C'est ni oui, ni non. Mauro Natale n'a,à ce que je sache, aucune ascendance normande. Mais le problème quilui était soumis vendredi 1 er mars, sur le coup des 13heures 30 lors d'une table ronde à la Bibliothèque de Genève,tenait du casse-tête chinois. Sont-ils bien de Léonard de Vinci lesdessins géométriques contenus le manuscrit BGE Ms I. E, 210?Comment le dire? Leur tracé même ne permet pas d'y déceler la maind'un gaucher (ce qu'était Léonard) ou d'un droitier. Le «ductus»,pour utiliser un mots pédant, est irréprochable, mais raide etfroid. L'opposé des croquis jetés sur le papier par le maître àMilan, où le codex genevois a été produit à la fin du XVe siècle.
Gérée depuis un mois pile parFrédéric Sardet, qui nous vient de Lausanne, la BGE nous donne icile second événement organisé sous son impulsion, vu que sanomination n'est pas toute récente. Il y a eu début février auMusée Voltaire, toujours en déshérence directoriale, une soiréetrès réussie autour du philosophe et de Madame du Deffand. C'étaitcette fois une pause lunch en compagnie de l'homme clé de 2019. Onnous servira du Vinci à toutes les sauces jusqu'en décembre.Visible par le public ce week-end, le manuscrit genevois ira sous peuà Rome, avant de se retrouver en fin d'automne au Louvre. «Avecquel nom sur l'étiquette?», demandera une dame au moment desquestions. Pour Frédéric Sardet peu importe. De toutes manière, ils'agit d'une réalisation «vincinienne». La question del'autographie se posait peu vers 1500. Ce qui sortait de l'atelier deVinci était de Vinci. Seule comptait l'invention. La partie noble del’œuvre.
Trois exemplaires
Mais avant d'en arriver là, dans unEspace Ami-Lullin comble, il y a eu plusieurs interventionsbienvenues pour situer l'objet (visible sur un écran) dans soncontexte. Paule Hochuli Dubuis a commencé par raconter l'histoire dece volume, qui a existé dans trois versions, dont l'une est perdue.Il résulte de la rencontre à Milan de Vinci et du mathématicienLuca Pacioli, qui était de Borgo San Sepolcro en Toscane commePiero della Francesca. Ils se sont pris d'amitié et ont rêvéensemble de géométrie. Le texte s'intitule du reste «De divinaproportione». Il se réfère aussi bien à Euclide qu'àl'architecte romain Vitruve. Il y est question du nombre d'or, quitourne les têtes depuis Pythagore (l'homme du théorème).

Il a donc existé trois copiesmanuscrites. L'autre se trouve depuis le XVIIe siècle àl'Ambrosiana de Milan. Celle de Genève, datée 1498, était réaliséepour Ludovic le More lui-même. Le duc de Milan allait subirl'invasion française quelques mois plus tard et sortir ainsi del'Histoire. Le recueil a passé ensuite par Venise, comme l'attesteune inscription laissant supposer qu'il a appartenu à Palma le Vieuxou Palma le Jeune. Deux peintres importants. Il s'est ensuiteretrouvé en France dans la prestigieuse bibliothèque des Petau.C'est lors de la lente dispersion de celle-ci que 88 manuscrits ontété acquis par Ami Lullin. L'homme le plus riche de la Républiquevers 1710. Ce dernier a légué ce fonds en 1756 à la Bibliothèquede Genève.
Du côté du nombre d'or
Magali Aellen Loup et IsabelleHaldemann se sont ensuite penchées sur la matérialité du livre. Ila été réalisé sur parchemin. Autrement dit sur peau. Du mouton,vraisemblablement. Encre métallo-gallique. Le manuscrit a subi desattaques dues à une mauvaise conservation dans un passé lointain.Une première intervention a eu lieu en 1916. De 1992 à 1996, unerestauration en profondeur s'est vue menée par Andrea Giovanini.Elle a nécessité environ 400 heures de travail. Il a fallu mettrele livre sous presse deux ans afin qu'il retrouve son caractèreplane. Shaula Fiorelli, mathématicienne, a enchaîné sur le «nombred'or» avec beaucoup d'énergie. Je m'y suis perdu au bout de deuxminutes, mais les gens avaient l'air passionnés. Ce nombre seraitfixe. Comme une équation. Il n'empêche que le goût esthétique change. Lecorps vitruvien dessiné vers Léonard en 1500 ne correspond déjàplus à l'idéal physique maniériste des années 1580.
Une intervention sans notes de FrédéricElsig a suivi. Brillantissime. Elle traitait de Léonard et laperspective. Il en existe en fait deux. Je résume. Il y al'aérienne, ou atmosphérique, qui est celle de la peinture depuisla fin du XVe siècle. Elle demeure en quelque sorte illusionniste.Et puis l'autre. La géométrique. La savante. Il s'agit là d'unescience se prêtant à la théorie. Il a bien sûr été question deLéon Alberti, de Filippo Bnuneslleschi et de Piero della Francesca.Avec un retour sur Luca Pacioli, qui est tout de même l'homme dujour avec Léonard.
Deux cas récents
Il ne restait plus à Mauro Natale qu'àconclure. Péroraison attendue. Le professeur a commencé par deuxautre Vinci récents, puisque ces derniers ont tendance à poussercomme des champignons. Il a été question de «La Belle Princesse»,qui dort sauf erreur dans un coffre de notre Port-Franc. Çaa été l'exécution pour ce dessin, très fini et un peu trop joli.Un support ancien. Quelques traces d'un tracé primitif. Beaucoupd'améliorations du XIXe siècle, voire du XXe. Le «Salvador Mundi»à 450 millions de dollars a mieux passé son examen. En dépitd'usures phénoménales et de restaurations frôlant le lifting, ilsubsisterait des parties pouvant se révéler de la main du maître.

Et le manuscrit genevois? On est venupour cela, après tout! Provenance en béton. Etat de conservationmoyen. Sans doute pas issu, pour ce qui est des illustrations, de lamême main que celui de l'Ambrosiana. Une invention de Vinci, sansaucun doute. «Mais ce dernier, qui passait d'une chose à l'autre,se serait-il donné la peine de refaire trois fois les mêmes dessinsaboutis? Ne faut-il pas voir là le travail d'un membre de sonatelier, travaillant sous son étroite supervision?» La chosen'enlève aucune valeur, sinon financière, au manuscrit. Il faudraitvoir là une création collective, comme le sont nombre d’œuvresanciennes. Et cela (mais ici c'est moi qui parle) pour ne pas parler des véritables usines queconstituent les antres de certains créateurs de notre époque. Je nedonnerai pas de noms.
Pratique
«De divina proportione», Bibliothèquede Genève, Espace Ami-Lullin, promenade des Bastions, Genève, lesamedi 2 mars de 10h à 16h. Entrée libre dans la limite des placesdisponibles, Visites guidées à 11h, 13h et 15h. Tél. 022 418 2800, site www.institutions.ville-geneve.ch/fr/bge/ Le manuscrit est visible numériquement depuis le 1 er marssur www.e-codices.ch
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Les dessins du "De divina proportione" de la BGE sont-ils de Léonard de Vinci?
Depuis 1756, la Bibliothèque de Genève conserve un manuscrit créé pour le duc de Milan en 1498. Il est issu de la collaboration de Vinci avec le mathématicien Luca Pacioli. Mais qui a tracé les illustrations?