans canines ni molaires. L’un d’eux, le plus drôle sans doute, se révèle sa visite à la Biennale de Lyon en 2003. Elle se retrouve là avec une amie histoire de s’informer en tant qu’artiste et de future enseignante à la HEAD genevoise. Les enfants ne pensent qu’à leur planche. A cet âge-là, le cerveau glisse sur des roulettes. Le retour tournera à la catastrophe climatique. Fabienne se livre ici à un exercice de haute voltige. L’art contemporain qu’elle côtoie journellement va se retrouver moqué aux yeux du lecteur. Et pourtant pas, si on y regarde de plus près! L’écrivaine ne décrie pas. Elle se contente de décrire. Seulement voilà! Le lecteur un peu doué fait lui aussi son boulot. Il imagine.

Fabienne Radi. Photo DR.
Je terminerai ce cheminement «dentesque» en signalant que l’opuscule a paru chez art&fiction. Une petite maison lausannoise dont je vous parle parfois, sans que vous vous en rendiez forcément compte. Il y a ainsi eu un texte sur l’excellent «Triptyque de la peur» d’Alexandre Friederich. Tout récemment un autre à propos d'«Echec & scotomie» de Jean Otth. Les «Alex Katz interviews» de Stéphane Zaech ont été passé dans ma moulinette. Et je vous renvoie bien sûr à «Oh là mon Dieu» d’une certaine Fabienne Radi. Je dois avoir oublié un ou deux compte-rendus. art&fiction fait partie des petits éditeurs à soutenir. Vous voyez ce qui vous reste à faire.
(1) La chose se pratiquait dans les milieux modestes campagnards de Suisse romande au début du XXe siècle.
Pratique
«Email diamant» de Fabienne Radi, aux Editions art&fiction, 180 pages.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
Fabienne Radi se fait ses dents littéraires dans le petit livre "Email diamant"
L'inclassable de la littérature romande parle bien sûr de dentition et de pivots réels. Mais elle dévie volontiers dans tous les sens, y compris celui de l'art contemporain.