Le Luxembourg présente à Paris la grande peinture anglaise des années 1760 à 1820
L'exposition proposée par la Tate Britain embrasse un sujet bien trop vaste pour un aussi petit musée. Il y a néanmoins de beaux Gainsborough, Reynolds ou Turner.

"Mrs Robert Trotter" par George Romney. Le peintre réalisait un portrait en quelques séances de pose.
Crédits: Tate Gallery, Londres 2019.Les Français, on le sait restent
allergiques à la cuisine anglaise, si souvent moquée. Les mêmes se
sont gaussés de la mode «Made in England», avant qu'elle vienne
les narguer à Paris. Ils se montrent tout aussi rétifs à
la l'art britannique, sauf si c'est contemporain et su cela coûte très
cher. Notez que ce fut un temps aussi le cas de la peinture insulaire
ancienne. Dans les années 1920, Lord Duveen, qui était un grand
marchand, fit de Josuah Reynolds et de Thomas Gainsborough
les artistes les plus coûteux du monde. Il vendit ainsi en 1922 «The
Blue Boy» pour 640 000 dollars. A l'époque, une famille américaine
vivait correctement avec 50 dollars par mois...
Pourquoi suis-je en train de vous raconter cela? Parce que le Luxembourg, à côté du Sénat parisien, expose en ce moment «L'âge d'or de la peinture anglaise, De Reynolds à Turner». Un accrochage de longue haleine, vu qu'il dure jusqu'au 16 février. Il s'agit d'une exposition hors les murs de la Tate Britain, qui ne s'est pas trop fatiguée. C'est à se demander si Martin Myrone, de la Tate, n'a pas tout dicté par téléphone, en déléguant l'exécution à sa consoeur Cécile Maisonneuve de la RMN-Grand Palais. Les gens du même musée londonien avaient consenti un plus grand effort pour les préraphaélites proposés cet été au Palazzo Reale de Milan, dont je vous ai parlé. Je ne sais ce qu'il en est pour «L'école de Londres», avec Bacon, Freud & Co, proposée depuis quelques jours au Chiostro del Bramante de Rome. Un lieu aussi impossible que le Luxembourg.
Portraits énormes
Pourquoi impossible? Pour des raisons
de place. Un portrait anglais, souvent en pied (ce qui était réservé
dans la France d'Ancien Régime aux effigies princières), se révèle
en général énorme. Surtout s'il possède en prime un cadre
opulent. Le Luxembourg demeure pour sa part un nid à rats, en dépit
de ses prétentions. Tout doit se voir ici casé dans sept espace
dont un minuscule, réservé comme de juste à l'aquarelle. Un genre
anglais s'il en est. Les décorateurs ont beau eu se démener. Tout
est rentré au chausse-pied. Nous sommes très loin des salles
kilométriques de la Tate et de celles, plus vastes encore, des
«Manors», «Castles», «Houses», «Parks» construits sous le
long règne de George III (il dure de 1760 à 1820) dans la campagne
anglaise. A une époque où la cour compte peu outre-Manche, chaque
duc, chaque comte et chaque grand marchand pouvait alors se
considérer comme un petit roi.

Dans ces châteaux anglais, grands comme des palais, nobles et riches ont longtemps collectionné l'art étranger. Le Grand Tour, en Italie, finissait ainsi avec un notable excès de bagages. La Royal Academy a ainsi pu reconstituer en partie, l'an dernier à Londres, la collection de Charles Ier, créée dans les années 1620. Les peintres travaillant sur l'île venaient aussi d'ailleurs. Il y a ainsi eu les portraitistes, de Holbein à Van Dyck en passant par ce Peter Lely qui se nommait en réalité Pieter van der Faes. Les fresquistes se nommaient pour leur part Giovanni Antonio Pellegrini, Sebastiano Ricci ou Antonio Verrio. La réaction ne vint qu'au milieu du XVIIIe siècle. Il y eut alors Hogarth, absent du Luxembourg. Puis les portraitistes Reynolds et Gainsborough, qui se livrèrent une concurrence acharnée pour trouver des clients, à qui ils demandaient des sommes énormes. Mais l'Angleterre était alors la première puissance économique mondiale... Le Luxembourg présente ainsi de très belles pièces. Elles vont du «Comte de Carlisle» de Reynolds, plein de références historiques, à la «Lady Bates Dudley» de Gainsborough, qui se veut elle toute moderne.
Paysages en tous genres
Il y a bien sûr d'autres portraitistes
dans cette galerie comprenant une bonne quarantaine d'artistes sur
quelques centaines de mètres carrés. Si la «Sarah Siddons» de Sir
Thomas Lawrence n'est pas le chef-d'oeuvre d'un artiste brillant, aux
coups de pinceau étonnamment larges pour l'époque, «Mrs Robert Trotter»
montre Georges Romney au mieux de sa forme. C'est tout aussi enlevé.
Moins cher, Romney vous faisait un tableau en deux ou trois
séances sans dessin préparatoire. Le Luxembourg devait cependant
laisser de la place aux paysages, autre formule adorée par les
Britanniques. Il y a en a d'assez beaux, mais la Tate ne s'est pas
dépouillée en la matière. Certaines de ces vues se font réalistes vers 1820.
Elles anticipent parfois l'impressionnisme. D'autres donnent dans le
genre historique. «La destruction de Sodome» par Turner frôle le
fantastique. Mais «La destruction de Pompéi» (que de ravages sismiques!) par
John Martin, un artiste quasi inconnu sur le Continent, va encore
plus loin dans le genre. Avec Martin, il faut s'attendre à tout!
Les commissaires devaient forcément raconter une histoire. Ils en récitent en fait deux. La première est celle d'un pays qui se décomplexe, trouve ses marques et crée sa propre peinture. Une voie parallèle à celle de l'Europe, qui dure jusqu'à aujourd'hui (il n'y a pas que la politique...). Une voie connaissant ses propre institutions. Stables. Fondée en 1768, la Royal Academy, est restée telle qu'au premier jour en 2019. Je vous ai parlé de son 251e Salon cet été. En 1817 est venu le premier musée. C'est la Dulwich Gallery, dans une banlieue chic, qui a également peu bougé (elle a été reconstruite telle quelle après un bombardement de juillet 1944). Puis la National Gallery est venue en 1824 sous le règne du flamboyant George IV. Avec une originalité (encore une!) par rapport au Louvre. Il ne s'agissait pas d'une collection royale nationalisée, mais d'une création ab nihilo.
Impérialisme et esclavage
Et la seconde histoire, me direz-vous? Eh bien, c'est celle de l'Empire. En 1776, l'Angleterre perd les Etats-Unis, qu'elle tente vainement de reconquérir jusqu'en 1811. Elle se tourne du coup vers l'Inde, l'Australie récemment découverte et bientôt l'Afrique. Voici qui permet aux commissaire d'entonner le couplet attendu sur la colonisation et l'esclavage avec quelques toiles mineures, peintes notamment en Inde. On commence à connaître la chanson, ici proposée sans la moindre originalité. Quand on a aussi peu de place, mieux vaut se concentrer sur l'essentiel. Pourquoi pas une autre exposition, vouée au seul développement de l'empire georgien, puis victorien? Un accrochage qui serait à la fois historique et sociologique? Il ne faut pas à tout propos se dédouaner.
Pratique
«L'Age d'or de la peinture anglaise, De Reynolds à Turner», Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris, jusqu'au 16 février 2010. Tél. 00331 46 34 31 19, site www.museeduluxembourg.fr Ouvert tous les jours de 10h30 à 19h, le lundi jusqu'à 22h.