
C’est de la photographie de guerre, mais au féminin pluriel. Reprenant sous une forme un peu différente l’exposition organisée l’an dernier au Kunstpalast de Düsseldorf, le Fotomuseum de Winterthour se met non pas en quatre, mais en huit. «Fotografinnen an der Front» montre au public huit reporters ayant travaillé entre les années 1930 et maintenant. Créée par Anne Marie Beckmann et Felicity Korn, adaptée pour la Suisse avec l’aide de Nadine Wietlisbach (trois femmes de plus!), la manifestation raconte à la fois l’insertion du «deuxième sexe» dans un métier jugé typiquement masculin et l’histoire du photo-journalisme. C’est le regard global de la profession qui a changé en presque un siècle. On ne cadre plus tout à fait la même manière aujourd’hui qu’hier.
Il fallait un point de départ plausible. Les commissaires ont choisi Gerda Taro (1910-1937). Une figure emblématique pour l’Europe, comme a pu l’être un peu avant Tina Modotti pour l’Amérique du Sud. Gerda donne l’idée d’une vie où tout va très vite. Venue d’Allemagne, elle a ainsi montré la Guerre d’Espagne, qui éclate en 1936. Du bon côté pour les intellectuels, bien entendu. Si elle avait été derrière Franco, la femme aurait sans doute été vouée aux oubliettes. Gerda possède le sens de l’image. Son sens dramatique la rapproche de Robert Capa, à qui ses prises de vue ont souvent été attribuées par la suite. Sa trajectoire a été interrompue par une balle, alors qu’elle n’avait pas même 27ans. Un météore… Tardivement promue icône, Gerda peut ouvrir dignement l’exposition avec du noir et blanc très fort.
L'entrée en scène de la couleur
Lee Miller (1907-1997) apparaît sans doute plus connue. Il faut dire que son amant Man Ray l’a beaucoup portraiturée, alors qu’elle restait mannequin vedette. La photo s’attrape comme une autre maladie. Par contact. L’Américaine a poursuivi sa voie en solitaire, parvenant à se faire accréditer sur le front allemand en 1944. C’est elle qui est entrée parmi les premiers dans certains camps. Aucun journal n’a voulu publier ses clichés outre-Atlantique. Trop choquants au moment de la victoire. «Vogue» s’est lancé par défaut. Sa rédactrice en chef pensait que le témoignage s’imposait comme une nécessité. Il a donc paru entre deux défilés de mode, ce qui en a paradoxalement renforcé l’impact par contraste.

L'Irak de Carolyn Cole, 2003. Photo Carolyn Cole, Los Angeles Times, Fotomuseum Winterthour 2020.
Ces deux personnalités historiques introduisent les autres artistes (il me semble permis d’utiliser le terme). Elles ont donné de la guerre une vision plus contemporaine. L’introduction assez rapide de la couleur, dans les années 1970, a changé la donne. Les rouges saturés de sang et les verts fades des forêts, elles aussi massacrées, apportaient leur réalisme. Le résultat apparaît cependant moins synthétique. La lecture de l’image par le cerveau se révèle plus lente. Son souvenir reste moins longtemps en mémoire. Mais les magazines, alors déjà en perte de vitesse, se devaient de suivre les avancées de la télévision, elle dans ses belles années. Le Fotomuseum peut ainsi montrer le Nicaragua selon Susan Meiselas (née en 1948), ou le Kosovo de Carolyn Cole (née en 1961). Cette dernière poursuit toujours sa collaboration avec le «Los Angeles Times», entamée en 1994. Ces survivantes ne doivent pas faire oublier des trajectoires assez courtes. Anja Niedringshaus a été tuée en Afghanistan, alors qu’elle avait 49 ans. C’était en 2014. Catherine Leroy (1994-2006) et Françoise Demulder (1947-2008) complètent ce parcours sans faute.
L'inclassable Christine Spengler
Si vous savez compter, ce que je vous souhaite, vous avez constaté qu’il manquait l’une des huit femmes, pour reprendre le titre d’un film assez glamour de François Ozon. J’ai en effet gardé Christine Spengler, aujourd’hui âgée de 75 ans, pour la bonne bouche. La Française sort du cadre. Les Suisses romands l’ont découverte, il y a déjà bien longtemps, à l’Elysée, où Charles-Henri Favrod l’avait montrée. La femme traverse avec une intrépidité frôlant l’inconscience les champs de bataille (je pense à une célèbre image du Cambodge, souvent publiée). Elle poursuit aussi, en marge, une photo plasticienne dédiée à un frère tôt disparu. Christine expliquait à l’époque que sa position se voyait en réalité favorisée par son sexe. Il lui permettait, surtout dans les pays musulmans. d’aller du côté des femmes sans que nul y trouve à redire.

Le regard d'Anja Niedringhaus. Photo Succession Anja Niedringhaus, Fotomuseum, Winterthour 2020.
Vous l’avez compris. «Fotografinnen an der Front» fait partie des accrochages à découvrir cet été en Suisse. Le Fotomuseum n’a cependant pas eu que le sens de l’art. Il a su trouver la manière. Il ne s’agit pas davantage d’un accrochage ostentatoirement féministe que celui de la Fotostiftung Schweiz (logée au même endroit, dont le vous ai déjà parlé) consacré à Evelyn Hofer. Les deux manifestations se voient présentées comme des évidences. Elles n’ont besoin d’aucune justification. Evelyn méritait de voir sa carrière, en partie suisse, retracée. Il était intéressant de juxtaposer huit regards féminins sur la guerre. Point final.
Tir groupé
Pas de déclarations d’intention donc, si sournoisement dévaluantes. Quand un musée comme celui de Baltimore annonce ne plus vouloir acheter que des œuvres de femmes en 2020 «afin de rétablir l’équilibre», il donne une fâcheuse impression de quota. Peu importe l’œuvre, pourvu que le principe moral se voie respecté. Comme promotion, on a connu mieux! Ici les huit femmes (plus une, Evelyn Hofer) tiennent debout toutes seules. Ces photographes de guerre s’imposent en tir groupé, alors que le discours politique tient souvent de la béquille en matière culturelle. Mieux vaut tout de même rendre admiratif, comme l’entend le Fotomuseum, que culpabiliser le chaland mâle. Allez vérifier ce que je vous dis à Winterthour!
Pratique
«Fotografinnen an der front», Fotomuseum, 44, Grünzerstrasse, Winterhour, jusqu’au 30 août. Tél. 052 234 10 60, site www.fotomuseum.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h, le mercredi jusqu’à 20h.
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Le Fotomuseum de Winterhour montre huit femmes photographes de guerre
De Gerda Taro à Carolyn Cole, l'exposition montre comment un bastion masculin s'est vu investi. Le regard a par ailleurs collectivement changé depuis les années 1930.