Ce fut un grand jour. Enfin non. Cela aurait pu devenir un grand jour. Le lundi 1er mars, en pleine pandémie donc, a rouvert à Rome le Mausolée d’Auguste près du Tibre. Il y avait très exactement quatre-vingt deux ans que ce gigantesque monument du Ier siècle avant notre ère n’était plus accessible au public. Le quartier lui servant d'écrin mussolinien arrivait en 1939 à la fin de gigantesques travaux, destinés à mettre en valeur ce parfait exemple de «romanité». Il manquait une ou deux étapes. La guerre menaçait. Stop! J’y reviendrai.
En 28 avant Jésus-Christ, Auguste, le premier empereur, commence donc son mausolée alors qu’il a bon pied bon œil. Le vainqueur d’Antoine (et par conséquent de Cléopâtre) veut l’équivalent du tombeau d’Alexandre, qu'il a pu voir en Egypte. Ce genre d’entreprises prend du temps. Mieux vaut s’y attaquer de son vivant, comme les pharaons. Est ainsi sorti d’un sol se trouvant à l’époque six mètres plus bas un énorme bâtiment cylindrique, couvert d’un toit en pente. Il servira de caveau de famille jusqu’à Nerva, à la fin du Ier siècle de notre ère. Trajan, le successeur de ce dernier, se fera enterrer sous sa fameuse «colonne». Hadrien bâtira ce qui forme aujourd’hui le Château Saint-Ange. Puis viendront les invasions et les dégradations. Le Mausolée a ainsi beaucoup souffert des déprédations d’Alaric en 410. C’est vieux. Je sais.
Nombreuses déprédations
Le Moyen Age voit les vestiges utilisés comme fortifications par les Orsini. Puis il y aura un jardin sur le toit, et enfin en théâtre resté en fonction du XVIIe siècle à 1936. La chose manquait de dignité, alors que Mussolini venait d’annexer de manière expéditive (et sanglante) l’Ethiopie. Le Duce décida de remodeler le quartier entier. Trois hectares de la ville furent abattus. Ils comportaient cent vingt édifices anciens. Le Mausolée vedette sera entouré à la place de trois immenses palais conçu par Vittorio Ballio Morpurgo (j’ai eu de la peine à trouver le nom!), que l’historien Filippo Coarelli juge comme «une des plus sinistres réalisations fascistes». L’idéologie joue beaucoup là-dedans. On peut estimer que ces façades couvertes de bas-reliefs Art Déco et de mosaïques constituent au contraire un parfait exemple du goût de 1940, date à laquelle le chantier s’arrêta. L’un des «palazzi» a du reste été acheté en 2020 pour 150 millions d’euros par Benetton, qui l’a loué à Bulgari. Le joaillier des stars ne s’installerait pas n’importe où.
Nouvel épisode au début du IIIe millénaire. L’édifice vitré conçu dans les années 1930 par le même Ballio Morpurgo afin d’abriter face au fleuve l’Ara Pacis Augustae, chef-d’œuvre absolu de la sculpture romaine, est démoli. Il se voit remplacé par un geste architectural de Richard Meier. L’Américain n’a pas très bien réussi son coup, du moins aux yeux du public. Son machin blanc, doté d’espaces d’expositions sinistres en sous-sol, s’est révélé si impopulaire qu’un candidat à la mairie de Rome (Gianni Alemanno) jurait en 2008 aux électeurs que son premier geste serait de le démolir. Promesse de gascon romain. L’élu n’en a rien fait, même si la chose vieillit aujourd’hui très vite. Toujours est-il que l’étoile de Meier a pâli de ce fait bien avant que l’octogénaire se voit accusé en 2018 par neuf femmes d’agressions sexuelles. Une fin de carrière dans l’air du temps.
Petit budget
Restait le Mausolée lui-même… Les travaux tardaient. Ils ont finalement commencé en 2007. Fouilles sporadiques. L’activité, qui ressemble plutôt à une inactivité, a duré jusqu’en 2011. Sont ensuite venus cinq ans de pause. On est en Italie. Puis tout a redémarré en 2016 avec un financement tripartite. La Ville. Le Ministère de la culture. Et un sponsor, la Fondazione TIM. Il n’y avait pas tant d’argent sur la table que ça. Si j’ai bien compté en lisant le site d’«Il Giornale dell’Arte» qui publie aujourd’hui sous la plume d’Edek Osser un article sur le sujet, j’arrive pour la dernière phase à six millions. Le prix de deux ou trois trottoirs à Genève. Le maître d’œuvre Sebastiano La Manna a donc su faire le meilleur usage de cette manne.
De 2016 à 2019 ont donc eu lieu les travaux de restauration-consolidation. Il a fallu vérifier 14 000 mètres carrés de murs en briques. Consolider avec des poutrelles d’acier trois des quatre escaliers. Hélicoïdal, le dernier qui montait jusqu’au toit disparu a été réinventé de toutes pièces. Pas question cependant en ce moment de créer la coupole de métal et de verre prévue un temps. Trop chère. Il s’agit aussi là selon Sebastiano d’une idée «discutée». Autant dire que nul n’a envie de recommencer le psychodrame de l’Ara Pacis.
Fin des travaux en 2022
Si le monument a été inauguré, avec un accès prévu par deux volées de marches, l’une partant du côté Tibre et l’autre de l’abside de l’énorme église baroque San Carlo al Corso, tout n’est de loin pas terminé pour autant. Il y aura des finitions jusqu’en 2022. Après tout, Auguste est habitué à attendre. Quand on est mort, c’est en général pour très longtemps.
P.S. Wikipedia signale avec un humour involontaire que le Mausolée est en "Fermeture temporaire"!
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Le Mausolée d'Auguste a rouvert à Rome après quatre-vingt deux ans de... chantier
La tombe du premier empereur devait être mise en valeur par un immense projet mussolinien. Les travaux se sont arrêtés pour cause de guerre en 1940.