Comme le furet, il est partout. Lesexpositions Picasso ne se comptent plus cette année. Leur nombre aatteint l'absurde. Regrouper soixante institutions, comme l'a faitl'opération «Picasso-Méditerranée», n'offre à mon avis toutsimplement aucun sens. Les héritiers du peintre s'en sont d'ailleursémus. On est en train de galvauder le nom de leur aïeul. De ledémonétiser, même si les sommets du maître se vendent toujoursaussi bien. La preuve, certaines des manifestations mineures portantl'estampille du Musée Picasso, aujourd'hui dirigé par Laurent LeBon, ont éprouvé de la peine à faire le plein après avoir vidél'institution mère. On ne peut en effet pas dire que l'actuel«Picasso, Chefs-d’œuvre» dans l'ancien Hôtel Salé du Maraisrestera dans les mémoires.
Le gros morceau de l'année, «Picassobleu et rose», ne se voit en effet pas servi là, mais à Orsay. Ilest permis de se demander pourquoi, même si le Catalan, alors âgéde 19 ans, a découvert Paris en octobre 1900 en empruntant l'alorstoute récente gare d'Orsay. Je veux bien que retiré aux chemins defer en 1939 et réaffecté en musée en 1986 le bâtiment soit devenule temple d'une seconde moitié du XIXe un peu étirée vers le XXe,mais tout de même. Cosignée par Laurence des Cars, en charged'Orsay, et Laurent Le Bon, la préface du beau catalogue n'expliquepas le choix. Elle possède la brutalité d'un axiome. C'est commeça. Nous restons certes dans les bonnes dates, Beaubourg commençantsa trajectoire avec le fauvisme de 1905. Orsay a bien sûr grignotéun certain XXe siècle classique sans se faire jusqu'ici taper surles doigts. Mais tout de même. Comment organiser à Paris un Picassod'anthologie, bleu est rose comme de la layette, hors du muséeréservé au maître sans donner l'impression que celui-ci ne sert àrien?
Regroupement extraordinaire
Ces remarques liminaires faites, ilfaut saluer la réussite. Les trois commissaire placées sous lahoulette de Laurent Le Bon, à savoir Claire Bernardi, StéphanieMolins et Emilia Philippot, ont réalisé des merveilles. Elles ont réussià regrouper des œuvres essentielles, venues d'un peu partout. Illeur a fallu créer des bonnes volontés, persuader de prêter,apaiser les craintes, cautériser les susceptibilités et lever lesobstacles tandis qu'une autre équipe se chargeait de trouver desfonds. Il n'y a en effet ici (du moins pour les peintures) que deschoses chères. Très chères. Trop même parfois. Je vous rappelleque «La fillette à la corbeille fleurie» (1905), provenant de lacollection Rockefeller, s'est vendue 115 millions de dollars cetteannée. Il semblait difficile de faire sans elle, tout comme sans «LaVie» (1903) du Musée de Cleveland, «La famille Soler» (1903) duMusée de Liège ou l'«Acrobate à la boule» (1905) du MuséePouchkine. L'essentiel se devait d'être là. Question de standing.Seule une interdiction formelle de prêt devait se voir prise en compte commepour «Les bateleurs» (1905) de la National Gallery of Art deWashington.
On imagine la diplomatie qu'il a falludéployer (assortie de quelques menaces de rupture de relations?)pour arriver à l'actuelle exposition, qui semble couler comme unfleuve tranquille au rez-de-chaussée d'Orsay. Le parcours élargiten fait un peu le programme initial. Les première pièces présentéesremontent à 1900, alors que Picasso se cherche tous azimuts. On sesouvient ainsi que le Courtauld britannique avait pu montrer touteexposition (de petite taille il est vrai) autour de la seule année1901. La première qui compte vraiment. Il y a ainsi les premierschefs-d’œuvre très colorés, qui regardent du côté de Lautrecet de Steinlen. L'iconique «Enfant au pigeon» est de cetautomne-là. Puis ce sont, en écho au suicide de son ami Casagemas,les premiers tableaux bleus début 1902. Une forme d'ascèse, avec dessujets pessimistes, voire désespérés. Orsay propose une suiteimportante et dense de pièces remontant à cette époque où Picassopeint bien moins de toiles qu'il ne le fera à partir des années1920.
Accrochage agréable
A cette période où sa vie matériellereste difficile, le débutant vend peu et mal, ce qui l'amène àréutiliser certaines toiles. Mais on parle déjà de lui. Sapremière exposition chez Ambroise Vollard, à 20 ans, constitue unsuccès de presse. Le visiteur peut le découvrir dans cetteexposition qui ne se contente pas de rester un défilé dechefs-d’œuvre. Il y a de la documentation, des dessins (dont uncertain nombre de pièces érotiques) et des photos d'époque. Orsayentend également raconter aux visiteurs une histoire dont ils neconnaissent que les grandes lignes. La chose offre en plus le méritede détacher les œuvres visuellement les plus importantes, uncertain vide formant dans les arts plastiques l'équivalent dusilence en musique. Le public peut ainsi s'arrêter sans trouble nipollution sur «La Célestine» (1904), «L'étreinte» (1903) ou «Lestrois Hollandaises» (1905).
Avec les Hollandaises en question, nousvoici déjà dans le rose. L'humeur a changé. Le style aussi, avecle monde du cirque qui introduit une certaine sentimentalité. Il y ale «Portrait de Benedetta Casals» (1905) de Barcelone. «Les deuxfrères» (1906) de Bâle. Le «Meneur de cheval nu» (1906) de NewYork. «La femme à l'éventail» (1905) de Washington avait, elle,ouvert l'exposition en hors d’œuvre. Ce furent longtemps là lescompositions les plus célèbres et les plus aimées de Picasso,souvent entrées de son vivant dans des institutions publiques. Legoût s'est modifié par glissement depuis les années 1960.Certaines de ces images nous semblent aujourd'hui (à tort du reste)ressembler à des couvercles de boîtes de chocolats. Il est clairqu'après avoir été cubiste, la préférence irait sans douteaujourd'hui au Picasso de la fin des années 1930.
Autre version chez les Beyeler
L'exposition d'Orsay se termine sur uncodicille. Il s'agit de la période dite de Gosol, fin 1906. Lafiguration se stylise. Elle va bientôt se géométriser. Se cubiser.Un cycle se termine. Une autre histoire commence. En attendant, Bâleoffrira du 3 février au 26 mai à la Fondation Beyeler une autreversion de cette exposition-ci. Ce ne sera pas tout à fait la mêmechose. Il me faudra donc y revenir. Je rappelle que la Suisse n'a pasoffert de grand accrochage sur ce sujet depuis celui de 1984-1985 auKunstmuseum de Berne. Celui-ci s'attardait sur la période bleue,l'époque rose ayant été abordée par la même institutionalémanique en 1992.
Pratique
«Picasso bleu et rose», Muséed'Orsay, 1, rue de la Légion d'Honneur, Paris, jusqu'au 6 janvier.Tél. 00331 40 49 48 14, site www.musee-orsay.ch Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu'à 21h45.
P.S. Un certain nombre de lecteurs m'ont demandé comment accéder aux articles anciens de cette chronique, le site n'indiquant de manière claire que les sept dernières contributions avec ma photo. C'est très simple. Il suffit de cliquer sur mon nom en faut de l'article. La liste apparaît alors, en allant du plus récent au plus ancien. -
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
Le Musée d'Orsay propose avant Bâle son Picasso bleu et rose
L'exposition accumule les tableaux importants, venus aussi bien des Etats-Unis que de Russie ou... de Paris. On peut dire que l'essentiel du Picasso des années 1901 à 1906 est là.