Les Tulipes de Jeff Koons enfin inaugurées à Paris. L'effet public est déjà retombé
L'oeuvre a été cachée aussi bien que possible dans un jardin peu fréquenté derrière le Petit Palais. Il n'y a plus guère de curieux malgré une cérémonie en grandes pompes le 4 octobre.

Jeff Koons devant sa création le 4 octobre dernier.
Crédits: Stéphane de Sukutin, AFPC'était ce qui s'appelle un cadeau
empoisonné. Un don du genre de ceux qu'on reçoit à Noël, bien
empaquetés, et qui ne se mangent hélas pas. La chose n'a rien de
bien nouveau, «Timeo Danaos et dona ferentes» (1) disait déjà mon
ami Virgile. Peu après les attentats parisiens de novembre 2015,
Jeff Koons faisait présent d'une sculpture à la France en signe de
sympathie (sympathiser signifie «souffrir avec» au départ). Oh,
pas d'une œuvre toute faite! Il ne faut pas exagérer. L'Américain
offrait le dessin pour une statue à couler aux frais d'une princesse
quelconque.
La polémique pouvait commencer. Maire de Paris, Anne Hidalgo parlait de «l'immense artiste», ce qui me semble tout de même abusif. D'autres trouvaient le brouillon pour un machin de treize mètres, avec des tulipes multicolores, tout simplement atroce. Ou pire encore, banal. Il fallait cependant trouver un emplacement. L'idée était au départ de faire spectaculaire. Le premier endroit choisi a donc été devant le portique unissant, sur la colline de Chaillot, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris et le Palais de Tokyo. Autrement dit un admirable ensemble architectural conçu pour l’exposition internationale de 1937 dans un style monumental, mais classique. Rien à voir avec les aquariums géants dérivés du Bauhaus.
Un accord à l'amiable
Inutile de dire que les amis du
patrimoine ont hurlé. Le poids de la statue en devenir, à couler
dans du métal, leur est venu en aide. Les bâtiments sont construits
sur une pente raide. D'un poids de plusieurs tonnes, les tulipes
risquaient du coup de se retrouver en moins de deux sur le front de
Seine. L'endroit a donc pu se voir refusé sans vexer «l'immense
artiste». Il fallait bien sûr trouver autre chose. Un accord a
enfin pu être trouvé pour un site prestigieux. Les abords des
Champs-Elysées. Et c'est ainsi que le bouquet de fleurs a pu se voir
inauguré en grandes pompes le 4 octobre derrière le Petit Palais.
Je suis allé voir, bien sûr! Le piège s'est refermé de manière diabolique sur Jeff Koons. Bien sûr, le groupe jouxte l'Elysée ou le Grand Palais. Mais les tulipes ont beau mesurer treize mètres de haut. Nul ne les voit, ou presque. Des Champs-Élysées, du moins tant que les arbres conservent des feuilles, il ne se distingue pas le moins pétale coloré. Du Petit Palais, rien non plus à l'horizon. Il faut s'aventurer dans les jardins pour arriver devant une chose effectivement énorme. Une main colossale, au traité hyper-réaliste, empoigne des fleurs stylisées. Certains ont parlé d'anus, espérant sans doute renouveler le scandale du «vagin de la reine» posé par Anish Kapoor dans le parc de Versailles en 2014. Il est aussi permis de songer à des poivrons. En tout cas pas à des tulipes, comme elles fleurissent chaque année au printemps en Hollande.
Un pet dans l'eau
Il est du coup permis de parler d'un
pet dans l'eau. Quelques jours plus tard après l'inauguration, il
n'y avait déjà presque plus personnes autour du Koons. J'ai à
peine vu tirer quelques "selfies", ce qui à l'heure d'aujourd'hui
tient du record dans le sens inférieur. Dans un ou deux mois, plus
personne n'en parlera. Twitter s'est tu à ce propos depuis longtemps. Plus la moindre méchanceté. "Un clou chasse l'autre", comme disait cette fois mon copain Voltaire. Il n'y aura plus qu'à entretenir, que dis-je à
briquer l'objet, conçu pour être aussi neuf et rutilant qu'une
carrosserie de voiture. L'artiste n'aura plus qu'à méditer sur
l'ingratitude des Français. Il leur a fait une fleur. Ils l'ont
dédaignée. Et quand on sait ce que vaut un Koons à l'heure
actuelle, c'est vraiment le bouquet!
(1) Je crains les Grecs même quand il font des présents. C'est dans «L'Enéide».