L'Occupation est à la mode, si j'osedire. Tandis que la presse n'en finit pas d'évoquer des œuvresd'art spoliées aux familles juives, dont la restitution posed'infinis problèmes, de nouvelles études se profilent sur le cinémaalors produit en France. Environ 200 films de long-métrage. Auxétudes pionnières se sont joints des livres dus à des spécialistesayant eu accès à de nouvelles archives. Plus un titre de fiction(enfin pas si fiction que ça!) de Bertrand Tavernier en 2002:«Laissez-passer». Le réalisateur et historien situe son récit àla Continental, firme fondée par les Allemands en plein Paris, fin1940. Il s'est passé là des choses étonnantes, tandis que lamaison sortait régulièrement de bons films et même unchef-d’œuvre comme «Le Corbeau» de Georges-Henri Clouzot. Nommépar Goebbels lui-même, le directeur Alfred Greven laissait auxscénaristes et aux réalisateurs une liberté que ne permettait pasla censure de Vichy. Et son cinéaste le plus prolifique, RichardPottier, était un Autrichien naturalisé Français...
Les Genevois peuvent en juger grâce aucycle que consacrent aujourd'hui à cette période Les cinémas duGrütli. Vingt-trois titres, parmi les plus célèbres, de «GoupiMains-Rouges» de Jacques Becker à «La main du diable» de MauriceTourneur en passant par les «Enfants du Paradis» de Marcel Carné,sorti à la Libération. Les projections se voient complétées pardes documentaires et de débats. D'une part ils sont à la mode ennotre temps de politiquement correct. De l'autre, il semblait bon dedonner la parole aux chercheurs. Si je publie mon article trop tardpour inviter à entendre Bertrand Tavernier, il reste àécouter Francis Gendron, Delphine Chedaleux, Geneviève Sellier etsurtout Christine Leteux. Je vous ai dit à plusieurs reprises lebien que je pense des livres de cette dernière, qui a travaillé surTourneur comme sur la Continental. Des ouvrages documentés, bienécrits et dénués de passion politique. Avec elle, rien que desfaits.
Des structures à recréer
Qu'est-il en fait arrivé? La vie desstudios français s'arrête en mai 1940, laissant certains tournages(comme celui d'«Air pur» de René Clair) à jamais inachevés. Lavie reprend à l'automne dans un pays coupé en deux par une Ligne deDémarcation. Il y aura un cinéma à Paris et un autre à Nice ouMarseille. Beaucoup de vedettes et de cinéastes ont émigré avantmême les lois raciales. Michèle Morgan, Jean Gabin, Julien Duvivierou Max Ophuls sont à Hollywood. Jacques Feyder, Louis Jouvet ouFrançoise Rosay en Suisse. Il s'agit de recréer des structures dansune nation où les grandes compagnies (comme Pathé ou Gaumont) sontréduites à peu de chose depuis la guerre de 14. Le tout sans cesJuifs qui avaient su faire vivre la production au coup par coup, avecdes équipes étonnamment cosmopolites. Des problèmes de consciencese posent, bien sûr. Se remettre au travail, n'était-ce pas déjàcollaborer avec l'ennemi?

La France va triomphalement parvenir àremonter la pente avec deux atouts imprévus. La première est dès1941 la disparition des film américains. Cela dit, les produitsallemands, surtout en Agfacolor, ne sont pas aussi boudés qu'on veut bien le dire. Des Français tombent sous le charme trouble de la«starissime» Zarah Leander. La seconde aide vient d'un besoineffréné de distractions. Le public oublie tout dans les salles où il faitnettement plus chaud que dans les appartements. La plus grande partiedes fictions, comme en Allemagne du reste, se compose donc deproduits de divertissement. Des comédies. Des sujets fantastiques.Des films en costumes. La réalité contemporaine ne pouvant se voirévoquée, les intrigues se passent en 1900 avec des froufrous, dessièges capitonnés et de grands rideaux à concevoir malgré lesrestrictions (1), en réutilisant le moindre clou et le plus petit bout de tissu. Notez queBerlin, Rome et Londres aussi multiplient ces sujets à l'ancienne.Il serait une fois passionnant de montrer à quel point les films desquatre capitales se sont un temps ressemblé.
Nouvelles vedettes
En six ans apparaissent denouvelles vedettes. Des metteurs en scène font leurs vrais débuts,de Clouzot à Claude Autant-Lara, qui donne avec «Douce» l’un desfilms les plus acides de cette époque. C'est le moment où MichelinePresle devient une star, tout comme Odette Joyeux, la mère de ClaudeBrasseur. Albert Préjean peut incarner le commissaire Maigret dansdes films de la Continental. Maurice Tourneur, qui fut l'un des grands pionniers du cinéma américain vers 1915, produit ses derniersgrands films, tandis que son fils Jacques est l'étoile montante deHollywood. Marcel l'Herbier (absent de la rétrospective au Grütli)retrouve sa forme. C'est enfin la grande époque de Marcel Carné, àqui producteur indépendant André Paulvé donne d'énormes moyenspour «Les visiteurs du soir», puis «Les enfants du paradis».

Les films diffusés entre 1940 et 1944véhiculent-ils un message politique? La question passionne certainsaujourd'hui. Il est clair que certains d'entre eux reflètentl'idéologie de Vichy avec des hymnes à la famille et des appels auretour à la terre. Pour ce qui est des sirènes nazies, la réponseme semble non, même si «Les inconnus dans la maison» d'HenriDecoin vaudront à leur auteur des ennuis en 1945 pour antisémitisme.Y a-t-il pour autant eu des appels à la Résistance? Oui et non. Lecœur battant sous une chape de pierre à la fin des «Visiteurs dusoir» tient de l'allégorie. Les efforts aéronautiques de «Le Cielest à vous» de Jean Grémillon vantent l'ingéniosité etl'opiniâtreté françaises. «La Symphonie fantastique» deChristian-Jacque, avec Jean-Louis Barrault en Berlioz, promeut leromantisme «made in France». Mais les choses ne vont pas plusloin.
Déferlement américain en 1946
Que se passe-t-il du coup en 1945? LaContinental disparaît. Il se forme des comité d'épuration quicondamnent Arletty ou Corinne Luchaire, la fille d'un de pirescollaborateurs. Trois ans de traversée du désert pour la première.Peu de films se voient interdits. Certaines carrièress'interrompent, le public souhaitant passer à autre chose. A latrappe Michèle Alpha, Blanchette Brunoy ou Mireille Balin! Mais leproblème principal devient vite l'afflux de films américains,imposés par les vainqueurs. Les accords commerciaux Blum-Byrnes de1946 vont livrer les écrans du pays à Hollywood. Mais ceci, commele dirait Jean-Luc Godard, est une autre histoire,...

(1) Y compris les coupuresd'électricité! Les prises de vue se font du coup souvent la nuit.Et si les acteurs fument beaucoup, c'est parce que le froid faitsortir de la buée de leurs lèvres...
Pratique
«Le cinéma français sousl'Occupation», Cinéma du Grütli, 16, rue du Conseil-Général,Genève jusqu'au 28 avril. Tél. 022 320 78 78, site www.cinemas-du.grutli.ch
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Les Cinéma du Grütli montrent les films français tournés sous l'Occupation allemande
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