Le Locle propose au MBAL ses "Géographies de la montagne"
Aujourd'hui menacé faute d'argent dans son existence même, le musée jurassien mélange de la photographie à un peu de peinture. C'est très réussi.

La foule devant le Cervin, observée par l'Anglais Martin Parr.
Crédits: Martin Parr, Magnum Photos, MBAL, Le Locle 2019.Evidemment, c'est loin! Ou du moins, la
ville semble l'être. Rien d'étrange à cela. La Suisse connaît ses
«diagonales du vide», comme la France. Ou son «archipel», à
l'instar de l'Italie. Il faut ainsi jusqu'à deux heures vingt de
train pour passer de Genève au Locle. Or le temps, c'est de
l'argent. On doit bien le savoir dans ces deux capitales horlogères. Peu de
gens visitent pour le coup le Musée des beaux-arts du Locle, ou MBAL,
luxueusement rénové rue Marie-Anne Calame avant sa réouverture en
février 2014. Un tort! Il s'agit d'une institutions les plus
dynamiques de Suisse, même si elle fonctionne avec moins de 3
pour-cent de la subvention allouée par la Ville de Genève aux
Musées d'art et d'histoire. Un subside par ailleurs ici menacé. J'y
reviendrai.
Comme le Mamco genevois, le MBAL procède par séries. Je veux dire par là que toutes les expositions se voient renouvelées à la fois, ce qui provoque de brèves fermetures. Aucune salle ne se voit laissée aux collections permanentes. Pour Nathalie Herschdorfer, en charge des lieux depuis 2014, il ne s'agit pas d'une décision arbitraire. Le fonds reste trop peu important. Une large place se voit laissée à la photographie, «un art majeur des XXe et XXIe siècle». Une passion par ailleurs pour la directrice, qu'on aurait bien imaginée à la tête de l'Elysée lausannois, et qui a récemment publié un énorme livre intitulé «Corps» au Fonds Mercator (version française) et chez Thames & Hudson (traduction anglaise). Deux Rolls de l'édition d'art. Les actuelles «Géographies de la montagne» comprennent du coup trois présentations photographiques et l'annonce d'une quatrième pour un seul et unique accrochage de peinture. C'est comme ça (1).
Point commun l'altitude
L'important, finalement, reste la
cohérence d'un projet. Sa pertinence, comme on dit en langage
«arty». Cette fois, pas de problème. Tout tourne autour de la
montagne, prise dans son sens le plus large. Il y a un bout d'Alpes,
bien sûr, mais aussi les massifs exotiques et le Jura au coeur
duquel nous sommes au Locle. La guérilla en Afghanistan peut du coup
croiser le tourisme en Valais et la Grande Muraille de Chine, qui
prend elle aussi parfois l'ascenseur. L'altitude constitue en effet
le point commun. Du reste l'un des deux escaliers du MBAL sert à
lancer avec des images d'Henry Lentwyler le festival "Alt + 1000", qui
se déroulera en septembre entre Le Locle et La Brévine. On se
souvient que ces rencontres ont commencé, il y a déjà quelques
années à Rossinière, dans le canton de Vaud. Rossinière se situe
à 920 mètres au dessus du niveau de la mer. Du moins pour le
moment. Mais on sait que cette dernière va monter avec le
réchauffement terrestre...

Il y a bien sûr de l'écologie dans ces expositions, mais avec intelligence et doigté. Il ne faut ni intellectualiser à outrance les choses, comme le fait en ce moment l'Elysée avec Yann Mingard, ni matraquer des informations chocs. «Parc du Doubs» de Henrik Spohler entend proposer «une réflexion par l'image sur le paysage». Rien de sensationnel. Lors d'une résidence organisée par le parc et le MBAL, l'Allemand a «observé un territoire», en même temps fois protégé des hommes et briqué comme un pont de navire à l'intention des visiteurs. Cette exposition peut rejoindre le beau panorama permis par les archive de l'agence Magnum depuis sa fondation dans l'immédiat après-guerre, «Magnum Montagnes». Aux sommets déserts et sévères de 1950 a succédé une sorte de parc d'attractions créé par ceux que l'écrivain valaisan Maurice Chappaz appelait «Les maquereaux des cimes». Deux photos mises côte à côte le prouvent. A Zermatt, Robert Capa, qui fit aussi de la mode, montre une seule skieuse face au Cervin. Quelques décennies plus tard, l'impertinent professionnel Martin Parr observe une jungle humaine devant le même sommet.
Installations éphémères
Bien mis en scène sur des cimaises
repeintes avec des couleurs de dragées, l'accrochage Magnum joue un
peu les vedettes. Il faut dire qu'il regroupe nombre de noms connus.
Ils ont produit d'abord en noir et blanc, puis dans cette couleur
devenue aujourd'hui par trop omniprésente. Au Zurichois Werner
Bischof succèdent ainsi Elliott Erwitt et Raymond Depardon, puis
Alessandra Sanguinetti ou Newsha Tavakolian. Mais il ne faut pas
oublier pour autant le «Telluris» de Noémie Goudal au
rez-de-chaussée, dans l'espace que le MBAL laisse aux installations.
L'artiste y propose ses clichés alpestres dans un dédale d'étagères
de bois. C'est très réussi. Non loin de là, dans le café de
l'établissement, les visiteurs peuvent déguster en prime une fresque
éphémère abstraite de Stéphane Dafflon. Tout n'a pas besoin de
rester figé pour l'éternité.

La peinture, maintenant. Le fonds du musée, celui de La Chaux-de-Fonds et les murs des privés ont permis de mettre côte à côte des panoramas jurassien de Charles L'Eplattenier, mort d'une chute en montagne en 1946, alors qu'il avait 72 ans. Ces vastes toiles ont été réalisées entre le début du XXe siècle, alors qu'il était le maître du Corbusier, et les années 1930. J'ai noté de fantastiques différences de réussite suivant les toiles. Au symbolisme le plus puissant peut succéder le réalisme le plus plat. Il y a du coup ici quelques tableaux extraordinaires... et les autres. Mais le tout s'intègre parfaitement dans le récit global voulu par Nathalie Herschdorfer.
Un avenir en suspens
L'avenir du musée, pour terminer. Minuscule, l'équipe a toujours dû fonctionner de manière précaire avec un budget misérable. Un peu moins d'un million par an. Une votation populaire, le 27 mai, a rejeté les centimes additionnels dont la ville (à peine 10 000 habitants) aurait besoin pour renflouer ses finances. Le MBAL risque donc de devoir faire avec encore moins dans un endroit que ne favorisent ni les mécènes (en principe désintéressés), ni les sponsors (qui attendent eux du «retour»). Que va-t-il se passer? Officiellement, la directrice ne sait rien. Officieusement aussi, du reste. Les principaux intéressés restent en général les derniers informés. Le problème, c'est que le musée reste peu visité, alors qu'il ferait honneur à Genève. Une cité où l'on fait en général peu et mal avec beaucoup d'argent et des équipes pléthoriques. Le problème est en quelque sorte géographique. Difficile pourtant selon moi de raser le Jura, surtout après une série d'expositions sur les montagnes...
(1) Le MBAL a aussi fait beaucoup d'estampe. Je vous ai parlé du Baselitz et des 100 ans de la Société suisse de gravure.
Pratique
«Géographies de la montagne», Musée des beaux-arts, 6, rue Marie-Anne Calame, Le Locle, jusqu'au 13 octobre. Tél. 032 933 89 50, site www.mbal.ch Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 17h.