
Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MBC-a) n’entend pas apporter aux Vaudois que des produits venus d’ailleurs. Il cultive son terreau local. Preuve en fut récemment donnée par son «Jardin d’hiver», qui ne m’a guère enthousiasmé. Evidence en sera bientôt fournie grâce au «Gustave Buchet» rétrospectif mitonné par Catherine Lepdor. Entre les deux se situe aujourd’hui «Œuvres récentes de la collection d’art BCV». Cette exposition de taille restreinte a pris la place, au rez-de-chaussée, de l’installation géante en verre de Sandrine Pelletier. Une artiste qui est du reste de Lausanne… Tout se tient.
Directeur de l’institution, Bernard Fibicher parle d’«accrochage osé» à propos de cette exposition également intitulée «Unique et multiple», ce qui ne veut il est vrai pas dire grand-chose. D’où vient ce risque? De l’abondance. On sait que sur le plan de la présentation, la création actuelle semble sans cesse menacée d’anorexie. L’institution ne nous montre presque rien, laissant entendre par là que chaque œuvre se révèle essentielle. Il faut le dire vite, mais la chose marche apparemment. Les gens sont crédules. Ici au contraire, les tableaux constellent les murs, laissés comme de bien entendu en blanc. Le fameux «white cube» qui commence un peu à lasser son monde après un siècle de Bauhaus mal digéré.
Une pièce par artiste
Sur les quelque 200 mètres carrés de l’Espace Projet se voient ainsi représentés vingt-cinq artistes. Chacun a droit à une seule pièce, sauf Guillaume Pilet, dont une minuscule sculpture placée dans une vitrine, «Le totémisme aujourd’hui», orne par ailleurs le milieu de la salle. Autrement, les œuvres s’égaillent sur les murs. Avec une certaine souplesse néanmoins. Nous restons loin de l’actuelle présentation bourrative de la Fondation Beyeler de Bâle dont je vous entretenais l’autre jour. Une monstruosité sur le thème de la nature et de la culture. La chose exige en effet un certain doigté, dont sait aujourd’hui témoigner le MCB-a. Il s’agit de répartir les masses, d’assortir les couleurs et de suggérer si ce n’est des thèmes du moins des familles.
Il y a un demi siècle que la BCV collectionne, à l’instar de beaucoup de banques suisses. Le fameux «engagement culturel». Les œuvres ici présentées ont été acquises durant la dernière décennie. Elles sont en temps ordinaires présentées sur les murs des différentes filiales. Un exercice difficile. Il s’agit de ne pas choquer la clientèle, venue discuter le bout de gras avec son conseiller ou sa conseillère. Il y a du coup toujours un risque d’aseptisation. La chose m’avait interpellé quand j’avais visité les salons et les couloirs de la Banque Pictet à Carouge. Rien ne devait frapper personne, que ce soit négativement ou positivement. D’où un alignement de pièces par trop neutres.
Toutes les générations
En Pays de Vaud, la BCV souffre-t-elle de tels travers? Pas vraiment. Elle peut s’offrir quelques coups d’audace en défendant la création cantonale et les artistes émergents. L’ancrage permet de faire quelques taches d’encre. D’où la présence qu’une photo «radioactive» de Julian Charrière. D’un mur un peu gay de Jean Crotti et Jean-Luc Manz. D’un chrysanthème en forme de champignon atomique d’Alain Huck. Tout reste cependant très propre. Nous sommes en Suisse. Pas de déchets élevés au rang d’œuvres d’art. Même la pile de monochromes rose saumon de Sylvain Croci-Torti n’a rien du vulgaire tas sauvé du désastre. Une catastrophe qui peut du reste arriver à Sylvain, dont certaines œuvres ont été détruites après une exposition au vu de leur taille géante.

La salle du musée avec au premier plan le Guillaume Pilet. La fleur noire et blanche est de Philippe Decrauzat. Le tableau en jaune de Claudia Comte. La couronne de bottes américaines de Vincent Kohler. Photo Keystone.
Toutes les générations se voient représentées dans la collection animée par Catherine Othenin-Girard. A 86 ans Silvie (avec «i») Defraoui peut aujourd’hui jouer les matriarches. Natacha Donzé, dont le succès s’affirme alors qu’elle vient d’occuper le Musée des beaux-arts de la Chaux-de-Fonds, est de 1991. Il ne s’agit plus d’un bébé, certes. Mais trente ans cela semble jeune pour une collection finalement très officielle. La curatrice se flatte d’avoir su reconnaître les talents à leurs débuts. Ce n’est pas une suiveuse. Elle a su sentir le vent. Beaucoup d’artistes montrés cette fois au MCB-a ont du reste accompli une belle carrière depuis. C’est le cas de Claudia Comte, honorée notamment au Castello di Rivoli, la Mecque de l’art contemporain en Italie. C’est celui de Philippe Decrauzat, dont les entêtantes variations abstraites ont l’air subventionnées par les oculistes tant elles font mal aux yeux. Philippe se voit représenté par de bons galeristes, de Berlin à New York en passant par Madrid. La scène vaudoise est aujourd’hui bien connue et reconnue. Davantage que celle de Genève en ce moment. Un des éternels effets de balancier.
Texte difficile
Tout est-il donc bon dans l’actuelle présentation bancaire? Non. Il y a le texte. Celui de Catherine Othenin-Girard dans le livret d'accompagnement apparaît hélas nourri de tous les clichés du genre contemporain. Il dissuade plutôt qu’il n’encourage le visiteur, supposé tenu par la main. Il y a là les mots convenus, les idées faites et les références obligatoires. J’y ai même retrouvé cité Nicolas Bourriaud, dont je vous ai dit il y a quelques mois le mal que je pensais de la prose. Il faudrait oser rester simple, direct, près des œuvres. S’effacer. On dit de certaines choses qu’elles parlent d’elles-mêmes. Ce n’est pas faux. Et à la fin le jugement du public se ramène inévitablement au clivage «j’aime-j’aime pas». Alors pourquoi ces béquilles scripturales? Les béquilles servent à ce qui est mal portant.
N.B. Le Vaudois Nicolas Party, dont je vous parlais l'autre jour, ne fait pas partie de la sélection. C'est un choix.
Pratique
«Unique et multiple, Œuvres récentes de la collection d’art BCV», Musée cantonal des beaux-arts, 16, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 9 janvier 2022. Tél. 021 316 34 45, site www.mcba.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h. Entrée gratuite.
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Le MCB-A de Lausanne présente la collection contemporaine strictement vaudoise de la BCV
La banque achète local. Mais il faut dire que la scène cantonale apparaît aujourd'hui très riche, avec quelques vedettes devenues internationales.