
Ils sont jumeaux, comme certaines statues Yoruba, mais ils ne font pas partie de la même famille, tout en ayant à peu près le même âge. Je vous ai parlé hier d’Art Paris, qui en arrive vaille que vaille à sa vingt-deuxième édition. Voici aujourd’hui le Parcours des Mondes, dix-neuvième mouture, prévu jusqu'à dimanche. Son organisation et son financement posaient moins de problèmes. Nous ne sommes pas ici à l’intérieur, même si la verrière du Grand Palais atteint quarante-cinq mètres de haut. Tout, ou presque, se passe à l’extérieur. Le public se promène au gré de sa fantaisie et de ses intérêts sur la Rive Gauche, de la Seine à Saint-Germain-de-Prés. Il entre (ou non) dans chez les galeries participantes et celles qui sont là en squatters (1). Autant dire que le soleil se voit prié d’être de la partie.

Un "tiki"Maori du XIXe siècle. Photo Danielle Voirin, Galerie FIak, Paris 2020.
Il l’était, l’astre solaire, les 8, 9 et 10 septembre entre la rue de Seine, la rue Jacques-Callot et la rue des Beaux-Arts. «Le jour du vernissage on a eu du monde. Un peu trop, peut-être», feint de se plaindre Anthony Meier, le spécialiste de l’art océanien et eskimo qui a pilonné ses «followers» de messages et de photos pendant des semaines. Il faut dire que la jauge de certaines boutiques, que les marchands occupent en permanence ou ont loué pour l’occasion à un confrère, restent minuscules. J’adore le cabinet boisé qu’occupe Jean-Edouard Carlier rue Visconti à l’enseigne «Voyageurs & Curieux». Mais ces derniers se voient prier de demeurer en nombre raisonnable cette année. Nous sommes ici, à mon avis, dans moins de vingt mètres carrés. Lucas Ratton, qui a repris le magasin de son père alors que ce dernier occupe désormais l’ancien espace de son fils («Nous en arrivons à la troisième génération»), ne connaît pas ces problèmes. Il a en plus ouvert au public la cave voûtée de la rue des Beaux-Arts et le premier étage. «Je mélange design, art tribal et peinture moderne», explique-t-il. Comme tout le monde, ai-je failli lui répondre… Un grand Paul Klee près d’une sculpture Dan ou Punu, c’est devenu aujourd’hui un classique de la décoration. A condition d’en avoir les moyens financiers, bien sûr…
Une autre échelle de prix
Parler d’argent et de rentabilité nous met au cœur du problème de cette mouture du Parcours des Mondes, placé sous la direction de Pierre Moos depuis 2008. La grande question, il y a un ou deux mois, était: «qui viendra?». La chose valait bien sûr pour les clients. Pas question de voir en septembre 2020 de richissimes et vieux Américains se permettant de ne pas payer de mine, avec leurs airs de «vieux babas» et leurs épouses tannées comme des «squaws». Il faudra se contenter des clients nationaux, ce qui heurtait le snobisme de certains participants (les gens du tribal ont le droit d’être snobs comme les autres). Des Français achetant non pas des pièces énormes et prestigieuses à 250 000 euros, mais de jolis objets moins à la mode (et plus petits) qu’ils paieront moins de 10 000, mais quelle horreur! Le spectre d’un itinéraire «franco-français» heurtait ainsi les marchands majeurs, qui auraient bien voulu sauter un tour. Il leur fallait des accents texans, new-yorkais, néo-zélandais ou au moins allemands et belges. Les Belges, on le sait, sont de gros amateurs d’art africain.

Une grande sculpture du Sépik. Photo Galerie Anthony Meier, Paris 2020.
La même question se posait de l’autre côté de la barrière, ou plus prosaïquement du porte-monnaie. Quels négociants étrangers accompliraient-ils le voyage, avec les frais que cela suppose au milieu de tant d’incertitudes sanitaires? Il allait manquer certaines stars. Pas d’Antonio Casanova. Pas de Jonathan Hope. Pas de… Il y a finalement eu des courageux. Bagott a débarqué de Barcelone. Runjet Singh d’Angleterre. Arte Primitivo de Catalogne également… Les Belges sont venus en voisins, même si la frontière se fait de moins en moins poreuse en ce moment. «Tout devient très compliqué», admet Martin Doustar, qui présente comme toujours des choses magnifiques, cette fois sans mise en en scène. «Je me demande si je ne devrais pas changer d’adresse. Venir en Suisse, par exemple...» J’ignore si le très Bruxellois Didier Claes partagerait son avis.
Un musée sans étiquettes
Comment les chose se passent-elles, du coup? Mais plutôt bien! Il y a beaucoup de monde pour se promener de l’un à l’autre des quarante-quatre lieux. Un chiffre moindre que d’habitude, même s’il reste quelques spécialistes de l’Asie et un ou deux marchands d’archéologie. J’en viens pourtant à me demander si ce n’est pas dans le fond suffisant pour éviter la monotonie. Les collectionneurs locaux sont heureux de ne pas se voir pour une fois considérés comme quantité négligeable par les marchands, qui les oubliaient jusqu’ici d’un coup pour saluer d'un «Hi!» sonore les gros clients d’outre-Atlantique. Certains de ces locaux achètent, mais avec leurs moyens. Pas plus mal que les autres. Une ravissante poulie de métier à tisser Baoulé peut constituer un vrai, bon achat facturé 4000 euros. «Pour presque le même objet que chez vous, on m’a demandé le triple chez Monbrison» gémit quelque part ailleurs un amateur. Moins prestigieux que son illustre confrère, le marchand explique gentiment que les prix dépendent de bien des facteurs. «Chez Monbrison, on s’adresse à une autre clientèle que chez moi. Pour eux, 20 000 ou 30 000 euros ne représentent pas grand-chose...»

Une autre objet Maori. Photo Galerie Martin Doustar, Bruxelles 2020.
Les objets de charme (comme il existe des hôtels de charme) dont je vous parlais tout à l'heure sont bien évidemment complétés le long du parcours par quelques pièces magistrales. C’est le Quai Branly sans billet d’entrée chez Guilhem Montagut, Alain Bovis ou Entwistle. Un musée sans étiquettes, hélas parfois… «Nous attendons plutôt les questions des visiteurs», me répond Lucas Ratton. Une institution souvent sans provenances claires enfin, ce qui ne va pas sans interroger. «Collection privée européenne» indiqué comme origine, avouez que c’est obscur. C’est là où l’on apprécie le professionnalisme et la gentillesse de d’Edith et Julien Flak, la première arrivant à sa trentième année d’activité. «Dans une autre vie, j’étais pharmacienne.» Le second (est-ce à force d’en vendre?) a acquis un profil de sculpture Sepik. Tous deux conçoivent des cartel d’une parfaite clarté s’adressant tant aux novices qu’aux amateurs pointus. Un exemple à suivre. Il faut former de nouveaux amateurs.
Le mérite d'exister
Le Parcours se poursuit jusqu’à dimanche soir. Il aura eu le mérite d’avoir lieu. D’avoir prouvé qu’on peut survivre sans vedettes internationales. Que les Français sont des clients comme les autres. Et d’indiquer qu’on pourra recommencer de pied ferme en septembre 2021, s’il n’y a plus de pandémie à ce moment. Sauter une édition ne se révèle jamais sans péril. La chose vaut aussi bien pour les arts plastiques que pour le théâtre, la danse ou la musique. On se déshabitue très vite, dans le public…
(1) Là, je pousse un peu. Certains marchands sont là à l’année, sans participer pour autant au Parcours.
Pratique
Parcours des Mondes, promenade sur la Rive Gauche, Paris, jusqu’au 13 septembre. Site www.parcours-des-mondes.com Ouvert le 13 septembre de 11h à 18h.
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Le Parcours des Mondes se déroule aujourd'hui en famille à Saint-Germain-des-Prés
C'est le dix-neuvième, mais sans les stars internationales. Reste à savoir si différence est énorme. Pour une fois, les amateurs français se font choyer par les marchands.