
C’est une toute petite exposition. Une exposition de poche. Elle comprend 98 images, certes. Mais ces dernières se révèlent minuscules. L’ensemble tient du coup dans quatre vitrines. Sans bousculade. Sans chevauchements. Les photos représentant Sophie Taeuber-Arp à tous les âges de la vie mesurent à peine quelques centimètres de haut. Il s’agit d’une sorte d’album intime, que le Kunsthaus d’Aarau a acheté à la famille en 2016. Cette documentation avait sa place toute trouvée dans un lieu avant tout consacré à l’art suisse du XXe siècle, même si son fonds Taeuber Arp reste modeste. Un beau tableau en propre et quelques aquarelles en prêts, si j’en crois l’environnement mural de la salle aux photos.
Le parcours, pour autant qu’on puisse employer ce mot, commence en 1891. Sophie a alors deux ans. Tuberculeux, son père est mort cette année-là. Bazardée, la pharmacie dont il s’occupait! Sa mère va bientôt s’installer avec ses quatre enfants survivants (l’un est mort bébé) à Trogen, dans le canton d’Appenzell. Elle y fera construire une pension, qu’elle ouvrira en 1900. Sophie, sa cadette, va vite développer là ses dons artistiques. On fait des charades et on se déguise en famille. Rien de mieux pour inciter à inventer. Sophie restera toujours proche de sa sœur Erika. Des images d’amateurs, prises dans les années 1920, les montrent complices dans des costumes de fantaisie inspirés par les spectacles dada et les bals d’artistes.
Travestie en dame
Le temps passe… En se penchant pour mieux voir, le spectateur retrouve Sophie jeune fille. Elle arbore d’immenses chapeaux, comme le veut la mode des années 1905-1910. L’un d’eux est même traversé par une plume majuscule. L’image donne au spectateur, qui sait bien ce que va devenir la débutante, une sorte de malaise. C’est attifée en dame que l’élève inscrite à Saint-Gall a l’air le plus travestie. Elle veut sans doute sembler adulte par rapport aux autres. Il lui faut en effet se débrouiller seule. Sa mère meurt d’un cancer en 1908. L’apprentie arrivera pourtant à se former entre Zurich et Munich. Arts décoratifs. Elle ne sortira du reste jamais complètement de ces derniers, dans la mesure où l’artiste arrivée récusera bien vite la notion de hiérarchie des genres.

L'artiste dans un costume en carton. Une création de 1929. Photo DR, Kunsthaus Aarau 2021.
Sophie rencontre Hans, ou Jean Arp en 1915. Il est Alsacien, et donc Allemand puisque le Reich a annexé la province en 1870. Une situation inconfortable en temps de guerre. Mieux vaut rentrer en Suisse. Les tourtereaux ne peuvent cependant pas deviner que Zurich va vite devenir «the place to be». C’est bientôt l’aventure dada, dont Aarau montre quelques images. Celles-ci tendent ensuite à se raréfier. Le couple a apparemment perdu le goût de la représentation devant l’objectif. Les clichés des années 30 se font même rares. Le dernier, daté de 1942, reste une simple photo-passeport. Sophie et Jean quittent alors non sans mal Grasse, dans le Sud de la France, pour la Suisse. La situation n’est pas drôle, mais la femme peintre garde officiellement le sourire. Elle ne sait pas qu’elle arrivera à la station terminus. Sa mort, par intoxication accidentelle au gaz, surviendra le 13 janvier 1943…
Un livre très personnalisé
Ce décès constitue le point de départ et d’arrivée du livre qu’a récemment consacré à sa grand-tante Silvia Boadella. Philosophe et psychothérapeute, cette dernière n’a bien sûr jamais connu Sophie. Elle est née en 1948. Paru chez Skira avec un texte bilingue en allemand et en anglais, l’ouvrage tente de raconter la femme de l’intérieur. Le lecteur la voir agir et l’écoute penser. Un exercice périlleux, qui fait davantage que flirter avec la fiction. La tentative d’explication du personnage en vaut une autre. Le principal mérite de ce «Sophie Taeuber-Arp, Ein Leben für die Kunst» est pourtant de nous proposer en grande partie, comme illustrations, les mêmes photos que le Kunsthaus d’Aarau. Elles y apparaissent plus grandes et surtout mieux contrastées, le vieillissement des originaux s’étant vu artistement gommé. Les images ont du coup l’air plus jeunes. Plus proches de nous. L’effacement progressif constitue une forme d’éloignement

Le célèbre double portrait de Sophie et Jean, avec les marionnettes de Sophie, présentées à Bâle. Photo DR, Kunsthaus Aarau 2021.
Il est bien clair que les quatre vitrines et quelques œuvres de Sophie aux cimaises ne suffisent pas à remplir les sous-sols du Kunthaus d’Aarau, voués en priorité aux créations sur papier. Il y a là dix salles, et non pas trois petits cabinets graphiques comme au Musée d’art et d’histoire genevoise. Il faut dire que le chef-lieu argovien possède un riche musée. Sa direction en a donc profité pour sortir quantité de pièces de ses réserves. C’est l’occasion de découvrir de nombreux noms, même s’il reste clair que la magnifique salle Louis Soutter tourne autour d’une vraie vedette. Aarau remet en selle Andre Thomkins, qu’on oublie un peu trop depuis sa mort à Berlin en 1985. Une bonne initiative. J’avoue autrement que j’ignorais Heidi Widmer, Suzanne Baumann ou Philippe Schibig (1), pourtant né en 1940 à Carouge. Je n’avais jamais non plus vu en musée une telle profusion de Marc-Antoine Fehr, peintre souvent tenté par le monumental. Bref j’apprends. Je découvre. Je mémorise. Contrairement à bien d’autres institutions, le Kunsthaus d’Aarau sert à vraiment quelque chose!
(1) Là, je reste impardonnable. Schibig était à Genève l'un des poulains du galeriste Anton Meier!
Pratique
«Sammlung in Fokus, Sophie Taeuber-Arp in unbekannten Fotografien», Kunsthaus, Aarguerplatz, Aarau, jusqu’au 25 mai. Tél. 062 835 23 30, site www.aargauerkunsthaus.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le jeudi jusqu’à 20h. «Sophie Taeuber-Arp, Ein Leben für die Kunst», de Silvia Boadella, aux Editions Skira, 222 pages. Je rappelle par ailleurs que a rétrospective Sophie Taeuber-Arp du Kunstmuseum de Bâle (réservation obligatoire) dure jusqu’au 20 juin.
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Le Kunsthaus d'Aarau raconte la vie de Sophie Taeuber-Arp en photos inédites
Acquis en 2016, le fonds complète l'actuelle rétrospective bâloise. Autrement, le musée a sorti quantité d'oeuvres graphiques pour meubler son sous-sol.