
C’est son anniversaire, mais peu de gens l’ont remarqué. De toute manière, dans un monde aimant les chiffres ronds, est-ce que 150 ans cela compte vraiment? Dans ce cas-là, pourquoi pas aussi 125 ou 175? Grave question. L’essentiel reste en fait que le Pavillon de l’estampe, logé au premier étage du Musée Jenisch de Vevey, consacre aujourd’hui une exposition entière à Lyonel Feininger, né en 1871. Un artiste transatlantique, davantage revendiqué par l’Allemagne que les Etats-Unis. L’homme a pourtant vu le jour à New York, où il est mort octogénaire en 1956. Sa carrière germanique n’aurait-elle donc été qu’une prestigieuse parenthèse au milieu du vide?
Feininger a commencé par se vouloir musicien. Le violon. C’est la raison pour laquelle il a émigré en Europe dès 1886 afin de se perfectionner. L’adolescent n’a pas fait que changer de continent. Il a découvert que sa véritable vocation était en fait la peinture. Il va l’étudier dès lors à Hambourg, puis à Paris et enfin à Berlin où il commencera en 1893 comme caricaturiste. Un point de départ alors courant. Le Tchèque Frantisek Kupka comme le Français Jacques Villon ou l’Espagnol Juan Gris ont connu les mêmes débuts. Feininger se laissera ensuite tenter par la bande dessinée, avant de venir à l’huile sur toile. Il se situe ainsi vers 1910 dans la mouvance cubiste, qui se décline alors diversement de l’Italie futuriste à la Russie pré-constructiviste. Une sorte de vernis contemporain pour lui. Feininger reste autrement proche de dessinateurs comme Lautrec ou Aubrey Beardsley. Autant dire qu’il se cherche encore, alors que l’homme approche gentiment de ses 40 ans.
Retour aux USA en 1936
Il faudra la rencontre des membres de Die Brücke et de Der Blaue Reiter pour que Feininger se trouve juste avant une guerre qu’il passera en Allemagne, où il est pourtant «sujet ennemi» à partir de 1917. L’étranger y expose beaucoup. Il se laisse entraîner dans la révolution prolétarienne avortée de 1918 avant d’enseigner la peinture comme la gravure au Bauhaus dès 1919. L’Américain en traversera sans encombre les crises internes jusqu’à sa dissolution en 1933 sous la pression du nazisme. Il a entre-temps passablement peint, faisant partie de l’éphémère groupe «Die blauen Vier» avec Kandinsky, Klee et Jawlensky. Hitler au pouvoir, Feininger va rester encore trois ans en Allemagne, avant de revenir au bercail. La Californie, puis New York. Là, il continuera bien sûr à travailler, mais son rôle moteur dans les avant-gardes est terminé. La critique s’appesantit en général peu sur ce que le peintre a pu donner dans ses dernières années.

Lyonel Feininger en 1932. Photo DR.
Il y a quelques toiles, mais surtout des dessins et des gravures dans l’exposition veveysanne actuelle réglée par Stéphanie Guex, Anne Drouglazet et Achim Moeller. Rien là que de très normal pour un Pavillon des estampes. L’idée est juste de montrer la variété dans l’apparente uniformité d’une création multiple (j'espère que vous voyez ce que je veux dire...). Le visiteur trouvera même des petits jouets en bois coloré dans une vitrine. Il y a bien sûr aussi aux cimaises des caricatures des débuts. Il n’y a du reste pas eu de véritable rupture après ces prémices commerciaux. Le public rencontrera là des figures qui ne se verront pas abandonnées par la suite. Longilignes et saccadées, ces silhouettes dégingandées vont hanter, en tout petit, les paysages urbains et maritimes de Lyonal Feininger. La fameuse échelle humaine.
La ville et la mer
Deux thèmes se sont vus privilégiés dans cette exposition montée à partir de plusieurs collections privées. Ce sont bel et bien la ville et la mer. La cité, aux rues étroites et aux éclairages nocturnes, constitue le décor expressionniste par excellence en peinture puis au cinéma. Aucune surprise ici. La mer forme en revanche l’apport propre de Feininger. Sa présence presque insolite résulte de visions d’enfance entre l’Hudson et l’East River. S’ajouteront ensuite des souvenirs de la Baltique. Ces différents courants, à tous les sens du terme, se retrouveront non seulement dans sa peinture, mais aussi dans une gravure passant vite du cuivre et de la pierre lithographique au bois. Le bois, matière typiquement germanique, se retrouve dans les oeuvres graphiques d’Ernst Ludwig Kirchner ou de Max Pechstein, qui multiplient eux les aplats. C’est une sorte de marque de fabrique expressionniste. Il y aura encore des bateaux dans les quelques pièces américaines montrées «in fine» au Jenisch. Une manière comme une autre de se montrer fidèle à soi-même.
Comme toutes les expositions jusqu’ici présentées au Pavillon de l’estampe, celle-ci sait jouer des lieux. Murs gris. Cimaises mobiles pourpres. Une impression de richesse en dépit d’un espace limité. Des ruptures dans un accrochage qui ne doit pas lasser. Un éclairage tamisé, mais pas trop. Une invitation, surtout, à la découverte. Le Feininger actuel donne l’envie d’en savoir davantage sur le peintre, qu’on voit finalement peu. Il me semble du coup permis de parler d’un accrochage apéritif. Une qualité insigne, alors que tant d’expositions se révèlent de nos jours plutôt bourratives!
Pratique
«Lyonel Feiniger, La ville et la mer», Pavillon de l’estampe, Musée Jenisch, 2, avenue de la Gare, Vevey, jusqu’au 9 janvier 2022. Tél. 021 925 35 20, site www.museejenisch.ch Ouvert du mardi au dimanche de11h à 18h.
Attention!!!! Nouveau site!!!!
Le dimanche 31 octobre, à minuit pile, le site de «Bilan» que vous voyez depuis des années se verra remplacé par un autre. La chose aura des conséquences pour la suite des parutions. La configuration de la maquette ne sera plus exactement la même. Vous ne retrouverez pas toujours les articles où vous avez l’habitude de les voir et leur forme sera légèrement différente. Le changement aura également des répercussion sur les textes anciens. La plus importante me semble valoir pour les photos. Les images carrées, et a fortiori en hauteur, ne sont pas prévues (du moins pour l’instant) par le nouveau système. Vous risquez donc un consultant un vieil article de retrouver les illustrations sauvagement recadrées, avec un certain nombre de personnages décapités. Ne vous en formalisez pas trop et lisez tout de même. Je profite pour vous rappeler qu’il est toujours possible de suivre ma chronique en utilisant comme mots clefs «bilan» et «dumont». On verra pour la suite!
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Le Pavillon de l'estampe montre à Vevey Lyonel Feininger, l'Américain du Bauhaus
Feininger est né en 1871 à New York, ce qui en fait l'aîné du groupe. Il a beaucoup gravé, essentiellement sur bois. L'exposition est très réussie.