Le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fond tire Konrad Klapheck du purgatoire
L'Allemand s'était fait connaître dans les années 1960 par ses toiles montrant des ustensiles ménagers géants. Le public a un peu oublié l'artiste, aujourd'hui âgé de 84 ans.

L'affiche de l'exposition, avec une machine à coudre.
Crédits: Konrad Klapheck, Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds 2019.On l'a beaucoup croisé. Puis on l'a
perdu de vue, comme dans la chanson (1) Il en va des artistes comme
des autres gens. Sans brouilles, sans incompréhensions, des proches
disparaissent sans qu'on s'en rende compte. Il n'y a pas de pourquoi.
On est ainsi resté des décennies sans nouvelles récentes de Konrad
Klapheck, aujourd'hui exposé au Musée des beaux-arts de la
Chaux-de-Fonds. L'homme a pourtant connu son heure de gloire. Je
regardais tout à l'heure la notice que lui a réservé chez Larousse
«Le dictionnaire de la peinture allemande et d'Europe centrale».
Elogieux! Il faut dire que l'ouvrage a paru en 1990, alors que la
France découvrait à peine le renouveau de l'art allemand. Un art
avant tout tourné vers la figuration, soit dit en passant...
Klapheck voit le jour en 1935 à Düsseldorf. Le mauvais lieu au mauvais moment. Historien de l'art, son père vient d'être renvoyé de son poste par les nazis. Il mourra quatre ans plus tard. Historienne de l'art également, sa mère continuera à travailler avant et après les bombes tombant sur Düsseldorf, puis Leipzig. Cette femme très puritaine donnera à son fils une éducation où la sexualité est supposée ne tenir aucun rôle. Attiré par la peinture, Konrad découvrira le nu à Paris. Dans un atelier. Mais celui-ci mettra des décennies à s'imposer dans son œuvre. La nudité n'ira se multipliant qu'après 1997 avec des toiles étranges et figées, où la figure se doit de répondre à de savants calculs spatiaux. D'où un érotisme froid. Ce sont les objets inscrits dans la même composition qui dégagent une impression de sensualité, comme le fait remarquer David Lemaire, directeur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds et commissaire de l'exposition avec Marie Gaitzsch.
Téléphones et robinets
Bien avant ces débordements, Klapheck
s'était fait connaître par des œuvres représentant des machines.
A une époque où la peinture allemande, libérée des diktats
hitlériens, se lançait dans le tachisme à tout va, le débutant
montrait à son public des machines à écrire ou à coudre. Des
téléphones. Des robinets. Des fers à repasser électriques. Bref
des choses, qu'il déformait d'une manière expressive. Ses couleurs
restaient délavées. Sa matière picturale devenait de plus en plus
mince. Face à l'abondance de pâte de ses confrères, Klapheck
offrait une matière maigre. Sèche. Il retrouvait ainsi la Neue
Sachlichkeit des années 1920, elle aussi fascinée par l'objet. Il
rejoignait aussi un certain surréalisme, ce que confirmait du reste
ses titres. La machine à coudre faisant l'affiche, qui appartient au
Musée de Grenoble, s'appelle ainsi «La question du sphinx». Le
sphinx parle à un certain Œdipe. Autant dire que Freud n'est pas
loin. Normal qu'André Breton ait vite adoubé le nouveau-venu pour
tenter de le mettre sous sa coupe!

C'est donc sexagénaire que l'Allemand a fini par s'intéresser à la figure humaine. Au corps féminin surtout, le peintre apparaissant dans certains autoportraits peu flatteurs. David Lemaire voit là un art à la fois transgressif et dérisoire. Un art où la chair semble comme pétrifiée. Il y a aussi là de l'humour, mais il demeure difficile de faire la part des choses. Le second degré, peut-être. Avec les fantaisies qu'il permet. D'où des irréalismes ressemblant à des maladresses. Il est permis de penser à Pierre Klossowski, toujours mi figue mi raisin. A l'Américain Richard Lindner, d'origine allemande. Et puis il y a le son du jazz, qui éclate dans toute une salle du Musée des beaux-arts. Depuis 1950, Klapheck est un passionné de cette musique, découverte grâce à un concert de Duke Ellington. D'où de vastes compositions paraissant de prime abord aussi incongrues que les fêtes réalistes produites par Martial Raysse après sa grand époque pop. Ce n'est ni beau, ni laid. Nous sommes dans le hors-normes.
La fin au début
L'exposition, qui occupe tout le
rez-de-chaussée du musée, ou presque, commence par la fin. Le
public tombe sur ce qui risque de demeurer la dernière toile de
Klapheck, aujourd'hui très malade (d'où l'impossibilité pour le
commissaire d'accéder à son atelier). C'est à nouveau une machine
à écrire. Un retour aux origines. Un appareil de la même marque se
trouve du reste à la caisse du musée, afin que le visiteur puisse
donner ses impressions. Après les personnages, le visiteur se
retrouve donc face aux pièces dans années 1960 et 1970. Il affronte
pour finir les grandes esquisses, que leur auteur considère
aujourd'hui comme des œuvres à part entière. Des toiles au format
de la version finale. Klapheck ne fait que se recopier en couleurs.

Je terminerai en disant que, pour
l'instant du moins, les expositions consacrées à l'Allemand restent
rares. Il n'y en a guère eu depuis Strasbourg en 2005. Découvrir sa
peinture (et quelques dessins) permet non seulement d'en prendre
connaissance, mais de la situer dans l'histoire de l'art. Un fil
rouge part de «La broyeuse de chocolat» de Marcel Duchamp, réalisée
en 1913, pour aboutir à l'actuel Sébastien Mettraux, qui peint
tout près de La Chaux de-Fonds. Aux Verrières. Et ce fil passe
aussi bien par la «nouvelle réalité», déjà évoquée, que par
Fernand Léger. La machine n'est pas forcément la meilleure amie de
l'homme, mais celui-ci tient après tout de la mécanique. La
preuve! Il se croit toujours victime de machinations (2).
(1) Je fais allusion au «Tourbillon»
que Jeanne Moreau chantait dans «Jules et Jim» de François
Truffaut.
(2) La pièce de Cocteau sur Œdipe
s'intitule, soit dit en passant, «La machine à écrire».
Pratique
«Konrad Klapheck, Vénus ex machina», Musée des beaux-arts, 33, rue des Musées, La Chaux-de-Fonds, jusqu'au 2 février 2020. Tél. 032 967 60 77, site www.mbac.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h.