
Tout tient à peu de chose au royaume des foires. En 2020, le Salon du Dessin parisien avait été la première victime de la pandémie en mars. A quelques jours près! La TEFAF de Maastricht venait de s’achever en catastrophe. Le monde entier se retrouvait d’un coup sous la couette en attendant des jours meilleurs… qui ne sont du reste pas encore vraiment arrivés. Qu’importe! Après deux reports successifs, l’édition 2021 se déroule en ce moment à la Bourse. Il y a une trentaine de participants à cette manifestation intime. Certains invités (payants, tout de même!) sont restés chez eux. Neuf en tout. Ils participent au Salon «en ligne seulement». Pourquoi eux? Mystère. Si l’absence des Américains, des Anglais (et encore, pas de tous!) et des Allemands se justifie, Chantal Kiener habite Paris et elle me semble largement en âge d’être vaccinée…

Un spectaculaire dessin de Jean Alaux, qui a tout de suite trouvé preneur chez Benjamin Peronnet. Photo DR.
Autrement, en pénétrant au Palais Brongniart, rien ne semble changé. Bien sûr, les allées se sont faites plus larges afin de respecter les «distances sociales», si hypocrites en France à l’heure actuelle. Certes, les stands se sont du coup vu rabotés dans leur largeur, ce qui leur donne l’aspect de corridors. Mais la plupart des participants connus sont là, à l’exception d’Arturo Cuellar, évanoui dans la nature quelque part entre Zurich et Zoug, et du Parisien Emmanuel Marty de Cambiaire. Notez qu’il y a des petits nouveaux. Rien de plus normal! Deux générations ou presque se sont écoulées depuis la fondation de ce salon en 1991. Autant dire qu’il y a eu des décès, des fermetures plus ou moins volontaires mais aussi des créations, la dernière en date (Orbis Pictus) remontant à 2019. On devient moins regardant sur l’«ancienneté» des maisons admises, qui devaient jadis «faire leurs preuves». Des fondateurs, il ne reste en fait plus grand monde. Ou il y a eu passage de témoin, comme chez Prouté ou à la Galerie de Bayser, Louis de Bayser présidant aujourd’hui le Salon du Dessin. Notons tout de même qu’Hubert Prouté, toujours pétillant et actif même si ses deux filles ont pris le relais, fêtera ses 100 ans en 2022.
Egalité de traitement
Je rappelle brièvement les règles du jeu. A la Bourse, où le Salon s’est installé après avoir occupé plusieurs cinq étoiles de la capitale, tout le monde se retrouve égalité. Les stands, de seize mètres carrés cette année, se voient tirés au sort. Comme cela, pas de jaloux dans un milieu parfois susceptible. Les exposants laissent de la place à un invité institutionnel, qui reçoit ainsi de la «visibilité». Il s’agit cette fois des musées des Marseille peinant à exister par rapport au MUCEM. Une somptueuse sélection de dessins des XVIIIe et XIXe siècles. Il faut dire que ceux d’avant la Révolution viennent de faire l’objet d’un livre de poids. Ce monstre de papier vous calerait sans peine une commode. Il y a aussi une librairie, où le public ose apparemment feuilleter, ce qui n’est pas le cas chez toutes à Paris, Covid oblige. Aucun effort de décoration spécial n’est requis. Les participants disposent leurs dessins, qui ont bien sûr passé par un «vetting» (ou comité d’experts), à leur guise. L’un d’eux a garni du coup ses cimaises jusqu’en haut. Passez-moi les jumelles!

L'immense vue imaginaire de Lyon à l'antique de Hennequin chez Talabardon & Gautier, vers 1800. Photo DR.
Au fil du temps, les modernistes ont grignoté les traditionnels. La raréfaction du dessin ancien joue son rôle. Le goût supposé de la clientèle aussi. On en arrive aujourd’hui à cinquante-cinquante, le XIXe siècle décoratif me semblant la victime de l’année. Il faut dire que la manifestation s’adresse davantage à des collectionneurs sérieux qu’au début. Déjà représenté par Ditesheim & Maffei (qui n’a pas effectué le trajet depuis Neuchâtel en 2021), le contemporain s’est vu renforcé. J’ai vu cette semaine à la Bouse le Catalan Mayoral, qui a ouvert une antenne à Paris, ou Jeanne Bucher Jaeger, maison archi-respectable fondée dans les années 1920. Beaucoup de participants panachent, au risque d’un éclectisme forcené. Difficile de conserver une ligne, surtout pour ceux qui restent dans l’ancien. Notez que les De Bayser, qui présentent plusieurs feuilles spectaculaires (Jacopo da Empoli, Cades…), Antoine Tarantino ou Benjamin Peronnet (dont c’est le premier salon) y parviennent. Autre possibilité, certains développent des spécificités nationales, comme le Madrilène De La Mano.
La valse des prix
Pour participer au Salon, il ne suffit pas de montrer patte blanche, il faut en accepter les coûts. D’où des prix souvent musclés, ceux de la maison Talabardon & Gautier passant pour crever le plafond par rapport à des confrères plus mesurés. On se montre ici très discret sur les tarifs, la France conservant un étrange rapport à l’argent. Si la Genevoise Marie-Laure Rondeau affiche tout (comme Benjamin Peronnet), il faut autrement solliciter les renseignements. Le marchand, ou son assistante, sort alors un petit papier avec une liste écrite en caractères minuscules. Certains sommets semblent légitimes, même si d’excellente qualité moyenne le salon 2021 manque un peu de chefs-d’œuvre. D’autres laissent pantois par rapport à d'autres exigences raisonnables. Il en va un peu de même dans la version virtuelle. Certains absents ont tout dit, d’autres indiqué des fourchettes, les derniers n’ayant donné aucune indication. Le Salon n’a pas imposé la transparence totale, comme Jennifer Flay pour la FIAC en ligne. Détail amusant, une erreur de manipulation informatique chez Grässle-Härb-Nuti a mis tous les dessins à 1 euro…

Le beau Lagrenée le Jeune proposé par Eric Coatelem. Photo DR.
Que dire de l’édition 2021 globalement? Qu’il y a de très belles choses, d’un rarissime paysage du Sodoma chez Nathalie Motte à une immense aquarelle de Cassas, exécutée verts 1785 en souvenir de Palmyre chez Didier Aaron. Que le public s’est donné rendez-vous le mercredi 30 juin lors de trois vernissages successifs. Il fallait choisir son heure. J’ai vu dans la première tranche quelques amateurs connus. Plusieurs ont vite acheté. D’autres se tâtaient. J’ai remarqué peu de conservateurs de musées, l’espèce comprenant quelques intrépides et beaucoup de pusillanimes. Dieu le père du dessin, Pierre Rosenberg (qui vient d’en donner des milliers au futur Musée du Grand Siècle) virevoltait drapé de son écharpe rouge. Peu de presse en revanche, sinon spécialisée. Depuis jeudi, le vrai public se voit admis. Sur réservation bien sûr. On réserve pour tout en France, sauf pour les toilettes. La jauge m’a semblé confortable. C’est maintenant le marché du dessin, essentiellement actif en vente publique depuis mars 2020, qui doit se retrouver conforté.
Pas de "Semaine du Dessin"
Un dernier mot. Il n’y a pas vraiment cette fois de Semaine du Dessin accompagnatrice, avec vacations chez Christie’s, Artcurial et ailleurs. Aucun colloque à ma connaissance. Nulle visite particulière à Paris. Un décalage malheureux avec Drawing Now et DDessins, qui ont déjà eu lieu quelques jours auparavant. La chimie fonctionne du coup moins bien. On verra ce qui en ira en 2022 avec la pandémie, qui a maintenant adopté les lettres de l’alphabet pour les variants. Notons au passage que l’abécédaire comprend vingt-six lettres… Il y a encore de la marge.
Pratique
«Salon du Dessin», Bourse, Paris, jusqu’au 4 juillet. De 11h à 20h le 3 juillet, de 11 à 19h le 4 juillet. Pour le reste, il faut passer par le site et la billetterie, www.salondudessin.com
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Le Salon du Dessin a ouvert à Paris en présentiel... avec d'autres marchands en ligne
Une formule mixte, qui favorise ceux qui se sont installé jusqu'au 4 juillet à la Bourse. Il y a là une trentaine de stands, avec des choses parfois magnifiques.