
Comme bien des musées suisses, celui des beaux-arts du Locle a rouvert la semaine dernière. Deux de ses expositions, mises en orbite le 15 février, traitent de la «Liberté d’impression». Autrement dit de la censure en matière de dessin de presse. Une affaire d’actualité. On se souvient que le «New York Times», à la suite d’une polémique autour d’une caricature montrant Benjamin Netanyahou tenu en laisse par Donald Trump, dénoncée comme antisémite, a décidé de couper net le 10 juin 2019. Finis les commentaires en forme d’images! Trop dangereux! Les photos posent moins de problèmes. Dans l’époque bien lisse que nous vivons, rien ne doit plus attirer, ou attiser la polémique. Les journaux, même de la taille du «NYT» n’en ont plus la force, ni les moyens. Il est cependant permis de penser que le quotidien américain a ici baissé sa culotte, révélant du même coup des couilles un peu molles.
Parmi les lésés se trouvait Patrick Chappatte. Le Romand donnait pour le journal deux dessins par semaine depuis 2013, les autres jours étant voués à une œuvre d’un caricaturiste maison et à trois «cartoons» repris de la presse internationale. Chappatte a crié haut et fort son indignation, parlant à juste titre de menace sur la liberté d’opinion. Les titres européens ont beaucoup parlé de l’affaire l’été dernier. Puis le silence s’est fait, comme toujours. Il fallait redonner de la voix. C’est qu’ose aujourd’hui Le Locle, qui présente parallèlement des œuvres de grands ancêtres comme Grandville, Daumier, Steinlen ou Vallotton. Des gravures tirées de ses collections. Pourquoi ce tir groupé?J’ai été poser la question à la directrice Nathalie Herschdorfer.
Nathalie Herschdorfer, il existe à Morges, en terre romande, une Maison du Dessin de presse. Pour quelle raison avez-vous tenu à proposer ces accrochages au Locle? - La Maison ne doit pas rester seule à présenter ce pan entier de création. Il s’agit d’une forme artistique, comme la bande dessinée. Elle correspond par ailleurs à notre domaine, qui tourne moins autour de la peinture ou de la sculpture que d’arts volontiers dits mineurs, comme la gravure ou la photographie. Le Musée des beaux-arts du Locle privilégie le papier. C’est ici du papier journal. J’avais du reste déjà fait, après la tuerie de «Charlie-Hebdo», une présentation de couvertures qui commentaient l’événement avec de grandes plages encrées en noir.
Le dessin de Chapatte reproduit en immense au rez-de-chaussée. Photo Patrick Chappatte, The Herald Tribune.

L’exposition ne comprend pas de dessins proprement dit, mais de grandes reproductions des œuvres de Patrick Chappatte. - Nous avions pensé au départ aux originaux, qui restent de petite taille. Et puis je me suis mal vue les encadrant comme des œuvres d’art afin de les aligner sur les murs. Il y avait un autre problème. Chappatte travaille souvent sur un Ipad. Il n’y a donc plus de produit papier avant l’impression. Ce qui existe, ce sont des fichiers, pouvant adopter n’importe quelle taille. Nous en avons repris un certain nombre couvrant la plus grande partie de la carrière du dessinateur depuis près de trente ans. Il y avait aussi le problème de la reproduction. Pour le public, le dessin n’existe que sous sa forme imprimée. A un moment, nous avions même penser à accrocher aux cimaises des pages complètes afin de montrer, au propre, la place de la caricature. Cela dit, quand j’ai commencé à travailler avec Chappatte, nous prévoyions en plus des documents dans une vitrine. Ils auraient compris des variantes non retenues d’un sujet. Nous avons été pris par le temps. Une fois la décision du projet arrêtée, il nous a fallu aller très vite histoire de rester dans l’actualité.
Comment procède Chappatte au sein d’une rédaction, la sienne étant aujourd’hui celle du «Temps»? - Il commence par produire des petits dessins autour d’un thème. Il les montre ensuite aux journalistes, afin de les tester. C’est cependant lui qui opère le choix final. L’auteur a écouté les autres. Il s’en remet à lui-même. Normalement, il n’y a ni censure, ni auto-censure.
Nathalie Herschdorfer. Photo RTS.

Une importante section centrale, présentée comme une sorte de pavillon au milieu d’une salle, montre les œuvres d’autres dessinateurs. - Il fallait parler des réactions, qui se font toujours plus épidermiques. Chappatte a utilisé ici ses contacts et décidé d'une sélection. Le but était de montrer l’état actuel de la situation, qui est mauvais. Il convenait bien sûr d'avoir au centre le dessin ayant mis le feu aux poudres dans le «New York Times», dû au Portugais Antonio Moreira Antunes. Une œuvre que Chappatte trouve par ailleurs assez grossière. Autour de cela, nous montrons d’autres pièces ayant souvent amené le licenciement après des années d’un collaborateur attitré. Il vaut mieux de manière générale ne pas caricaturer Israël. Il y a toujours des levées de bouclier. Certaines représentations de Trump peuvent cependant coûter chez à leurs auteurs. D’une manière générale, la liberté de commentaire s’est terriblement restreinte en un demi siècle. Il y a eu un espoir de rémission après l’attentat contre «Charlie-Hebdo» en 2015, mais la situation s’est très à nouveau dégradée.
Quel remède apporter? - Le dessin de presse devrait rester une voix libre. Il faudrait que la rédaction, et en particulier le rédacteur en chef, soutienne ses dessinateurs. Jusque dans les années 1980, cela restait économiquement possible. Aujourd’hui, nous avons devant nous une presse fragilisée. Soutenir quelqu’un exige de rester en position de force. Ce n’est plus le cas alors avec des pouvoirs politiques forts. Il existe en plus maintenant le tribunal populaire, avec exécutions sommaires, des réseaux sociaux. Il y a avec eux la réaction à vif. Elle entraîne le «buzz». Tout cela va à une vitesse folle. Les réseaux passent ensuite à autre chose, mais le mal est fait.
Patrick Chappatte. Photo Tribune de Genève.

Pourrait-on rapprocher le déclin du dessin de presse international de la disparition en France des chansonniers, qui en donnaient en quelque sorte une version orale? - Je n’y avais pas pensé… Oui, évidemment. Dessinateurs et auteurs de textes satiriques prennent un risque devenu trop grand dans une société occidentale qui critique volontiers les dictatures exotiques en refusant de réaliser qu’elle dérape elle-même. Tout le monde n’a pas à se montrer d’accord, dans une démocratie. Il faut du coup accepter les voix critiques ou dissidentes.
Pratique
«Liberté d’impression», Musée des beaux-arts, 6, rue Marie-Anne Calame, Le Locle, prolongé jusqu’à l’automne. Tél. 032 933 89 50, site www.mbal.ch Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 17h. Le bâtiment propose une autre exposition autour de la revue belge des années 1920 «Variétés», dont je parlerai une autre fois.
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Le Musée des beaux-arts du Locle se penche aujourd'hui sur la "Liberté d'impression"
En 2019, le "New York Times" renonçait au dessin politique. Son principal collaborateur en ce domaine était le Romand Patrick Chapatte. D'où cette réaction muséale.