On l'avait presque oublié. Un clouchasse l'autre. Même sur un fétiche africain. La presse n'enbruisse pas moins aujourd'hui des conclusions du rapport BénédicteSavoy-Felwine Sarr, qui seront officiellement présentées àEmmanuel Macron le vendredi 23 novembre. Deux cent trente deux pages. Il s'agit là, je vous lerappelle, des deux experts mandatés en France pour formuler despropositions de restitutions aux pays «spoliés». Le présidentfrançais avait fait de manière imprévue fin 2017 à Ouagadougou lapromesse de rendre «d'ici cinq ans» un certain nombre d’œuvres«de manière temporaire ou définitive» aux pays subsahariensconcernés. D'où ce long texte, qui a valeur de recommandation etnon de décision.
On le sait depuis le début. Le choixdu tandem (un homme, une femme, une Française, un Sénégalais)n'avait rien d’innocent. Ce sont des gens connus. Leurs idées sontclaires. Plutôt extrémistes. Leurs solutions seraient forcémentradicales. Elles iraient bien au-delà des demandes jusqu’iciformulées par certains Etats. Il ne s'agirait plus de piècesprestigieuses certes, mais isolées. Le but serait d'offrir un billetretour à plusieurs pans entiers des collections françaises, pourl'essentiel conservées au Musée du quai Branly. Les restitutionsviseraient à corriger un chiffre revenant de manière lancinante,sans qu'on sache trop du reste d'où il sort. Comme le rappelleaujourd'hui «Libération», «selon les experts, 85 à 90 pour-centdu patrimoine africain serait aujourd'hui hors du continent».
Il suffit de changer les lois
Vous me direz qu'il existe desprincipes comme l'inaliénabilité des collections publiques.Bénédicte Savoy et Felwine Sarr suggèrent de ne pas en tenircompte. Il suffit de changer les lois. Un objet africain (etseulement africain, ce qui constitue une inégalité de traitement)entré durant la période coloniale devrait pouvoir sortir descollections nationales de manière illimitée dans le temps à lasuite d'une demande formulée par un Etat du Continent noir. Il n'estdonc plus question de prêt à long terme. Pourquoi donc? Pour lesdeux auteurs du rapport, la période 1885-1960 «suppose forcémentune asymétrie structurelle dans l'acquisition.» En termes nonacadémiques, cela suppose que tout objet est présumé spolié,autrement dit volé ou tout au moins payé un prix trop bas. Même s'il s'agit d'une collecte scientifique. «L'argent versé n'a jamais correspondu au prix réel de l’œuvre.»Notons cependant que Bénédicte Savoy, qui monopolise un peu laparole, utilise les prix du Drouot d'alors pour montrer à quel pointles prix versés dans la campagne africaine sont ridicules. Comme sile niveau de vie parisien et celui de la brousse étaient équivalentsvers 1930.
Dans ces conditions, sur les 70 000œuvres africaines conservées au Quai Branly, plus de 46 000seraient concernées par une possible restitutions. Savoy et Sarr ontétabli des listes, qu'ils comptent envoyer aux pays concernés.L'idée n'est donc plus de satisfaire une demande, mais de lasusciter. Choisissez et nous rendrons. Qu'arriverait-il, après le vote d'une loi permettant lesretours? Les objets iraient au pays «dont les frontières actuellescorrespondent au zones pillées à l'époque». Ils se verraient doncrestitués non pas aux ethnies, mais à des pouvoirs centraux qui enferaient ce qui leur semblerait bon. D'où sans doute de vifs débatssur place. Et d'énormes problèmes de conservation, cette dernièrene formant pas, selon «La Tribune de l'art» le souci majeur dutandem de penseurs. Il a du reste déclaré que «dans certainesociétés africaines, les statues mourraient aussi.» Le journal enligne cite pourtant une expérience tentée par le Musée de Tervurenen Belgique. Cent quarante quatre objets ont été rendus au Congo en1975. On se demande dans la plupart des cas ce qu'ils sont devenus.Un homme comme Jacques Hainard ne cesse de rappeler que le concept demusée n'est pas africain. Savoy et Sarr en sont du reste conscients.Les œuvres pourraient donc aller n'importe où.
Peu d'oppositions frontales
Le politiquement correct aidant, peud'oppositions frontales se manifestent face à l'idée derestitutions. «Le Point» s'inquiète tout de même de savoir cequ'il restera d'Afrique noire dans les musées français, lescollections privées n'étant apparemment pas concernées(quoique...). Pour l'hebdomadaire, Sarr et Savoy se laissent guiderpar une idéologie. Le mot n'a rien de déshonorant en soi. Ce n'estjamais qu'une somme d'idées. Mais il a pris le sens de «philosophievague et nébuleuse, idéalisme naïf», si j'ai bien lu mondictionnaire. Les duettistes seraient ainsi marqués «par un désirde repentance qui ne dit pas non nom.» «Libération» assure biensûr le contraire. Chacun défend ses valeurs. «Bénédicte Savoy etFelwine Sarr se sont concentrés sur l'histoire concrète de chaqueobjet.» De manière un peu biaisée tout de même, comme je vousl'ai déjà dit.
Le Quai Branly ne s'est pas encore exprimé,alors que le rapport parle de restitutions dès le printemps 2019.Stéphane Martin, son directeur depuis l'origine, fait pourtantpartie des personnes interrogées par Savoy et Sarr. Un privilègerare, selon «La Tribune de l'art». Selon cette dernière, denombreux acteurs culturels comme les marchands, que le duo aurait dûauditionner selon le désir présidentiel, n'ont jamais eu droit àla parole. Ils ne se sont pas vus consultés, faute sans doute d'êtrejugés dignes de se voir entendus. Le musée voulu par Jacques Chirac(Branly, donc) pour en revenir à lui se verrait pourtant touché de plein fouet. J'ai parléde 46 000 objets, pour leur immense majorité dans les réserves. Ilsemblerait tout de même sur un plan plus visible pour le public (enpartie Africain d'origine) que sur les quelque 1000 piècessubsahariennes du «Plateau des collections», la moitié seraitsusceptible de restitutions plus ou moins proches. Cela ferait de grostrous, non?
P.S.Un certain nombre de lecteurs m'ont demandé comment accéder auxarticles anciens de cette chronique, le site n'indiquant de manièreclaire que les sept dernières contributions avec ma photo. C'esttrès simple. Il suffit de cliquer sur mon nom en faut de l'article.La liste apparaît alors, en allant du plus récent au plus ancien.
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Le rapport Savoy-Sarr sur la restitution des objets africains par la France est connu
Les conclusions sont bien sûr explosives. Tout objet récolté pendant l'époque coloniale (1885-1960) se voit supposé de spoliation. Il faut donc le rendre à un Etat subsaharien. Le duo nommé pour tracer des pistes entend même susciter des demandes de restitution.