On l'a beaucoup croisé. Puis on l'aperdu de vue, comme dans la chanson (1) Il en va des artistes commedes autres gens. Sans brouilles, sans incompréhensions, des prochesdisparaissent sans qu'on s'en rende compte. Il n'y a pas de pourquoi.On est ainsi resté des décennies sans nouvelles récentes de KonradKlapheck, aujourd'hui exposé au Musée des beaux-arts de laChaux-de-Fonds. L'homme a pourtant connu son heure de gloire. Jeregardais tout à l'heure la notice que lui a réservé chez Larousse«Le dictionnaire de la peinture allemande et d'Europe centrale».Elogieux! Il faut dire que l'ouvrage a paru en 1990, alors que laFrance découvrait à peine le renouveau de l'art allemand. Un artavant tout tourné vers la figuration, soit dit en passant...
Klapheck voit le jour en 1935 à Düsseldorf. Le mauvais lieu au mauvais moment. Historien de l'art,son père vient d'être renvoyé de son poste par les nazis. Ilmourra quatre ans plus tard. Historienne de l'art également, sa mèrecontinuera à travailler avant et après les bombes tombant surDüsseldorf, puis Leipzig. Cette femme très puritaine donnera à sonfils une éducation où la sexualité est supposée ne tenir aucunrôle. Attiré par la peinture, Konrad découvrira le nu à Paris.Dans un atelier. Mais celui-ci mettra des décennies à s'imposerdans son œuvre. La nudité n'ira se multipliant qu'après 1997 avecdes toiles étranges et figées, où la figure se doit de répondre àde savants calculs spatiaux. D'où un érotisme froid. Ce sont lesobjets inscrits dans la même composition qui dégagent uneimpression de sensualité, comme le fait remarquer David Lemaire,directeur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds etcommissaire de l'exposition avec Marie Gaitzsch.
Téléphones et robinets
Bien avant ces débordements, Klaphecks'était fait connaître par des œuvres représentant des machines.A une époque où la peinture allemande, libérée des diktatshitlériens, se lançait dans le tachisme à tout va, le débutantmontrait à son public des machines à écrire ou à coudre. Destéléphones. Des robinets. Des fers à repasser électriques. Brefdes choses, qu'il déformait d'une manière expressive. Ses couleursrestaient délavées. Sa matière picturale devenait de plus en plusmince. Face à l'abondance de pâte de ses confrères, Klapheckoffrait une matière maigre. Sèche. Il retrouvait ainsi la NeueSachlichkeit des années 1920, elle aussi fascinée par l'objet. Ilrejoignait aussi un certain surréalisme, ce que confirmait du resteses titres. La machine à coudre faisant l'affiche, qui appartient auMusée de Grenoble, s'appelle ainsi «La question du sphinx». Lesphinx parle à un certain Œdipe. Autant dire que Freud n'est pasloin. Normal qu'André Breton ait vite adoubé le nouveau-venu pourtenter de le mettre sous sa coupe!

C'est donc sexagénaire que l'Allemanda fini par s'intéresser à la figure humaine. Au corps fémininsurtout, le peintre apparaissant dans certains autoportraits peuflatteurs. David Lemaire voit là un art à la fois transgressif etdérisoire. Un art où la chair semble comme pétrifiée. Il y aaussi là de l'humour, mais il demeure difficile de faire la part deschoses. Le second degré, peut-être. Avec les fantaisies qu'ilpermet. D'où des irréalismes ressemblant à des maladresses. Il estpermis de penser à Pierre Klossowski, toujours mi figue mi raisin. Al'Américain Richard Lindner, d'origine allemande. Et puis il y a leson du jazz, qui éclate dans toute une salle du Musée desbeaux-arts. Depuis 1950, Klapheck est un passionné de cette musique,découverte grâce à un concert de Duke Ellington. D'où de vastescompositions paraissant de prime abord aussi incongrues que lesfêtes réalistes produites par Martial Raysse après sa grand époquepop. Ce n'est ni beau, ni laid. Nous sommes dans le hors-normes.
La fin au début
L'exposition, qui occupe tout lerez-de-chaussée du musée, ou presque, commence par la fin. Lepublic tombe sur ce qui risque de demeurer la dernière toile deKlapheck, aujourd'hui très malade (d'où l'impossibilité pour lecommissaire d'accéder à son atelier). C'est à nouveau une machineà écrire. Un retour aux origines. Un appareil de la même marque setrouve du reste à la caisse du musée, afin que le visiteur puissedonner ses impressions. Après les personnages, le visiteur seretrouve donc face aux pièces dans années 1960 et 1970. Il affrontepour finir les grandes esquisses, que leur auteur considèreaujourd'hui comme des œuvres à part entière. Des toiles au formatde la version finale. Klapheck ne fait que se recopier en couleurs.

Je terminerai en disant que, pourl'instant du moins, les expositions consacrées à l'Allemand restentrares. Il n'y en a guère eu depuis Strasbourg en 2005. Découvrir sapeinture (et quelques dessins) permet non seulement d'en prendreconnaissance, mais de la situer dans l'histoire de l'art. Un filrouge part de «La broyeuse de chocolat» de Marcel Duchamp, réaliséeen 1913, pour aboutir à l'actuel Sébastien Mettraux, qui peinttout près de La Chaux de-Fonds. Aux Verrières. Et ce fil passeaussi bien par la «nouvelle réalité», déjà évoquée, que parFernand Léger. La machine n'est pas forcément la meilleure amie del'homme, mais celui-ci tient après tout de la mécanique. Lapreuve! Il se croit toujours victime de machinations (2).
(1) Je fais allusion au «Tourbillon»que Jeanne Moreau chantait dans «Jules et Jim» de FrançoisTruffaut. - (2) La pièce de Cocteau sur Œdipes'intitule, soit dit en passant, «La machine à écrire».
Pratique
«Konrad Klapheck, Vénus ex machina»,Musée des beaux-arts, 33, rue des Musées, La Chaux-de-Fonds,jusqu'au 2 février 2020. Tél. 032 967 60 77, site www.mbac.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h.
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Le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fond tire Konrad Klapheck du purgatoire
L'Allemand s'était fait connaître dans les années 1960 par ses toiles montrant des ustensiles ménagers géants. Le public a un peu oublié l'artiste, aujourd'hui âgé de 84 ans.