Mode. Les mémoires de la légendaire Diana Vreeland ont enfin paru en français
Morte en 1989, la rédactrice en chef de "Vogue" avait rencontré deux journalistes en 1984. "D.V." tient un peu de la fabulation. Mais quel aplomb et quelle fantaisie!

Diana dans les années 1970 par Horst P. Horst.
Crédits: Succession Horst P. Horst.Un peu de snobisme ne fait pas de mal
en ces temps d'austérité, de bien-pensance et de catastrophisme.
«Editeur de curiosités», Séguier vient ainsi de sortir «D.V.»
(1984), l'autobiographie de Diana Vreeland, morte en 1989. L'ouvrage
restait inédit en français. Il n'avait pas été traduit quand est
sorti en 2012 le film sur la rédactrice de mode, conçu à travers
soixante témoignages par la femme de son petit-fils Lisa Immodino
Vreeland. Ce documentaire avait beaucoup fait parler de lui. Il faut
dire qu'il montrait dans toute son extravagance celle qui fit la
réputation de «Harper's Bazaar», puis de «Vogue», avant de créer
nombre d'expositions pour le «Met» de New York.
«Mon Dieu ce que les taxis coûtent cher!», peut-on lire au chapitre 13 de «D.V.» «Je devrais prendre le bus comme tout le monde. Vous n'arrivez pas à m'imaginer dans un bus? Mes petits-enfants non plus. Ils racontent toujours la même histoire à mon sujet. «Nonnina a pris le bus avec Papy une fois, et vous savez ce qu'elle lui a dit? «Oh regarde, il y d'autres passagers!» Des mots comme cela, il y en a plein le livre que Diana, devenue presque aveugle à 81 ans, n'a en réalité jamais écrit. Elle s'est donnée en spectacle à deux journalistes, George Plimpton et Christopher Hemphill. Ces deux derniers ont pieusement recueilli ses paroles, sans trop chercher à canaliser leur interlocutrice. Or Diana saute sans arrêt d'un sujet à un autre. Elle quitte une histoire pour en entamer une seconde. En incise. Puis une troisième. Elle retombe rarement sur ses pieds. C'est en mineur l'équivalent du «Manuscrit trouvé à Saragossse» du comte Jean Potocki ou au cinéma «A Passage to Marseilles» de Michael Curtiz, où les «flash-backs» s'empilent à l'infini.
Paris, Londres et New York
Le lecteur apprend cependant des choses
sur cette femme ouvertement laide, mais hyper élégante, que rien ne
prédisposait aux métiers de la presse. Née en 1903 à Paris, la
fillette du meilleur monde a assisté à Londres au couronnement de
Georges V en 1911 avant d'arriver aux Etats-Unis avec ses parents
deux ans plus tard. La débutante a ensuite épousé un banquier. Ils
ont vécu à Londres, où Diana a ouvert une boutique de frivolités
fréquentée par la future duchesse de Windsor. Retour en 1935 à New
York. C'est là que Carmel Snow, la légendaire (et très alcoolique)
rédactrice en chef de «Harper's Bazaar» a demandé à Diana de
faire partie de son équipe comme billettiste. Puis Diana a tenu la
barre, jusqu'à ce que «Vogue» vienne la chercher en 1962. La femme
du monde pourra y déployer toute son imagination, avec des moyens
financiers presque illimités. Elle passait pour un tyran, faisant
faire et refaire des photos dans des lieux exotiques jusqu'à la
perfection voulue. Précisons que la dame utilisait Richard Avedon,
Irving Penn ou Louise Dahn-Wolfe. Ces folies finiront par un renvoi
spectaculaire. Riche, Diana ne se jettera cependant pas par la
fenêtre, comme celle qui l'avait précédée à «Vogue» et qui
avait connu le même sort.
Une nouvelle vie allait commencer pour celle qui déclarait: «La vulgarité est indispensable dans la vie. On a tous besoin d'une pincée de mauvais goût. L'absence de goût, voilà ce que je ne tolère pas.» Elle allait se voir repêchée par le Met, dont le département costumes n'avait jamais décollé. Elle va y monter des expositions à grand spectacle, en commençant par Balenciaga. La direction de l'établissement se montrera effrayée quand elle amènera dans les salles les robes de Hollywood, mais ce sera un triomphe public. Diana a ainsi lancé le processus faisait qu'aujourd'hui un endroit comme le Victoria & Albert de Londres vit presque exclusivement de mode. Idem du reste pour le MAD parisien, qui propose Dior ou Martin Margela.
Une certaine exagération
Le livre fourmille d'anecdotes mettant en scène des gens célèbres, ou l'ayant été. Tout est-il bien vrai? Sans doute pas. L'intéressée précise que ses petits-enfants l'accusent sans cesse de fabuler. Elle tempère sans démentir. «Bon, c'est vrai que j'ai tendance à exagérer systématiquement. Et bien sûr, l'exactitude des faits n'est pas mon fort. Mais, dans une bonne histoire... certains des détails... relèvent de l'imagination. Je n'appelle pas cela du mensonge.» Bref, comme une robe sert en principe à améliorer celle qui la porte, Diana Vreeland enjolive. Ainsi que le disait Elvire Popesco au théâtre dans «La locomotive» d'André Roussin: «La vérité, c'est ce qui fait plaisir.»
On doute que dans le futur les souvenirs de l'actuelle Anna Wintour possèdent la même classe...
Pratique
«D.V.» par Diana Vreeland, propos recueillis par George Plimpton et Christopher Hemphill, Traduit par Laureen Parslow, 286 pages.