Les dessins de Courbet font l'objet d'un énorme livre et d'une exposition à Ornans
Niklaus Manuel Güdel et son équipe ont exploré un oeuvre très contesté de la manière la plus méthodique possible. Ornans, la ville natale du peintre, présente les dessins avant Vevey.

L'auto-portrait à la pipe, qui se trouve dans la collection Jean Bonna.
Crédits: DRLe livre se révèle à la hauteur des
problèmes soulevés. Enorme. Il faut dire que l'équipe placée sous
la direction de Niklaus Manuel Güdel s'attaque à l'un des peintres
français les plus difficilement cernable: Gustave Courbet. Un
artiste dont le monde fête en 2019 les 200 ans de la naissance. Le
catalogue raisonné de ses peintures fait sans cesse l'objet
d'interrogations nouvelles. Qu'a peint l'homme lui-même? Quelles sont les
toiles dues à son atelier, surtout lors de son prolifique séjour
suisse de 1873-1877? Où se situent enfin les faux? Les vrais faux,
si j'ose dire. Cela dit, il ne me semble guère plus facile de faire
le ménage chez Camille Corot...

Pourquoi tant de questions? Parce que le Franc-Comtois est toujours resté fantastiquement inégal. Bien sûr, il y a les chefs-d’œuvre. Je vous recommande ainsi «L'Atelier», que le Musée d'Orsay a récemment restauré en public. Le tableau, naguère embrumé, a changé de couleurs. Mais il y a aussi les réalisations médiocres. Voire les croûtes. Courbet reste l'auteur indiscuté de tableaux vraiment horribles, mal composés, mal dessinés et pour coiffer le tout mal peints. Des générations de spécialistes, et en particulier la famille Fernier (où l'on est expert de Courbet de père en fils), ont tenté de démêler le bon grain de l'ivraie. Mais aucun classement, ou presque, ne se révèle définitif. Il peut y avoir des changements d'opinions. Et il apparaît régulièrement de nouveaux Courbet. Le peintre genevois Emile Chambon (1905-1993), qui était un «fan», prétendait ainsi posséder de lui 130 peintures et 450 dessins!
A la recherche des traces d'époque
Les dessins... Si les réalisations
picturales de Courbet ont déjà du mal à mettre le cénacle
d'accord, c'est ici la bouteille à encre. On en était même venu à
se demander si l'homme d'Ornans avait jamais tenu un crayon. Cet
exhibitionniste s'est pourtant peint en 1845-46 avec un porte-mine.
Il se trouve sur le célèbre «Autoportrait à la ceinture»
d'Orsay, qui brillait récemment à la superbe rétrospective dédiée
au maître par Ferrare. Des mentions de dessins exposés du vivant de
Courbet se retrouvent par ailleurs nombreuses, mais éparses.
Anne-Sophie Poirot s'occupe de cette partie. Son texte s'intitule
«Jalons et stratégies». Il existe donc des feuilles authentiques,
qu'il s'agit de traquer et d'analyser. C'est là l'objet du livre. Un
travail d'équipe reflétant l'esprit de synthèse de Niklaus Manuel
Güdel, qu'on a jusqu'ici connu (mais l'historien demeure en début de
trentaine!) concentré sur l’œuvre et la personne de
Ferdinand Hodler.
Le travail effectué est multiple. Chaque élément a dû se voir pris en considération, des papiers utilisés à la signature (ou à l'absence de celle-ci). Il s'agissait de déterminer un style, même s'il y là comme en peinture des incohérences et d'incroyables disparités de niveau. Il fallait par ailleurs démêler les provenances. Certaines sont fiables comme celle de sa sœur Juliette. D'autres incitent à la méfiance. Zoé Courbet était mariée à un autre peintre, Jean-Baptiste Reverdy, dont les réalisations risquent de passer pour des «Courbet par alliance». Un fonds de 208 feuilles émergé du néant en 1984 dans les pays germaniques a vite fait tousser. C'est bien sûr non. Et Chambon, me direz-vous? Le collectionneur à qui le MEG genevois doit quelques-uns de ses fleurons africains? Eh bien, dans ce qui a pu être retrouvé venant de chez lui, il y a eu de bonnes surprises! Niklaus Manuel Güdel, dans son texte liminaire, joue cependant la prudence. Bien des spécialistes ont perdu leur réputation après des certificats hâtifs. Sa sélection se voit sont proposée avec ces mots: «Ces dessins présentent suffisamment d'éléments convaincants pour qu'une attribution à Gustave Courbet puisse sérieusement être envisagée.»
Un air de famille
L'ouvrage, que dis-je le pavé peut
ensuite étudier les pièces l'une après l'autre en tenant compte
d'une datation ou d'une fonction. Les principales font l'objet d'une
longue notice. Elle détaille des pièces qui finissent par posséder effectivement un air de famille. Chez Courbet, comme plus tard chez
Redon ou Seurat, le noir l'emporte sur le blanc. Les personnages
semblent sortir de l'ombre. Très peu de mouvement. Nous sommes dans
un univers statique. Les personnages posent de manière visible. Les
paysages et les quelques réalisations à l'encre tranchent sur le
reste. Un point se voit parallèlement fait sur les collectionneurs de Courbet. Côté
peintres, il n'y a pas eu qu'Emile Chambon mais aussi un certain
Henri Matisse. Il fallait enfin parler de Courbet illustrateur, même
s'il s'agit là d'un travail marginal et faible. Bref, le livre fait
le tour de la question. On ne peut qu'admirer une fois de plus le
travail de Niklaus Manuel Güdel, qui s'est ici illustré dans le
genre collégial. Celui par vocation du catalogue.

«Courbet, les dessins» constitue en effet, malgré ses luxueuses apparences, l'ouvrage d'accompagnement de l'exposition actuelle de ce titre au Musée Courbet d'Ornans. La ville natale du peintre, dans le Doubs. Elle dure jusqu'au 29 avril. Niklaus Manuel et Anne-Sophie Poirot en sont les commissaires. Pourquoi ne pas parler également de cet accrochage dans un beau lieu chargé d'histoire? Pour deux raisons. Une bonne et une mauvaise. La seconde, c'est parce que la cité franc-comtoise, presque agonisante, devient inaccessible sans voiture. La première est que de «Courbet, les dessins» connaîtra à l'automne une seconde étape. Plus proche. Les œuvres (ou d'autres) seront présentées au Musée Jenisch de Vevey du 1er novembre au 2 février 2020. J'y reviendrai bien sûr à ce moment-là.
Pratique
«Courbet, Les dessins», ouvrage collectif sous la direction de Niklaus Manuel Güdel, aux Cahiers dessinés (le choix s'imposait!), 376 pages. Composition et mise en page très soignées.