Il aura fallu du temps pour que lesFrançais aiment Vilhelm Hammershøi(1864-1916). Le Danois a pourtant séjourné plusieurs fois à Paris,étape jugée en son temps indispensable à la formation d'unartiste. Edvard Munch ou Paula Modersohn Becker ont ainsi accompli leur pèlerinage. La galerie Durand-Ruel a même présentéle portrait de celle qui était alors sa fiancée. Un tableau déjàaustère, réalisé en 1890 par Hammershøi dans une gamme de gris à peineréchauffés par de rarestouches de rose. L'image d'une jeune femme bien raide. Une luthérienne version nordique, diront certains. Inutile depréciserque la toile n'avait pas trouvé acquéreur àl'époque. A côté deRenoir ou de Degas, la chose devait sembler à la fois provinciale etpeu engageante.
Connu sur le plan européen de son vivant, Hammershøi a été oublié parla suite dans les pays duSud. Une preuve suffit. Le tableau de la Tate Gallery aujourd'huiprésenté auMusée Jacquemart-André à Paris a été acquis en 1926. C'est en1996 qu'Orsay a reçu son premier Hammershøi, offert par son mécènePhilippe Meyer. Notez qu'il valait la peine d'attendre. Cette femmeassise de dos, vue en cadrage serré, fait partie des chefs-d’œuvredu maître. L'année suivante, le musée parisien pouvait doncproposer une rétrospective duDanois, dans la série qu'il entamait sur les grosses pointuresétrangères. L'institution avaitcompris qu'elle demeurait par trop franco-française. Ce fut un triomphe.Hammershøi était vengé de ses demi-échecs dans le pays. Al'Expositionuniverselle de 1900, à laquelle il présentait onze deses réalisations dans lepavillon danois, aucune n'avait trouvé preneur,alors que l'Etat avait acquis l'«Intérieur» de son beau-frèrePeter Ilsted. Une œuvre dans le même genre, constatentles visiteurs du Jacquemart-André.Maismoins radicale (on n'a aujourd'hui plus que ce mot à la bouche)selon les commissairesJean-Loup Champion et Pierre Curie.
Le choix du froid et du vide
Enquoi la productionde cet homme, que l'on compare volontiers à Vermeer, se révèle-elleplus forte?Ce n'estpas le choix des sujets. Les tableaux montrant un intérieur avec unseul personnage sont communs auxartistes gravitant autour de Hammershøi,dont on retrouve l'épouseIda avec sa sempiternelle robe noire ceinte d'un tablier blanc d'unetoileà l'autre. Il y a cependant chez le maître un dépouillement total.Il fait le vide. La dernière salle de Jacquemart-André montre d'ailleurs deschambres où seuls subsistent lesmeubles. La palette reste par ailleurs limitée, même si le filmd'introduction souligne le fait que les fameux gris se chargent d'uneinfinité de nuances colorées. La principale différence résidecependant dans la froideur de la lumière, héritée d'un siècle depeinture danoise. Un «Age d'or» comme ont dit aujourd'hui, même sitout s'yrévèleen fait plutôt argenté. D'où une impression de tristesse. Ouplutôt d'incommunicabilité,comme ont aurait dit dans les années 1960. Perduedans son soleil pâle, IdaHammershøi ne nousregardejamais, mêmequandelle seretrouvepresquede face.Nous restonsdansune peinturede «l'absorbement»,pour reprendrele motde l'historiend'artaméricain MichaelFried.Ida nous préfèreses humbles et répétitivestâches ménagèresdansson appartementconfiné. Peu, oupas de fenêtreschez Hammershøi!

Cettepeinture, qui anticipe de peu sur le cinéma mueten noir et blanc (et doncen gris) de Carl Theodor Dreyer, un autre Danois plutôt coincé,repose cependant sur des paradoxes. Les Hammershøiont beaucoup voyagé. Ilsont plusieurs fois changé de logis, tout en restant dans le VieuxCopenhague. Vilhelm a participé à la vie intellectuelle de sontemps. Il faut dire que, couvé par sa mère dès l'enfance comme un génie sur lepoint d'éclore, il s'est vite retrouvé au cœur de la vieartistique nationale.En témoigne, dans la première salle, le monumental «Cinqportraits» réunissantdes figures marquantes de son temps. Unrassemblement àla manière d'Henri Fantin-Latour, en moins riant biensûr. Il était parailleurs frère et beau-frère de peintre. Hommeà succès. Personnalitéreconnue. Les Offices ont du reste envoyé de Florence l'effigie quele musée lui avait commandé pour sa célèbre galerie desautoportraits (invisible de nos jours). C'est la première fois quetableau tardif,laissé inachevé et envoyé par la veuve, sort d'Italie.
Paysages et nus
Lepanorama proposé par Jean-Loup Champion et Pierre Curie (ledirecteur de Jacquemart-André) se veut thématique. Il commence parles portraits etse poursuit avec les intérieursauxquelsle grand public lie Hammershøi.Puisl'accrochage proposedes vues, campagnardesou citadines,et des nus. Il s'agit là d'académiessans aucune concession au joli et au convenable. Tout se termineenfin par ces autres paysages que constituent les appartements vides, auxparquets récurés et aux meubles cirés. Un monde sans désordre.Sans poussière. Sanstraces humaines. On saitque les théoriciensde l'art hollandais du XVIIe siècle, proche du Danois, affirment quedans un pays protestants, et donc sans confession, les nettoyagesservent aussi à laver des péchés.

Lesgens pourront tout soudain juger lachose à Genève, oùHammershøi seretrouvera comme de juste dans l'exposition «Silences» du MuséeRath, annoncée pour le 14juin. Vous noterez que lesaffiches parisienne et genevoise offrent à peu près le mêmetableau de l'artiste, ce qui fait gentimentdoublon. Un amateurgenevois possèdeplusieurs Hammershøi,peintredevenuruineuxen dépitde son léger ennui hautde gamme. Quant au Jacquemart-André, après sa pause estivale, ilproposera du 13 septembreau 20 janvier 2020la CollectionAlana. Il s'agit d'un important ensemble de peinture italiennesallant des primitifs à fond d'or aux prémisses du baroque. Ildemeurait inédit en Europe, saufprêts isolés. J'y reviendrai en temps voulu.
Pratique
«Hammershøi,Le maître de la peinturedanoise», Musée Jacquemart-André,158, boulevard Haussmann, Paris, jusqu'au 22 juillet. Tél. 00331 4562 11 59, site www.musee-jacquemart-andre.com Ouvert tous les jours de 10h à 18h, le lundi jusqu'à 20h30.
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Le Musée Jacquemart-André présente le Danois Vilhelm Hammershøi à Paris
Mort en 1916, l'artiste avait connu une première rétrospective triomphale à Orsay en 1997. Il y a ici l'essentiel, plus quelques toiles de peintres proches de lui.