Le transferts des biens culturels genevois suit son cours. Petite visite au Carré Vert
Le MEG passe de Ports Francs non climatisés à un monde digne d'un hôpital. Le déménagement a exigé nettoyages, conditionnements et mises en cartons. Chaque objet aura sa place dans les entrepôts souterrains de l'avenir.

Les sous-sols tels qu'il se présentent. Une signalétique blanche sur des murs gris.
Crédits: Notter + VigneNous sommes dans le secret. Je ne dois
pas vous dire où nous nous trouvons. Du moins pas en détails. Je
vous rassure tout de même. Pour visiter les anciens et les nouveaux
entrepôts du MEG (ex-Musée d'ethnographie de Genève), je n'avais
pas les yeux bandés et nul ne m'a fait tourner comme une toupie afin
que je perde le sens de l'orientation. Une certaine discrétion
s'impose cependant pour ces lieux, le futur Carré Vert devant
contenir les biens culturels de la Ville de Genève, désormais
soignés comme s'ils étaient tous des chefs-d’œuvre.
Le parcours commence du côté des Ports Francs. Le MEG est locataire depuis 2003 d'un entrepôt situé sur territoire suisse. Un sous-sol non climatisé. «Autant dire qu la température y monte très haut en été pour descendre vraiment bas en hiver», explique Boris Wastiau, directeur du MEG. Ce n'est donc pas que le musée soit ici à l'étroit. «Nous occupons tout de même 2800 mètres carrés.» Mais il y a les problèmes de conservation et le loyer. On parle d'un chiffre comme 400 000 francs par an. Le Carré Vert doit à la fois centraliser, mieux préserver les objets et éviter ces folles dépenses. Les Musées d'art et d'histoire (MAH) se font étrangler par leurs factures comme de vulgaires locataires moyens genevois à ce que je crois savoir.
Une place pour chaque chose
Pour le moment, nous demeurons en plein
déménagement aux Ports Francs. Je ne vois personne mais,
«normalement il y a ici jusqu'à une quinzaine de personnes
actuellement en séance.» Une des ces fameuses séances sans
laquelle une administration ne saurait vivre. Dans ce désert, je
distingue mieux les cartons empilés, avec des cotes et des chiffres.
«Chaque objet a été conditionné après un nettoyage en
profondeur. Il est calé avec du papier que nous gaufre une machine.»
Dans ce monde où l'on se projette dans le futur, chaque chose a
trouvé sa place par ordinateur sur le nouveau site. Elle se voit
classée par type, par taille ou par continent. Il s'agit aussi de gagner de la place. «Nous utilisons deux
logiciels créés pour nous (1).» Je m'étendrai d'autant moins dans les
détails que je n'ai pas tout compris. L'idée générale est que les
items puissent se voir suivis à la trace en permanence. Car les
choses ne s'arrêteront pas là! Il y aura les transits quand les
œuvres seront déplacées pour un examen, un prêt ou une
exposition. «Vous avez par exemple ici nos objets amazoniens qui, après
le Canada, s'apprêtent à partir pour le château des ducs
de Bretagne à Nantes.»
Comme vous le sentez sans doute, il n'y a plus place dans cet univers pour le hasard. «Nous n'avons pas retrouvé d'objet égaré dans le récolement actuel.» Il faut dire que tout avait été contrôlé avant que les pièces ethnographique soient déplacées en 2003 vers les Ports Francs. Je ne sais pas si vous vous rappelez ce cirque. Il y avait eu des cortèges organisés par le directeur d'alors Ninian Hubert van Blyenburgh, parti depuis ailleurs relever d'autres défis. Des sortes de fêtes tristes. N'oublions pas qu'elles suivaient le vote négatif de la population genevoise sur le projet d'un nouveau MEG à la place Sturm. Ce transfert était vécu comme un progrès. Je peux vous dire que j'avais vu les réserves sur place, dans le vieux Musée d'ethnographie, au temps déjà lointain de Louis Necker. Il y avait des choses entassées partout, y compris sur les marches d'escalier. Les objets restaient en libre-service. Pirogues et totems étaient entrés dans les caves comme ils l'avaient pu. Au chausse-pied. C'était une autre époque, même si ce genre de désordres me fait toujours un peu rêver.
Gros objets en rade
Mais revenons quelque part aux Ports
Francs. Ici, l'aventure se termine. Il reste encore à faire partir
des piles de cartons sur des palettes et de gros objets provenant
souvent de la Collection Amoudruz d'objets alpins (6435 pièces sur
les quelque 74 000 détenus par le musée, «documentation, photos et
enregistrements musicaux non compris»). Je remarque notamment un
corbillard. «Il nous servira à la prochaine exposition du MEG,
centrée sur l'Europe. Elle évoquera en 2019 l'univers des contes.»
Il se trouve aussi par ici un petit endroit voué à l'actualité.
«Les acquisitions demeurent pour l'instant gelées. Mais il est
clair que le MEG continuera à s'enrichir en respectant les règles
habituelles. Intérêt pour les collections. Authenticité.
Provenance. Nous n'allons prendre un objet médiocre si nous en avons
un meilleur du même type.»
Il est temps maintenant de passer au Carré Vert. Il se situe quelques part à Artamis, ce nouveau quartier dont je ne saurais dire qu'il brille par ses qualités architecturales. A l'entrée, il faut montrer patte blanche. Boris Wastiau reçoit du préposé une clef, ou plutôt une carte magnétique au bout d'un porte-clef. En sortant de chaque local (l'ensemble ayant une forme de H au premier sous-sol), il lui faudra le refermer pour pouvoir ouvrir une autre porte. C'est mieux que le «Barbe-Bleue» de Charles Perrault, puisque nous en sommes aux contes européens. Les chambres n'ont pas toutes la même température. «Celle pour les photos est à 14,5 degrés.» Les lieux restent pour l'instant assez vides, les étagères demeurant en construction. «Mais je vous rappelle que tout a été modélisé par ordinateur.» Je note quelque part une «chambre d'anoxie» pour enlever l'oxygène. Nous sommes presque aux soins intensifs. Les objets les plus modestes (et il y en a fatalement sur 74 000) se verront désormais surveillés comme de grands malades. Il y a même une «cellule de crise» dans un coin. «C'est en cas d'accident grave, ici ou dans les musées genevois ayant déposé à Artamis leurs biens culturels.» Boris Wastiau en profite pour dire que l'inondation paraît exclue, même si nous restons à quelques brassées du Rhône. «Nous sommes protégés comme le MEG par une double coque de béton.» Croisons tout de même les doigts.
Le droit de toucher
Les conservateurs d'autres institutions s'étant plaint que leurs objets sont désormais trop précieux pour qu'ils puissent y toucher, c'est le moment de poser la question. Non, selon Boris Wastiau, les responsables pourront continuer à poser avec tact leurs petits doigts sur les items. «C'est en effet un droit à protéger. J'ai dû étudier une collection au Smithsonian. Interdit de bouger un objet d'un centimètre sans l'accord du conservateur-restaurateur. Ils ont pris le pouvoir aux Etats-Unis. J'ai dû me tordre le cou pour voir.» Dans le même genre, il n'y aura pas de cortège avec sirènes et motards quand une sagaie ou un masque se verra déplacé de quelques centaines de mètres vers le MEG. «Il est cependant clair qu'un de nos conservateurs ne pourra plus les transporter à la main, comme cela se faisait jadis. Ceci pour des raisons d'assurances. Mais notre camionnette continuera à fonctionner.» Me voici rassuré. Enfin, un peu. L'univers que j'ai découvert ici me semble à la fois glacial, et pour le moins administratif. L'avenir n'est pas à la fantaisie. Et ceci même à Artamis, que j'ai connu espace alternatif.
(1) L'un des deux logiciels se nomme Marguerite en hommage à la légendaire (je ne l'ai pas connue) directrice du MEG Marguerite Lobsiger-Dellenbach,
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